2008-2018 : une crise économique qui n’en finit pas

 

Eric Toussaint, Possibles, revue d’Attac-France, 8 juillet 2018*

 

À partir de février-mars 2007, aux États-Unis, commencent les premières faillites de sociétés financières spécialisées dans le crédit hypothécaire. Les racines de la crise internationale qui a débuté aux États-Unis en 2007-2008 remontent aux années 1990. Parmi les facteurs décisifs : l’augmentation massive des dettes privées ainsi que la politique des autorités de Washington qui ont favorisé, pour des raisons économiques et politiques, le développement d’une bulle spéculative dans l’immobilier.

Au cours des deux dernières décennies, les administrations de Bill Clinton et de George W. Bush ont appuyé systématiquement les grandes banques dans leur volonté de se débarrasser définitivement des contraintes qui pesaient encore sur elles comme héritage des mesures de la discipline bancaire imposée par F.D. Roosevelt dans les années 1930. À noter qu’au cours de ses deux mandats, Barack Obama n’a pas pris des mesures fortes pour remettre de l’ordre dans les activités des sociétés financières. Au pouvoir depuis début 2017, Donald Trump a commencé à démanteler les quelques contraintes imposées aux banques depuis le début de la crise, notamment la loi Dodd-Franck, et compte aller plus loin afin de favoriser encore plus le secteur financier.

L’éclatement de la bulle spéculative immobilière a été le détonateur de la crise. Les politiques d’austérité ont ensuite fini de plonger l’économie des pays les plus industrialisés dans une période récessive-dépressive prolongée, suivie d’une période de croissance très faible dans laquelle est toujours plongée l’économie des pays les plus industrialisés. Par ailleurs, les politiques appliquées, depuis 2007-2008, par les banques centrales pour favoriser une fois de plus le grand capital ont généré de nouvelles bulles (bulle boursière et bulle du marché obligataire) qui finiront tôt ou tard par éclater.

Augmentation de la dette globale mondiale

Dans plusieurs pays, avant l’éclatement de la crise en 2007, la dette publique représentait moins d’un sixième des dettes totales, et moins d’un cinquième des dettes privées. Après 2007, l’augmentation de la dette publique est forte et brutale, conséquence de la crise et du sauvetage des banques par les pouvoirs publics.

Selon une étude publiée en mars 2017, par le service d’étude de l’Union des Banques Suisses, la dette globale mondiale a augmenté de 55 % entre 2002 et 2008. Deux tiers de cette augmentation étaient dus à la croissance de l’endettement des banques. Entre 2008 et 2017, la dette globale a encore augmenté de 51 %. Mais depuis 2008, les banques (surtout aux États-Unis) ont un peu réduit leurs dettes tandis que les États qui leur sont venus en aide ont vu exploser leur endettement.

La crise internationale a débuté aux États-Unis en 2007-2008 mais les causes remontent aux années 1990. Plusieurs facteurs entrent en jeu : la surproduction dans le secteur immobilier et dans d’autres secteurs de l’économie (notamment l’automobile), l’hypertrophie du secteur financier, en particulier du secteur bancaire, la déréglementation de ce même secteur, le comportement des patrons des banques, l’augmentation massive des dettes privées, la politique de la Banque centrale des États-Unis (la Réserve fédérale) et du gouvernement de Washington qui ont favorisé, pour des raisons économiques et politiques, le développement d’une bulle spéculative dans l’immobilier… À ce propos, il est utile de souligner que l’administration de George W. Bush avait fait de la « société des propriétaires » un thème central de son discours politique : « Nous sommes en train de créer une société de propriétaires dans ce pays, dans laquelle toujours plus d’Américains auront la possibilité d’ouvrir la porte de l’endroit où ils vivent, et diront : « Bienvenue dans ma maison », « Bienvenue dans ce que je possède ». »

Alan Greenspan confirme, dans ses mémoires écrits juste après l’éclatement de la crise en 2007, qu’il y avait une stratégie politique à la base de l’attitude adoptée par la Réserve fédérale en soutien à la politique de Bush : « Je me rendais bien compte que l’assouplissement du crédit hypothécaire accroissait le risque financier et que l’aide au logement exerçait un effet distorsif sur le marché. Mais j’ai compris aussi que l’augmentation du nombre de propriétaires renforçait le soutien au capitalisme de marché – vaste question. J’estimais donc, et continue de le faire, que les avantages de cet élargissement de la propriété immobilière individuelle valaient bien l’accroissement inévitable des risques. La protection des droits de propriété, si essentielle dans une économie de marché, a besoin d’une masse critique de propriétaires pour bénéficier d’un soutien politique. »

Il est également nécessaire de mentionner que les administrations de Bill Clinton et de George W. Bush ont appuyé systématiquement les grandes banques dans leur volonté de se débarrasser définitivement des contraintes qui pesaient encore sur elles comme héritage des mesures de la discipline bancaire imposée par Roosevelt dans les années 1930.

Le détonateur de la crise est venu de la bulle spéculative qui avant d’éclater avait gonflé le prix de l’immobilier et engendré une augmentation démesurée du secteur de la construction par rapport à la demande solvable. La quantité de nouveaux logements proposés chaque année aux États-Unis est passée de 1,5 million en 2000 à 2,3 millions en janvier 2006. Une proportion croissante de nouveaux logements n’a plus trouvé d’acquéreurs malgré les facilités de crédit accordées aux ménages par les banques et malgré les encouragements des autorités américaines.

Cette surproduction a fini par provoquer une chute brutale du prix de l’immobilier. Les prévisions des ménages qui avaient souscrit des crédits hypothécaires subprimes ont été bouleversées par ce changement radical de circonstances. En effet, aux États-Unis, les ménages ont la possibilité et la coutume, quand les prix de l’immobilier sont à la hausse, de renégocier au bout de 2 ou 3 ans sur base d’une hypothèque qui a gagné de la valeur leur contrat de prêt initial afin d’obtenir des termes plus favorables, des taux plus avantageux. Notons que dans le secteur des prêts subprimes, le taux des deux ou trois premières années était faible et fixe, autour de 3 %, alors que la troisième ou quatrième année, non seulement le taux augmentait de manière conséquente (passant à 8 ou 10 %), mais il devenait également variable et pouvait, dans de nombreux cas, atteindre facilement 14 ou 15 %.

À partir de 2006, lorsque les prix de l’immobilier ont commencé à baisser, les ménages qui avaient eu recours aux prêts subprimes n’ont plus été en mesure de renégocier favorablement leur crédit hypothécaire afin d’en améliorer les termes.

Comme le déclare Paul Jorion dans La crise du capitalisme américain, les crédits au secteur subprime visaient « en réalité à délester de leurs économies les malheureux qui cherchent à souscrire au ‘rêve’ sans disposer en réalité des moyens financiers d’y accéder, au premier rang desquels la population noire et celle originaire d’Amérique latine. Les combines sont ici nombreuses, allant des contrats aux conditions écrites différentes de celles de l’accord verbal, jusqu’aux offres qui visent simplement à acculer le candidat à la faillite pour bénéficier ensuite de la saisie du logement, en passant par les refinancements présentés comme « avantageux » mais aux conditions en réalité calamiteuses. ».

Quelques années plus tard, les procédures légales entamées suite aux plaintes déposées par des centaines de milliers de familles expulsées illégalement de leur logement par les banques démontreront que les banquiers avaient escroqué leurs clients à une échelle massive. Dans plus de 500 000 cas examinés par la justice des États-Unis, les banques ont abusé de la bonne foi des personnes qui signaient des contrats d’emprunt hypothécaire. Après de longues tractations à propos des délits et crimes qu’elles avaient commis en matière de crédit hypothécaire, les principales banques des États-Unis ont fini par accepter de payer des amendes pour un montant d’environ 86 milliards de dollars (période 2008-2013). Bien que le fait de payer des amendes ait permis aux banques d’échapper à des condamnations, cela démontre qu’il n’y a pas le moindre doute quant à leur responsabilité dans la crise.

Il faut préciser par ailleurs que le subprime ne concernait pas que les couches populaires les plus fragiles. Le Wall Street Journal donne l’exemple d’une gérante d’un magasin de photocopieuses qui a acheté une maison à Las Vegas pour 460 000 dollars en 2006. En 2006-2007, elle devait payer des mensualités de 3 700 dollars à un taux de 8,2 % mais, en 2008, les mensualités se sont élevées à 8 000 dollars à un taux de 14 %. Entre-temps, avec la crise, sa maison ne valait plus que 310 000 dollars (la valeur de l’immobilier a diminué de plus de 30 % en 2007 !). Elle a arrêté de rembourser et a perdu la maison de ses rêves. L’étude du Wall Street Journal montre que le subprime market mortgage à haut taux ne concernait pas seulement les familles américaines à bas revenus : il touchait aussi la classe moyenne.

Dès le début de l’année 2007, les défauts de paiement des ménages ont commencé à se multiplier. Entre janvier et août 2007, 84 sociétés de crédit hypothécaire aux États-Unis se sont retrouvées en faillite. Les sociétés et les ménages riches qui spéculaient à la hausse sur l’immobilier jusque-là et avaient engrangé de copieux bénéfices se sont retirés brutalement, accélérant du même coup la chute des prix. Les banques qui avaient placé les créances hypothécaires dans des produits structurés et les vendaient en masse (notamment aux grandes banques européennes avides de rendement) ont été au centre de la crise.

Ainsi, le gigantesque édifice de dettes privées a commencé à s’effondrer avec l’éclatement de la bulle spéculative du secteur immobilier nord-américain et a été suivi par d’autres crises de l’immobilier en Irlande, au Royaume-Uni, en Espagne, à Chypre, dans plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est.

Il vaut la peine de mentionner que Nicolas Sarkozy, emboîtant le pas de George W. Bush, invitait les Français à s’endetter beaucoup plus. Dans le numéro d’avril 2007 de la Revue Banque, il écrivait : « Les ménages français sont aujourd’hui les moins endettés d’Europe. Or une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. C’est pour cette raison que je souhaite développer le crédit hypothécaire pour les ménages et que l’État intervienne pour garantir l’accès au crédit des personnes malades. (…) Si le recours à l’hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l’emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. »

On peut imaginer ce qui ce serait passé si la crise des subprimes n’était pas survenue en 2007-2008 et si, du coup, Nicolas Sarkozy avait continué à promouvoir le modèle appliqué aux États-Unis…

Quelle interprétation de la crise ?

Venons à l’interprétation donnée par les médias dominants en 2007-2008 lors de l’éclatement de la crise aux États-Unis. Les explications tronquées ou carrément mensongères ont prévalu. Ces derniers matraquaient que le chaos économique trouvait son origine dans le comportement irrationnel des pauvres états-uniens qui s’étaient trop endettés pour acquérir des maisons qu’ils n’étaient pas en mesure de payer. Ces explications passaient sous silence les responsabilités écrasantes des autorités des États-Unis et des patrons des banques.

À partir de septembre 2008, après la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers, le discours dominant a changé de cible, pointant du doigt les brebis galeuses de la finance. Bernard Madoff, qui a monté une arnaque de 50 milliards de dollars, ou Richard Fuld, le patron de Lehman Brothers, apparaissaient comme les nouvelles bêtes noires qui avaient perverti le fonctionnement vertueux du capitalisme.

Si l’éclatement de la bulle immobilière a été le détonateur de la crise, l’analyse ne doit pas s’arrêter là. Il est utile de rappeler une observation de Karl Marx à propos des crises : « Les années 1843-1845 furent celles de la prospérité industrielle et commerciale, conséquences nécessaires de la dépression presque permanente de l’industrie dans la période de 1837 à 1842. Comme toujours, la prospérité lança bientôt la spéculation. Celle-ci surgit régulièrement dans les périodes où la surproduction bat déjà son plein. Elle fournit à la surproduction des débouchés momentanés. Elle hâte en même temps l’irruption de la crise et en augmente la violence. La crise elle-même éclate d’abord là où sévit la spéculation et ce n’est que plus tard qu’elle gagne la production. L’observateur superficiel ne voit pas la cause de la crise dans la surproduction. La désorganisation consécutive de la production n’apparaît pas comme le résultat nécessaire de sa propre exubérance antérieure mais comme une simple réaction de la spéculation qui se dégonfle. »

Inspiré par cette analyse succincte faite par Karl Marx il y a plus d’un siècle et demi, on peut présenter, de manière schématique, l’enchaînement suivant dans le cas de la crise aux États-Unis. Faible croissance économique dans les années 1980 et krach boursier de 1987 (administration Reagan) suivis d’une croissance dans la deuxième moitié des années 1990 (administration Clinton), boostée par une bulle spéculative à la Bourse portant principalement sur les nouvelles technologies, l’informatique et des sociétés de courtage en énergie comme Enron. Éclatement de la bulle en 2000 suivi d’une politique agressive de taux d’intérêt bas pratiquée par la Réserve fédérale afin de relancer l’économie sans l’assainir. En conséquence, démarrage d’une bulle immobilière (voulue pour des raisons économiques et politiques par l’administration G.W. Bush et la Réserve fédérale), le tout dans un contexte d’explosion du marché des dérivés accompagnée d’une euphorie bancaire et boursière qui cache pendant un temps la surproduction immobilière et automobile aux États-Unis. Éclatement de la bulle immobilière en 2006-2007 qui provoque l’effondrement de l’échafaudage bancaire de dettes privées à partir de 2007-2008. Les banques centrales et les gouvernements ont alors décidé de mener une politique d’injection massive de liquidités et de taux d’intérêt bas qui a entraîné la création de nouvelles bulles spéculatives. Les banques et les entreprises en général n’ont pas assaini véritablement leur trésorerie et elles se sont lancées dans une réduction massive d’emplois provoquant une forte augmentation du chômage. De plus, les politiques mises en pratique participent d’un approfondissement des attaques contre les salaires et l’ensemble des droits sociaux. Enfin, les gouvernements ont fait exploser la dette publique afin de venir en aide aux grandes banques privées et de mettre en œuvre des politiques favorisant le grand capital.

Revenons à la crise qui a commencé en 2007-2008 aux États-Unis et en Europe. Quand l’échafaudage des prêts subprimes et des produits structurés créés depuis le milieu des années 1990 s’est effondré, la production dans différents secteurs de l’économie réelle a été très durement affectée. Les politiques d’austérité ont ensuite fini de plonger l’économie des pays les plus industrialisés dans une période récessive-dépressive prolongée dans laquelle ils se trouvent toujours enlisés.

L’impact de la crise de l’immobilier aux États-Unis et de la crise bancaire qui lui succéda a eu un énorme effet de contagion internationale car de nombreuses banques européennes avaient massivement investi dans les produits structurés et dans les dérivés états-uniens. Les produits structurés et les produits dérivés, parce qu’ils ont été développés, vendus, achetés par les mêmes grandes banques internationales, les ont connectées entre elles, les rendant exposées aux mêmes risques et vulnérables aux mêmes chocs. C’est surtout par ces produits, présents massivement dans les bilans et les hors-bilans bancaires, et dont les montants ont explosé à partir du milieu des années 1990, qu’une crise locale (bulle immobilière aux États-Unis) a pu entraîner une crise financière et économique internationale.

Depuis les années 1990, la croissance aux États-Unis et dans plusieurs économies européennes a été soutenue par une hypertrophie du secteur financier privé et par une redoutable augmentation des dettes privées : dettes des ménages, dettes des entreprises financières et non financières. En revanche, les dettes publiques ont eu tendance à baisser entre la deuxième moitié des années 1990 et 2007-2008.

Les pauvres ne sont pas les seuls à s’être endettés, les ménages riches sont responsables d’une grande partie de l’augmentation de la dette, ce à quoi il faut bien sûr ajouter l’endettement des sociétés financières (banques, fonds d’investissements, etc.) et non financières qui a pris des proportions gigantesques (voir le tableau plus loin). Mais arrêtons-nous un instant sur les ménages à faibles revenus, qui ont financé de plus en plus leur consommation en s’endettant. Ils palliaient ainsi la stagnation ou la baisse de leurs salaires. Les 20 % de ménages les plus pauvres ont augmenté leur endettement de 90 % entre 2000 et 2008 : c’était la cible naturelle des subprimes.

Mais si on regarde la masse de crédit, les 20 % les plus riches ont contribué à eux seuls à la moitié de la progression de la dette des ménages enregistrée entre 2000 et 2008. La dette des 20 % les plus riches a augmenté de près de 2 200 milliards de dollars alors que l’augmentation de la dette des 20 % les plus pauvres ne représente que 178 milliards de dollars. Cette somme ne représente donc qu’un douzième de celle du quintile le plus riche.

C’est édifiant : les riches se sont endettés pour spéculer principalement en Bourse et dans le secteur immobilier en achetant des logements et des locaux commerciaux qu’ils n’occupaient pas ou n’utilisaient pas. Ces ménages riches ont spéculé à la hausse sur le prix de l’immobilier tout comme les sociétés qu’ils contrôlaient. Alan Greenspan le reconnaît lui-même implicitement en écrivant dans ses mémoires qu’en 2005, 25 % des achats de logements étaient le fait d’investisseurs, pas des familles « subprime ». Ce comportement a contribué fortement à la formation de la bulle spéculative et à son éclatement.

Il est important d’avoir en tête l’injuste répartition des richesses aux États-Unis comme dans les autres pays les plus industrialisés. En 2010, aux États-Unis, le 1 % le plus riche détenait 35 % du patrimoine total du pays. C’est grosso modo la classe capitaliste et elle concentre une part impressionnante du patrimoine. Si on élargit l’étude aux 10 % les plus riches, ils possédaient 70 % du patrimoine total. On peut considérer que les 9 % ainsi ajoutés représentent l’entourage ou les alliés au sens large de la classe capitaliste. Les 90 % restant devaient donc se contenter de 30 % du patrimoine. Et parmi eux, les 50 % d’en bas n’en possédaient que 5 %.

Prenons maintenant l’évolution des dettes tant publiques que privées aux États-Unis. On s’aperçoit que les dettes privées ont constamment augmenté entre 1980 et 2008. Les ménages ont financé leurs dépenses par un recours de plus en plus important au crédit, les pauvres pour compenser la chute de leurs revenus et les riches pour faire fructifier l’augmentation de leurs revenus par un effet de levier. Les dettes des banques et des autres sociétés financières se sont accrues de manière vertigineuse (augmentation de 560 % en 28 ans). La dette publique, qui avait fortement augmenté dans les années 1980 suite à l’augmentation des taux d’intérêt décidée par la Fed à partir de 1979 et au sauvetage des banques Savings and Loans, a baissé au cours de la décennie 1990 (administration Clinton) et a recommencé à augmenter entre 2000 et 2008 pendant l’administration de G. W. Bush. Soulignons que la dette publique représentait moins d’un sixième des dettes totales, et moins d’un cinquième des dettes privées.

Voyons ce qu’il en est en Europe. Avec le surdéveloppement du secteur financier privé, le volume des actifs des banques privées européennes a gonflé de manière démesurée à partir des années 1990 pour atteindre 42 100 milliards d’euros en 2007, soit plus de 3 fois le PIB des 27 pays membres de l’UE. Les dettes des banques privées (comptabilisées dans le volume des passifs) de la zone euro représentaient en 2007 également 3 fois le PIB des 27 pays membres.

La dette publique de la zone euro avait entamé une baisse entre 2000 et 2007. La baisse de la dette publique était particulièrement forte en Espagne. En revanche, la dette des sociétés financières (c’est-à-dire les banques) n’a cessé d’augmenter, tant dans la zone euro qu’en Espagne, au Portugal ou en Grèce. Tout comme augmentaient les dettes des ménages et des sociétés non financières. Partout l’augmentation de la dette publique est forte et brutale après 2007 comme conséquence de la crise et du sauvetage des banques aux frais des pouvoirs publics.

Le coût public du sauvetage des banques

Contrairement aux affirmations des dirigeants européens et de la presse dominante, selon lesquels l’État s’est trop endetté faute de contrôler suffisamment ses dépenses sociales, l’augmentation de la dette publique en Europe a été postérieure au surendettement privé (des entreprises et des banques essentiellement). Parmi les causes de cette évolution, on peut relever notamment :

  • Un recouvrement insuffisant de l’impôt, notamment sur les revenus les plus élevés, sur les revenus du capital, sur la fortune et sur les bénéfices des grandes entreprises. Ce recouvrement insuffisant n’est pas fortuit : il est la conséquence des différentes réformes fiscales qui ont favorisé les plus grandes fortunes et les grandes entreprises privées aux dépens de la collectivité. Avec l’arrivée de la crise et l’effondrement dû au surendettement privé, les revenus fiscaux ont chuté, provoquant une augmentation de la dette publique.
  • Une politique qui privilégie le financement des déficits publics par les marchés financiers. Depuis le Traité de Maastricht de 1992, les pouvoirs publics ne peuvent plus emprunter à leur banque centrale ou à la Banque centrale européenne (BCE). Les États dépendent donc totalement du financement fourni par les sociétés financières privées (principalement les grandes banques privées), ce qui a entraîné un surcoût financier considérable pour les finances publiques.
  • Les politiques d’austérité mises en œuvre, notamment à partir de 2010, et qui ont dégradé les finances publiques en inhibant l’activité économique et en augmentant le chômage. Ainsi, l’excès de dette privée, accumulée notamment par les entreprises et les banques, asphyxie l’activité. L’austérité conduit l’État à réduire ses dépenses au lieu de les augmenter pour ranimer l’économie et redistribuer la richesse : l’activité économique s’effondre, de même que les recettes fiscales et la dette publique explose.
  • S’ajoute à tout cela le coût du sauvetage des banques. D’une part, il s’agit du coût qu’ont représenté pour les pouvoirs publics le sauvetage et les aides directes aux banques entre les années 2008 et 2012, et d’autre part celui des garanties publiques concédées aux banques. Ces derniers montants ne constituent pas des dépenses mais des garanties à charge de l’État, qui assume le risque de la banque pour les actifs garantis dans le cas où ceux-ci perdraient leur valeur. Il ne s’agit donc pas de frais actuels mais de frais potentiels, à venir.
    De véritables bombes à retardement pour les États qui socialisent les pertes et les prises de risques du secteur privé. Concernant les aides publiques directes aux banques, c’est le Royaume-Uni qui présente le chiffre le plus élevé en valeur absolue (plus de 80 milliards d’euros), suivi par l’Allemagne (65,7 milliards). Toutefois, l’État pour qui le secours aux banques représente la plus lourde charge compte tenu de la taille de son économie est de loin l’Irlande, avec presque 40 % de son PIB. Il est suivi par la Grèce (19 % du PIB), Chypre (10 %), la Belgique et l’Espagne (environ 6 %). En matière de garanties publiques octroyées au secteur bancaire, les derniers chiffres publiés, ceux de 2013, indiquent que l’État espagnol est celui qui maintient les garanties les plus élevées en termes absolus (95,1 milliards d’euros). Il est suivi par l’Italie (81,1) et la France (68). Toutefois, c’est bien pour l’Irlande et la Grèce que ces garanties pèsent le plus proportionnellement à leur PIB (respectivement 40,5 % et 28 %). Il s’agit là de véritables bombes à retardement pour les États qui, en plus d’une socialisation des pertes, socialisent les risques du privé (ici, les banques). En 2017, les finances publiques de l’Italie, la troisième plus grande économie de la zone euro, sont les plus menacées par la mauvaise santé de ses banques privées.

En conclusion : Entre 2008 et 2017, la dette publique a fortement augmenté en conséquence du coût des sauvetages bancaires et des politiques néolibérales d’austérité. Il est fondamental d’insister sur les causes et les responsabilités de l’augmentation de la dette publique. Car dans le futur, dans la bataille des idées, on assistera à une nouvelle offensive de la droite pour attribuer aux dépenses publiques la responsabilité de la crise.

 

 

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