L’Afrique du Sud fragilisée par la pauvreté et la mal-gouvernance

En décembre dernier, l’ANC a tenu sa 54e conférence nationale dans un climat tendu, marqué par un grave conflit autour de la succession du président Jacob Zuma[1]. Élu en 2009, Zuma a gouverné un pays qui apparaît aujourd’hui profondément déstabilisé par la pauvreté, la violence et la corruption. L’ANC, qui continue de dominer la scène politique[2], est visiblement en perte de vitesse. Les problèmes de gouvernance s’accumulent. L’économie ne va pas bien. Vingt-quatre ans après la fin de l’apartheid, c’est l’incertitude.

Turbulences

Lors de la conférence de l’ANC, un nouveau chef, Cyril Ramaphosa[3], a été élu à sa tête, ce qui devrait en principe le conduire à l’élection de 2019 et éventuellement à la présidence du pays. Cette personnalité dispose de puissants appuis, du monde des affaires d’une part (pour qui il représente la promesse d’une certaine stabilité), mais d’autre part, également des secteurs de gauche de l’ANC, notamment le Parti communiste sud-africain et la centrale syndicale COSATU. Pour arriver jusque-là, Ramaphosa a dû vaincre la candidate promue par le président Zuma, Nkosazana Dlamini-Zuma[4]. Cependant, lors de l’élection des membres du comité exécutif de l’ANC, trois des six personnes proviennent du camp Zuma, ce qui laisse présager qu’il sera difficile pour Ramaphosa d’imposer ses vues. À court terme, la question est de savoir si Zuma va démissionner rapidement comme président de la République, avant l’expiration officielle de son terme en 2019. S’il le fait, Ramaphosa pourra plus facilement imposer son autorité. S’il le ne fait pas, il pourrait y avoir jusqu’à la prochaine élection une sorte de dualité de pouvoir, entre le président de la République d’une part (Zuma) et le président de l’ANC d’autre part (Ramaphosa).

Un pays riche plein de pauvres

Pendant que l’incertitude politique demeure, l’Afrique du Sud « post-apartheid » est autrement interpellée. Une grande partie de la population a été laissée derrière, tant et si bien que les promesses faites en 1994, au moment où l’ANC est arrivée au pouvoir, semblent terriblement loin de la réalité.

Avec le Brésil, l’Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire au monde. Un pour cent de la population dispose de 67 % de la richesse nationale. Selon les estimations du gouvernement sud-africain, plus de la moitié de la population est en dessous du seuil de la pauvreté[5]. Or, cette pauvreté demeure racialisée : 64 % des pauvres sont Africains, contre 1 % des Blancs (et 41 % des Métis – les Coloured)[6]. Un autre indicateur de cette inégalité est le chômage. Près de 40 % des Africains sont sans travail. Par ailleurs, les bas salariés (plus de 5,5 millions sur un total de 13,1 millions) vivotent avec un salaire minimum officiel de 1,44 $ (US) par jour. Environ 20 % de la population ne peuvent pourvoir à leurs besoins essentiels. Autour des grandes villes, on recense plus de 2 500 ghettos. Or, depuis 1994, le taux de pauvreté a augmenté[7]. Entre-temps, le salaire des 5 % mieux payés a augmenté de 40 %, pendant que celui des 5 % les plus pauvres a chuté de 17 %.

Selon la classification de la Banque mondiale, l’Afrique du Sud fait pourtant partie du club sélect des pays dits « émergents ». C’est en fait le pays de loin le plus riche d’Afrique, avec un taux de croissance de près de 3 % depuis le début de la décennie (en baisse depuis 2008) et un PNB de plus de 500 milliards de dollars. La richesse est basée sur les immenses ressources naturelles (minières et agricoles), surtout exportées vers l’Europe et la Chine. Le secteur industriel stagne depuis les années 1980, mais les services (publics et privés) absorbent une part croissante de la population active. Cependant, le contraste est grand lorsqu’on regarde les choses du point de vue de l’indice du développement humain (IDH) : l’Afrique du Sud se classe au 121e rang sur 177 pays.

Un problème qui vient de loin

Quand l’ANC est arrivée au pouvoir en 1994, l’Afrique du Sud était déjà un pays de pauvreté extrême et d’inégalités. Dès l’arrivée des Européens (au 17e siècle avec les Hollandais, puis au 18e siècle avec les Britanniques), les populations locales (les Khoisans dans l’ouest et les Ngqika Xhosas et les Zoulous dans l’est) ont été anéanties, pourchassées et expulsées de leurs terres, placées dans diverses formes d’esclavage. On a enfermé les Africains dans des réserves misérables et confiné les populations urbanisées dans des ghettos dépourvus d’infrastructures et de services. Affamés et dépossédés, les Africains sont devenus une immense force de travail corvéable, vivant dans un système concentrationnaire qui avait peu à envier à ce que les nazis ont mis en place lors de leur invasion de l’Europe centrale et de l’URSS. Les tentatives de revendiquer de meilleures conditions ont été brisées dans le sang pendant au moins 200 ans.

Les dégâts de l’apartheid

C’est de cela qu’a hérité le Parti national en décrétant ce qui existait déjà, mais qui n’avait pas encore le nom d’apartheid en 1948. À l’époque, l’expansion du secteur minier exigeait une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse ; il fallait donc déraciner les dernières poches de communautés africaines, tout en allant chercher d’autres semi- esclaves dans les pays environnants. Le système concentrationnaire a été « modernisé », renforcé, avec de puissants dispositifs de contrôle et de répression. Près de 3,5 millions d’Africains ont été expulsés et déplacés vers les bantoustans, des territoires de misère que l’Afrique du Sud voulait « indépendants ». Autour des concentrations minières et industrielles ont été érigés de nouveaux ghettos comme Soweto, où ont afflué des centaines de milliers d’Africains dans une pauvreté dégradante. Pendant ce temps, l’économie sud-africaine roulait à plein régime, avec de très importants investissements étrangers. La grande majorité des Blancs (20 % de la population) a connu une embellie de sa situation, avec des conditions de vie similaires à ce qui prévalait dans les pays capitalistes dits « avancés ».

Au tournant des années 1970, cette société déchirée a connu plusieurs transformations. L’économie a commencé à fléchir. Érigée sur la main-d’œuvre à bon marché et l’abondance des ressources minières, la prospérité a commencé à décliner en fonction des mutations de l’économie internationale et des limitations du marché intérieur en fonction de l’exclusion de la majorité africaine. Après des années de répression, cette majorité a commencé à reprendre des forces avec les premières grèves (1973) et surtout, la révolte des jeunes de Soweto (1976). Du puissant mouvement populaire dans une large mesure auto-organisé, l’apartheid est alors entré dans une crise terminale. Malgré diverses tentatives de « relookage », le pays s’est enfoncé, imposant aux élites économiques et politiques d’accepter le fait inéluctable du changement. Des négociations ont été entamées avec l’ANC pour trouver une solution et c’est ce qui s’est passé en 1994.

Les grands compromis de la transition

Au tournant des années 1990, l’ANC a senti son heure arrive. Il apparaissait irréaliste de « prendre le pouvoir », compte tenu des limites de l’organisation et du rapport de forces contre un État de l’apartheid certes affaibli, mais encore puissamment doté. Sous l’influence du milieu des affaires sud-africain et des États-Unis, les négociations ont été entamées pour arriver à un compromis sur le plan politique. L’Afrique du Sud allait devenir démocratique, unitaire, respectueuse sur le plan juridique des droits de tout le monde. Ceci impliquait que la majorité africaine allait devenir dominante sur le plan politique, ralliée derrière le drapeau de l’ANC et de Nelson Mandela. Dans ce sens, on peut dire que l’apartheid a alors été enterré.

La négociation était cependant basée sur un autre grand compromis. Historiquement, le programme de l’ANC (la « Charte de la liberté ») promettait une grande transformation économique, et surtout la réappropriation par la majorité africaine des richesses volées par le colonialisme et l’apartheid. Confronté à l’opposition non négociable des élites sud-africaines et des pays capitalistes les plus impliqués en Afrique du Sud, Nelson Mandela a alors capitulé, en promettant qu’il n’y aurait ni nationalisation des grandes entreprises ni réforme agraire substantielle. Autrement dit, l’ANC s’engageait à changer le pays, sans en changer la structure économique.

L’ANC et la redistribution

Lors de l’élection de 1994, sous la pression des mouvements populaires, l’ANC a cependant nuancé cette orientation. Sous la pression des mouvements populaires, un programme de nature sociale-démocrate a été mis sur la table autour d’un « plan pour la reconstruction et le développement » (RDP)[8]. Le programme prévoyait de forts investissements dans le logement, la santé et l’éducation, ce qui devait favoriser par la bande la croissance du marché intérieur.

Après la mise en place du nouveau gouvernement en 1994, plusieurs mesures ont été mises en place. Les transferts financiers vers les secteurs les plus pauvres, très majoritairement africains, ont été énormément augmentés. Seize millions de personnes (contre moins de 2,5 millions avant 1994) ont reçu des appuis de l’État sous forme de pensions de retraites, d’aides aux personnes handicapées et divers autres programmes. L’aide destinée aux enfants a probablement été le programme le plus spectaculaire, avec une hausse de 1 200 % durant la dernière décennie. Aujourd’hui, un tiers de la population (18 millions de personnes) reçoit une aide financière de l’État. Entre-temps, le gouvernement a entrepris un ambitieux programme de construction de maisons. Dans les ghettos, plusieurs millions de personnes ont bénéficié d’aide pour reconstruire ou améliorer leurs logis. Les infrastructures ont été améliorées.

La croissance sans emploi

Vers la fin des années 1990 cependant, les limites de l’impact de ces programmes sont apparues plus fortement. Si les revenus provenant des programmes sociaux ont augmenté, la majorité africaine s’est appauvrie du fait du chômage. Une grande partie des emplois non qualifiés dans les mines, l’industrie et les services ont été abolis dans le contexte de l’utilisation de nouvelles technologies et de diverses mesures des entreprises pour économiser sur les coûts salariaux. Les emplois qualifiés ont augmenté relativement, mais pas du tout au même rythme que l’augmentation de la population, dans un contexte où les Africains, relativement peu scolarisés, sont moins bien préparés. La croissance économique (environ 3 % jusqu’à 2008) s’est produite selon les investissements en technologie, les rachats d’entreprises, plutôt que par la création d’emplois[9]. Cette situation s’explique en partie par l’affaiblissement du secteur manufacturier. Relativement imposante jusque dans les années 1980, l’industrie manufacturière a subi le choc de la compétition internationale, notamment celle en provenance de l’Asie. Après 1994, le gouvernement sud-africain a pensé être en mesure de compétitionner et a décidé de supprimer les barrières tarifaires et de suivre les prescriptions du FMI et de la Banque mondiale concernant la libéralisation des échanges[10]. Cela a mené en pratique à l’abolition de plusieurs dizaines de milliers d’emplois.

Des obstacles persistants

Par ailleurs, la revitalisation des ghettos s’est heurtée au surpeuplement (l’exode rural s’est aggravé, de même que l’influx d’immigrants-es d’Afrique). Par ailleurs, en héritant d’une structure urbaine spatialement ségrégée, l’Afrique du Sud actuelle reste polarisée entre des villes encore majoritairement blanches (et métisses), bien pourvues en infrastructures et services, et les anciens ghettos, formellement rattachés aux villes « blanches », mais en pratique séparés par la distance, l’insuffisance des transports publics et l’inégalité des ressources[11]. À Cape Town, 22 % de la population (sur 3 millions d’habitants) vivent encore dans des abris informels (les « shacks ») dans les quartiers pauvres (les anciens ghettos) de Langa, Guguletu et Khayelitsha.

Depuis 2008, la situation s’est aggravée. La fin du boom des ressources a provoqué de nombreuses fermetures dans le secteur minier, lui-même affecté par l’utilisation de nouvelles technologies permettant de réduire le travail salarié. Cela explique en partie le fait que le chômage en Afrique du Sud est de longue durée, un grand nombre de salariés ne réussissant tout simplement pas à se trouver un nouvel emploi, mais en acceptant des conditions de travail moins intéressantes. Le secteur public, qui a au début absorbé beaucoup de monde, est relativement saturé.

La non-réforme agraire

Quand l’ANC a été élue en 1994, elle avait promis de redistribuer 25 millions d’hectares, soit environ 30 % des terres cultivées, à 600 000 familles qui pouvaient démontrer que leurs ancêtres avaient été expulsées. Cependant, en fonction du « compromis » agréé en 2004, ces terres ne pouvaient pas être nationalisées. Le gouvernement s’engageait à les acheter (au prix courant), puis à les revendre (avec des subsides) aux acheteurs privés potentiels. En partant, cette formule rendait le processus très difficile. Dans plusieurs régions du pays, le prix des terres est très élevé (on pense notamment aux régions agro-industrielles et agro-exportatrices comme la péninsule du Cap). D’autre part, le gouvernement ne pouvait pas forcer le propriétaire à vendre. Enfin, la restitution était souvent compliquée parce que les demandeurs (africains) n’avaient pas de preuve légale que leurs ancêtres avaient été expulsés ou expropriés. Le résultat de tout cela, c’est que moins de 10 millions d’hectares ont été redistribués (chiffres de 2014). Il appert d’autre part que plusieurs de ces terres redistribuées n’ont pu être mises en exploitation, faute d’appui technique et d’infrastructures. Dans les régions rurales, la pauvreté continue d’être beaucoup plus aigüe que dans les régions rurales. Chaque mois, l’exode rural mène vers les villes et en réalité vers les ghettos, des dizaines de milliers de personnes, ce qui fait que la construction de maisons et d’infrastructures reste largement dépassée par cette augmentation de la population.

Une opinion polarisée

Les secteurs les plus pauvres, en dehors des grands centres urbains, encore largement ruraux, qui ont gagné le plus, relativement parlant, des programmes sociaux, restent attachés à l’ANC, ce qu’ont démontré les résultats des dernières élections municipales.

Une autre catégorie de la population qui se pense satisfaite est composée d’une nouvelle « classe moyenne » africaine. Il appert maintenant que des Africains constituent environ la moitié des 10 % les plus riches. Certes, à part quelques millionnaires, il s’agit de professionnels hautement qualifiés, ainsi que de cadres d’entreprises privées. C’est une masse considérable qui vit déjà des conditions de vie similaires à ceux des Blancs et qui aspire à augmenter sa consommation personnelle. Plusieurs d’entre eux ont bénéficié des politiques mises en place en 1997 par la Black Economic Employment Commission. En gros, les entreprises transigeant avec l’État obtiennent un traitement préférentiel si elles peuvent démontrer qu’elles embauchent des employés et cadres africains. Les entreprises minières notamment doivent démontrer que plus de 20 % de leurs cadres sont Africains si elles veulent préserver leurs droits miniers. Plus de 20 % des actions enregistrées par la bourse de Johannesburg sont détenues par des Africains ; Ramaphosa lui-même est rendu là où il est grâce à cette politique.

Dans les centres urbains au niveau de couches populaires, le mécontentement est palpable. Une contestation rampante traverse les ghettos autour de Johannesburg, Cape Town, Durban, Port Elizabeth. Des mouvements sporadiques, mais fréquents, mettent plusieurs milliers de citoyens dans la rue pour protester contre les hausses de tarifs ou les coupures de services. Les frasques de Zuma, les histoires de corruption qui se multiplient, le déclin généralement perçu des services publics sont autant de points de rupture entre une partie importante de la population et l’ANC. Cependant, cette coupure n’a pas encore atteint un seuil critique. La centrale COSATU, certes affaiblie par la défection de plusieurs milliers de ses membres, continue un peu à rebrousse-poil d’appuyer l’ANC. Elle s’est même retrouvée à appuyer le millionnaire Ramaphosa, alors que celui-ci est fortement critiqué pour son implication (à titre d’actionnaire important de l’entreprise Lonmin), lorsque 34 mineurs alors en grève ont été tués à Marikana en août 2012.

L’avenir incertain entre la confrontation et le réalignement politique

Chose certaine, la grande histoire d’amour entre la majorité africaine et l’ANC est en train de s’estomper. Reste à voir ce qui peut constituer une alternative. Les mouvements sociaux « traditionnels », dont les syndicats, sont affaiblis par le rapport de forces défavorable qui permet à l’État et aux entreprises de résister aux revendications. Cela affecte même les dissidents syndicaux qui viennent de mettre en place une nouvelle centrale, la South African Federation of Trade Unions (SAFTU), qui se retrouvent dans une posture très fragile pour défendre les intérêts de leurs membres. Sur la scène communautaire, les organisations traditionnelles (les « civics ») qui avaient joué un rôle important dans la lutte contre l’apartheid sont presque inexistantes, alors que la nouvelle génération de groupes populaires reste fragmentée. Les jeunes, éternels réservoirs de résistance, se sont activés récemment, notamment lors de mobilisations contre les hausses des frais d’inscription. Cette campagne assez populaire aux yeux de la population n’a cependant pas débouché sur la réorganisation du mouvement étudiant.

Sur le plan politique, la principale opposition, la Democratic Alliance, ne peut constituer un pôle national, puisque son origine et sa base restent largement confinées aux populations non africaines, et qu’elle développe une critique de l’ANC plutôt à droite (le mouvement serait encore trop « socialiste »). Des dissidents venant des rangs de l’ANC ont constitué en 2013 les Economic Freedom Fighers, inspirés par une tradition populiste qui ne s’est jamais éteinte au sein du mouvement. Julius Malema, un ancien chef de la Ligue des jeunes de l’ANC, est bien connu dans les ghettos pour son franc-parler et son audace dans la confrontation avec l’ANC ; ce parti reste néanmoins confiné à une frange étroite de l’électorat (6,4 % aux élections de 2014).

Reste la gauche, elle aussi divisée entre plusieurs courants. Le Parti communiste, de loin l’organisation la mieux structurée, est très hésitant. Depuis des décennies, ce parti a fait le pari de fonctionner dans l’ANC un peu comme l’aile gauche du parti. Depuis 1994, ses leaders ont occupé d’importants postes dans les gouvernements. En 1999, les communistes ont aidé Zuma à renverser Mbeki, accusé d’avoir abandonné les objectifs de justice sociale. Avec Zuma cependant, leur cause n’a pas progressé, au contraire, au point où ils ont été forcés de se joindre à la contstation qui a débouché en décembre dernier avec l’intronisation de Ramaphosa. Les communistes sont également inquiets de voir se concrétiser un nouveau « parti des travailleurs », promu par le puissant syndicat des métallurgistes[12].

Dans l’attente

Pour autant, le nouveau chef cherche à se détacher de l’influence du PC. Son programme politique est présentement peu clair. Il veut d’abord se débarrasser de Zuma et de l’image de corruption et de populisme qui s’en dégage. En même temps, en tant que membre de l’élite sud-africaine, il est difficile d’imaginer qu’il pourrait opérer un virage politique qui reviendrait aux racines de l’ANC et du programme de restructuration de 1994. Lors de la conférence nationale de décembre dernier, les délégués conscients de la dégringolade de la popularité de l’ANC ont adopté des résolutions pour « relancer la réforme agraire » en invoquant qu’on pourrait rompre avec l’idée que celle-ci doit se faire strictement volontairement, selon les prix du « marché », et avec des « compensations » une autre résolution qui se voulait un appel aux masses a été de réclamer l’accès gratuit aux universités pour les jeunes des couches populaires.

Il est encore trop tôt pour voir ce qui va se passer au sein de l’ANC et du gouvernement, d’autant plus que, comme expliqué auparavant, Ramaphosa doit d’abord établir son contrôle sur un appareil d’État profondément gangrené par les réseaux d’influence et de patronage du président sortant Jacob Zuma.

Notes

[1] Zuma, un cadre politique et militaire historique de l’ANC, a occupé plusieurs postes de hautes responsabilités au sein du gouvernement. Natif de la province du Zululand, il dispose d’un fort appui parmi cette population. Il était parvenu au pouvoir en 2009 après l’éviction de Thabo Mbeki, le successeur de Mandela. Tout au long de ses deux mandats, Zuma a fait l’objet de plusieurs accusations (malversation, corruption, violences sexuelles). Aucune de ces accusations n’a cependant débouché sur des condamnations.

[2] L’ANC, après avoir remporté la première élection démocratique en 1994 avec plus de 60 % des voix, a gagné les élections subséquentes en 1999, 2004, 2009 et 2014. Lors des élections municipales de 2016, le mouvement a cependant perdu plusieurs grandes villes, notamment Johannesburg, Pretoria, Port Elizabeth et Cape Town. L’ANC est toutefois restée dominante dans les moyennes et petites villes, en emportant, à l’échelle de tout le pays, 53 % des votes.

[3] Dans les années 1980 à l’époque de l’apartheid, Ramaphosa a dirigé le puissant syndicat des mineurs. En 1994, il est devenu l’un des principaux adjoints de Mandela, mais il été écarté de la direction par Thabo Mbeki. Par après, profitant de la politique de l’État et de l’encouragement des grandes entreprises, il s’est lancé dans les affaires (mines, immobilier, chaînes sud-africaines de McDonald et Coca-Cola, etc.). On estime sa fortune à plus de 450 millions de dollars.

[4] Elle a été ministre dans les gouvernements sud-africains de l’après-apartheid. De 2012 à 2017, elle a été présidente de l’Union africaine. Elle est également l’ex-épouse de Zuma de qui elle a divorcé en 1998.

[5] Les indicateurs quantitatifs utilisés dans ce texte proviennent des études de Jeremy Seekings et Nicoli Nattrass (Poverty, Politics & Policy in South Africa,  Jacana Media, 2016) et Colin Bundy (Poverty in South Africa, Past and Present,  Jacana Media, 2017).

[6] Il n’en reste pas moins qu’une partie de la population africaine s’est enrichie. Environ la moitié du secteur le plus riche est maintenant composée d’Africains.

[7] South African Institute of Race Relations, South African Survey, novembre 2007.

[8] Inspiré par la centrale syndicale COSATU, le « Macro Economic Research Group » (MERG) mis en place par des chercheurs sud-africains et internationaux a proposé des transformations keynésiennes espérant propulser le pays vers une version africaine de la social-démocratie européenne, tout en préservant la structure fondamentale du capitalisme.

[9] Les économistes appellent ce phénomène « jobless-growth ».

[10] En 1994, le MERG avait mis en garde le nouveau gouvernement contre l’adoption trop rapide des mesures de libéralisation de l’économie. Le deuxième gouvernement présidé par Thabo Mbeki a décidé de laisser tomber les orientations précédentes en faveur d’un plan de développement d’orientation néolibérale, le Growth, Employment and Redistribution (GEAR).

[11] Les 800 et quelques municipalités de l’apartheid ont été amalgamées en plus ou moins 250 « nouvelles » villes unifiées, telles Johannesburg-Soweto. Même si on dispose maintenant d’une seule entité municipale, la disparité reste immense entre les quartiers majoritairement blancs et les anciens bidonvilles. Il n’est plus interdit de déménager, mais pour la grande majorité des Africains, le coût de la vie dans l’ancienne ville blanche est prohibitif.

[12] Ce syndicat, NUMSA, s’est détaché de l’ANC il y a quelques années et est maintenant le fer de lance de la nouvelle centrale syndicale SAFTU. Avec quelques petits groupes de gauche, le syndicat a lancé l’idée de créer un nouveau parti de gauche. Après deux ans, le projet n’a toujours pas démarré.

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