Le socialisme et la question coloniale

Marx face au monde non européen

Dans les années 1850 et 1860, les mouvements inspirés par l’AIT poursuivent leurs avancées. Les syndicats et les embryons de partis socialistes progressent, notamment en Angleterre et en Allemagne, tout en étendant leur influence en Europe du Sud (France, Belgique, Italie, Espagne), ainsi que dans les régions centrales et même en Russie. Habitant dans la capitale de l’Empire, Marx observe tout cela. En tant que journaliste-correspondant du grand journal de New York (the Daily Tribune), il commente l’actualité européenne, notamment les péripéties entourant l’avancée de l’Empire britannique dans le monde. Ses écrits de l’époque sur la Chine et surtout sur l’Inde sont teintés de son optimisme initial sur la « marche irrésistible de l’histoire. On perçoit également la tradition de Hegel et d’un universalisme défini par la philosophie européenne »1.

Le colonialisme britannique en Inde, au-delà des prédations et des atrocités qu’il commet, aura pour effet d’introduire le capitalisme dans ce pays, et de ce fait, de briser une société immuable caractérisée par le despotisme, une « vie stagnante, végétative, sans dignité ». Selon Marx, l’intervention anglaise, même si elle est motivée par les « intérêts les plus abjects »2, a produit ainsi la plus grande, et à vrai dire, la seule révolution sociale qui ait jamais eu lieu en Asie3. Certes, ajoute-t-il, le colonialisme anglais est motivé par les « intérêts les plus abjects », mais en réalité, l’Angleterre a permis l’établissement des fondations matérielles de la société moderne en Asie.

Au bout du compte, Marx estime que l’expansion du capitalisme à l’échelle mondiale porte en soi les éléments d’un dépassement. Il s’oppose au protectionnisme et se retrouve du même côté que la bourgeoisie britannique et ses propositions d’imposer le « libre-échange » à l’échelle mondiale, parce que cela, estime-t-il, va accélérer le processus contradictoire sur lequel repose le capitalisme et donc entraîner sa chute4.

Le double impact du colonialisme selon Marx

[…] aussi triste qu’il soit du point de vue des sentiments humains de voir ces myriades d’organisations sociales patriarcales, inoffensives et laborieuses se dissoudre, se désagréger en éléments constitutifs et être réduites à la détresse, et leurs membres perdre en même temps leur ancienne forme de civilisation et leurs moyens de subsistance traditionnels, nous ne devons pas oublier que ces communautés villageoises idylliques, malgré leur aspect inoffensif, ont toujours été une fondation solide du despotisme oriental, qu’elles enfermaient la raison humaine dans un cadre extrêmement étroit, en en faisant un instrument docile de la superstition et l’esclave de règles admises, en la dépouillant de toute grandeur et de toute force historique. Nous ne devons pas oublier l’exemple des barbares qui, accrochés égoïstement à leurs misérables lopins de terre, observaient avec calme la ruine des empires, leurs cruautés sans nom, le massacre de la population des grandes villes, n’y prêtant pas plus d’attention qu’aux phénomènes naturels, eux-mêmes victimes de tout agresseur qui daignait les remarquer. Nous ne devons pas oublier cette vie végétative, stagnante, indigne, que ce genre d’existence passif déchaînait d’autre part, par contrecoup, des forces de destruction aveugles et sauvages, faisait du meurtre lui-même un rite religieux en Hindoustan. Nous ne devons pas oublier que ces petites communautés portaient la marque infamante des castes et de l’esclavage, qu’elles soumettaient l’homme aux circonstances extérieures au lieu d’en faire le roi des circonstances, qu’elles faisaient d’un état social en développement spontané une fatalité toute-puissante, origine d’un culte grossier de la nature, dont le caractère dégradant se traduisait dans le fait que l’homme, maître de la nature, tombait à genoux et adorait Hanumân, le singe, et Sabbala, la vache. Il est vrai que l’Angleterre, en provoquant une révolution sociale en Hindustan, était guidée par les intérêts les plus abjects (…). Mais la question n’est pas là. Il s’agit de savoir si l’humanité peut accomplir sa destinée sans une révolution fondamentale dans l’état social de l’Asie. Sinon, elle fut un instrument inconscient de l’Histoire en provoquant cette révolution5.

L’éventuelle destruction du capitalisme et l’avènement d’une société socialiste se feront dans les pays « avancés », industrialisés et modernes, grâce à l’action du prolétariat. Ce prolétariat, pense Marx, est défini à l’intérieur de l’Europe (et plus tard de l’Amérique du Nord), ce qui fait que les peuples non européens n’ont pas la possibilité de participer directement à l’émancipation.

Plus tard cependant, la position de Marx évolue. D’abord, il constate les ravages épouvantables du colonialisme, ce qui tempère fortement son enthousiasme pour la « mission régénératrice ». Il voit bien que la conquête de l’Inde, au lieu d’apporter la modernisation capitaliste, entraîne la multiplication des famines et la destruction de l’économie locale6. Dans d’autres articles pour le Daily Tribune, il dénonce les massacres des femmes et des enfants qui suivent l’écrasement de la grande révolte indienne de 18577.

La grande révolte indienne (1857)

Au départ, c’est une mutinerie des soldats indiens dans le nord de l’Inde. Par la suite, cette révolte s’étend partout et devient dans l’imaginaire indien la première guerre d’indépendance. La répression est terrible (plusieurs centaines de milliers de morts), dont des massacres de grande envergure perpétrés contre des femmes et des enfants, ce qui suscite beaucoup d’émoi en Angleterre.

Également, il comprend que le capitalisme « moderne », « occidental » assoit sa domination sur l’impérialisme et le colonialisme. Les peuples subjugués sont « surexploités », générant des surprofits qui alimentent le capitalisme. Les puissances impérialistes « restructurent » à leur profit les économies des colonies (par exemple, en forçant leur adaptation aux besoins des marchés des puissances). Il souligne le caractère prédateur de l’aventure coloniale. En fin de compte constate-t-il, le principe à la base du capitalisme, soit l’accumulation, impose une constante expansion qui est un processus à la fois « interne » aux formations sociales capitalistes et « externe » via l’emprise du capital imposée à des zones géographiques de plus en plus vastes. Entre le capitalisme « moderne » et le pouvoir colonial se construit une sorte de symbiose où l’un devient articulé à l’autre.

Le capitalisme prédateur

Tout ce que la bourgeoisie anglaise sera obligée de faire en Inde n’émancipera la masse du peuple ni n’améliorera substantiellement sa condition sociale, car ceci dépend non seulement du développement des forces productives, mais aussi de leur appropriation par le peuple. Ce qu’elle ne manquera cependant pas de faire, c’est créer les conditions matérielles pour les deux. La bourgeoisie n’a-t-elle jamais fait plus? N’a-t-elle jamais effectué un progrès sans traîner les individus et les peuples à travers le sang et la boue, la misère et la dégradation? Les Indiens ne récolteront pas les fruits des éléments de la nouvelle société semés de-ci de-là parmi eux par la bourgeoisie anglaise, jusqu’à ce qu’en Angleterre elle-même les classes dominantes aient été supplantées par le prolétariat industriel, ou que les hindous eux-mêmes soient devenus assez forts pour rejeter définitivement le joug anglais8.

Plus encore, selon Marx, le pouvoir des dominants repose en bonne partie sur la discrimination et le racisme, qui permettent d’opposer les prolétaires les uns envers les autres. Il observe cela de près en Angleterre, où le pouvoir des capitalistes se renforce du fait de la subjugation de l’Irlande qui est non seulement la « chasse gardée » de l’ancienne oligarchie féodale, mais qui est devenue une réserve de main-d’œuvre bon marché. Les ouvriers anglais, dit-il, détestent les ouvriers irlandais, ce qui crée non seulement une culture raciste, mais les conduit à appuyer « leur » classe dominante.
Dans ses écrits subséquents, Marx se distancie de la vision optimiste de l’histoire qu’il avait exprimée auparavant. Il estime que le capitalisme tel qu’il s’est développé en Europe occidentale n’est pas une « fatalité », qu’il y a d’autres voies. Dans son œuvre maîtresse, Le Capital, il s’éloigne d’une vision unilinéaire des origines du développement du capitalisme et insiste plutôt sur la profusion des formes qui se différencient à travers les conditions spécifiques de chaque société sur le plan écologique et historique9.
Marx correspond avec les premiers socialistes russes, dont Vera Zassoulitch, avec qui il évoque la force des communes paysannes dites « primitives », basées sur la propriété collective de la terre et qui pourraient, dit-il, être « le point d’appui de la régénération sociale en Russie »10. Par déduction, on peut alors penser qu’il cesse de voir l’Inde ou d’autres sociétés colonisées néo-capitalistes comme « stagnantes » et « arriérées ». Ces réflexions ouvrent la voie à des recherches originales sur les sociétés non européennes que commencent à déchiffrer les intellectuels et les socialistes.

Dans ses derniers travaux, Marx étudie l’histoire de diverses sociétés où la transition entre les systèmes féodaux et le capitalisme s’effectue d’une manière totalement différente de celle qui a eu lieu en Angleterre et dans les pays d’Europe occidentale. Il met en garde ses lecteurs et amis de voir dans le schéma de son analyse du capitalisme une sorte de « théorie historico-philosophique de la marche générale, fatalement imposée à tous les peuples, quelles que soient les circonstances historiques où ils se trouvent placés »11. En fin de compte, Marx ne voit plus la modernisation comme une simple « occidentalisation ». « Il ne prend plus l’évolution européenne comme mesure de toute histoire »12.
La théorie critique, dit-il, ne peut être un « passe-partout » et doit étudier le processus en cours dans des milieux historiques différents où les résultats peuvent être tout à fait disparates.

Les limites de l’européocentrisme

Au-delà des questions polonaises et irlandaises, les luttes d’émancipation nationale occupent très peu de place dans les travaux de l’AIT. Quelques correspondances sont établies avec des individus et des groupes en Amérique latine, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, qui sont surtout composés d’immigrants européens, comme ces anarchistes italiens établis en Égypte qui sont sous l’influence de l’anarchiste italien Malatesta.
En tout et pour tout, la Première Internationale n’a pu démêler la question coloniale. La plupart du temps, c’est le silence et l’ignorance qui ont prévalu, sur un fort fond de préjugés bien installés dans cette conception selon laquelle le prolétariat européen est « porteur de l’histoire ».

Cependant, devant la montée des luttes d’émancipation nationale, les socialistes européens et l’AIT sont appelés à évoluer. Pour autant, si les luttes de l’Irlande et de la Pologne « méritent » d’être appuyées, c’est qu’elles proviennent de « nations historiques » (et non de « reliques de peuples » selon l’expression insultante d’Engels). Par ailleurs, le droit à l’autodétermination est un principe plutôt circonstanciel, puisque dans l’imaginaire de l’époque, les « grandes nations avancées » favorisent le développement historique et donc l’essor du socialisme. Dans les deux cas qui sont l’objet de débats, l’argument de Marx est par ailleurs « utilitaire » : la lutte ouvrière en Angleterre ne peut se renforcer à moins que ne survienne l’indépendance de l’Irlande, car sa subjugation à l’Empire favorise la classe dominante et distille dans l’esprit des prolétaires anglais le poison du racisme. Dans ce contexte, mais dans ce contexte seulement, luttes nationales et luttes sociales deviennent complémentaires13.

Le colonialisme en débat

Entre-temps, les puissances relancent l’aventure coloniale. En 1884, les États européens se repartagent l’Afrique et « modernisent » l’esclavage. L’Empire britannique consolide son emprise sur l’Inde. Les États-Unis envahissent Cuba et les Philippines. Le Japon s’empare d’une partie de la Chine. Les Balkans sont la proie des empires tsariste, austro-hongrois et ottoman).

Dans le sillon de cette entreprise de prédation, des massacres sans précédent sont perpétrés par les puissances coloniales. Au Congo dit « belge », la colonie est une propriété personnelle du roi Léopold ll. Entre 3 et 10 millions de Congolais sont tués par le travail forcé et les prédations de l’armée au début du vingtième siècle. Selon Adam Hochschild, c’est un génocide14. En Namibie, sous l’occupation allemande, l’armée allemande est responsable du massacre des héros en 1904. Le général Lothar van Trotha donne l’ordre à ses soldats d’exterminer les Africains (Vernichtungsbefehl).

Génocide en Namibie

Environ 100 000 Africains sont tués dans ce pays d’Afrique australe en 1907. L’armée allemande utilise les techniques de la guerre moderne et force les survivants à fuir vers le désert où ils meurent par milliers.

Des survivants hereros

De retour en Allemagne, il est nommé général d’infanterie. Les socialistes allemands protestent, sans plus. En France, le leader socialiste Jean Jaurès appuie la colonisation de l’Algérie; « Ces peuples sont des enfants », affirme-t-il. On pourra les civiliser en construisant des écoles. Pour autant, il critique les pratiques brutales de l’armée française. Plus tard, lors de l’invasion du Maroc, il prend parti en faveur des Marocains15. Des socialistes américains demandent l’expulsion des travailleurs chinois et japonais16.
Au début du siècle, l’Internationale revient plusieurs fois sur la question coloniale. À Paris en 1900, le congrès invite « les peuples à combattre la politique d’expansion et à dénoncer les modes d’oppression employés alors ». Cette condamnation ambiguë laisse entendre qu’il peut y avoir une politique coloniale socialiste17. En 1900 lors du congrès de l’Internationale à Paris, la « question coloniale » est mise à l’ordre du jour. On condamne la « politique coloniale de la bourgeoisie »18.

En 1904 à Amsterdam, des délégués anglais dénoncent les impacts du colonialisme britannique, notamment en Inde. Des participants allemands ne veulent pas que l’Internationale aille aussi loin. Il faut disent-ils, plutôt empêcher les crimes coloniaux en soumettant l’administration coloniale au contrôle parlementaire. L’opinion majoritaire, en fin de compte, est que le colonialisme est une réalité qui est là pour rester et qui ne peut être supprimée (la réalité). En Belgique, sur la question des atrocités commises au Congo, les socialistes sont divisés. Le leader Vandeveelde estime que la colonie, qui appartient au roi, doit être « prise en charge » par l’État belge et son parlement, ce qui serait selon lui une manière de démocratiser la colonisation.

En 1907, le Congrès de l’Internationale à Stuttgart (Allemagne) devient un moment d’affrontement. Les massacres en Namibie, au Congo, à Madagascar, au Vietnam, en Algérie, s’accumulent. Les délégués allemands, dont le leader socialiste Eduard Bernstein, présentent la colonisation comme un fait qu’il serait erroné de combattre. D’autre part, le régime colonial peut agir dans un sens civilisateur. Par contre, affirment-ils, il faut « dégager la colonisation de la barbarie coloniale ». Selon eux, ces pays pourraient éventuellement devenir indépendants. Selon Bernstein, « les colonies sont là pour rester. Les peuples civilisés doivent guider les peuples non civilisés. Notre vie économique repose sur des produits qui viennent des colonies que les indigènes ne peuvent pas utiliser »19

Face à cette approche, une nouvelle perspective est avancée par Karl Kautsky, un autre dirigeant de la social-démocratie allemande. Il voit la colonisation comme un développement contemporain du capitalisme, auquel doivent s’opposer les socialistes. Son point de vue, qui affirme que le combat contre l’exploitation coloniale fait désormais partie du combat socialiste, l’emporte lors du vote à la fin du congrès20.

Malgré cette avancée, les socialistes européens ne placent pas la lutte anticoloniale au premier plan. Les condamnations des exactions coloniales « sont dénoncées uniquement dans le but de souligner l’hypocrisie des classes dominantes. (Elles) ne débouchent jamais sur l’identification des indigènes comme opprimés ou persécutés dont les combats relèveraient d’une résistance légitime à l’expansion coloniale (…) Ni les indigènes ni les tribus ne sont pensés comme sujets de l’histoire avec lesquels il faut se solidariser »21. Si des mouvements sont plus vigoureux et dynamiques22, les socialistes tout en adoptant des professions de foi internationalistes restent ambigus, voire hésitants. Ils demeurent convaincus de l’inéluctabilité du socialisme23. Quant aux nations opprimées, elles n’ont qu’à être patientes !

Entre-temps cependant, des mouvements de gauche apparaissent dans les colonies. C’est le cas en Indonésie où se croisent luttes ouvrières et revendications anticoloniales, sous l’influence, notamment de Hans Sneevliet (futur fondateur du Parti communiste indonésien)24. Des syndicats apparaissent aux Philippines et en Inde où la nouvelle génération de leaders nationalistes entre en contact avec l’Internationale. En Chine, de petits noyaux militants sont influencés par l’anarchisme jusqu’à temps que le virage vers le communisme s’effectue à partir des années 1910.

De la guerre à la révolution

Les Empires continuent entre-temps leurs prédations, mais de plus en plus, ils se confrontent les uns envers les autres. Empêtrés dans leur vision évolutionniste, les socialistes, dans leur majorité, attendent le grand jour qui mènera le prolétariat triomphant au pouvoir. Des dissidents ne sont toutefois pas satisfaits de cette vision. Dans l’Empire austro-hongrois, ils essaient d’organiser des populations qui réclament leurs droits et qui n’acceptent pas de se faire traiter de « peuples sans histoire » (l’expression d’Engels). Un Autrichien, Otto Bauer, propose que les luttes nationales puissent renforcer les luttes socialistes. Il avance l’idée du droit à l’autodétermination des nations. Les affrontements se multiplient, pas seulement dans les Balkans, mais aussi en Asie où la Chine est dépecée par les grandes puissances et où surgit une puissante révolution anti-impérialiste qui met à bas l’État millénaire. Cette immense conflictualité annonce l’orage.

Au sein de l’Internationale, les Russes occupent une place singulière. Nation « semi-civilisée » selon les critères établis par les canons du socialisme, « périphérie » des métropoles impérialistes de l’ouest, la Russie est à la fois un pays capitaliste et une semi-colonie, sous le joug d’une autocratie extrêmement répressive. Le mouvement socialiste s’y développe de manière particulière, avec un radicalisme qui détonne. D’autre part, puisque l’Empire tsariste domine une vaste portion de l’Europe et de l’Asie, la résistance des nations y est très forte. Cette combinaison particulière aboutit à la révolution soviétique. Avant que n’éclatent les grands mouvements de 1917, Lénine s’interroge sur les perspectives de l’Internationale. Il est frappé de stupéfaction quand les grands partis socialistes en Allemagne, en France et en Angleterre appuient la guerre. Il constate que cet aveuglement s’inscrit en continuité avec leur incapacité de s’opposer aux pratiques impérialistes et coloniales que ces États déploient ailleurs dans le monde depuis déjà quelques années. Pour Lénine, le capitalisme est arrivé à un stade où il devient mondialisé, ce qui veut dire l’inévitabilité de la guerre.

L’impérialisme, stade suprême du capitalisme

D’embryon, l’impérialisme est devenu le système prédominant; les monopoles capitalistes ont pris la première place dans l’économie et la politique; le partage du monde a été mené à son terme; d’autre part, au lieu du monopole sans partage de l’Angleterre, nous assistons maintenant à la lutte d’un petit nombre de puissances impérialistes pour la participation au monopole, lutte qui caractérise tout le début du XXe siècle (…) L’impérialisme est l’époque du capital financier et des monopoles, qui provoquent partout des tendances à la domination et non à la liberté (…) De même se renforcent particulièrement l’oppression nationale et la tendance aux annexions, c’est-à-dire la violation de l’indépendance nationale (car l’annexion n’est rien d’autre qu’une violation du droit des nations à disposer d’elles-mêmes)25.

Lénine reprend l’idée que l’impérialisme européen s’appuie sur une partie des classes populaires en échange d’une partie des surprofits accumulés dans les colonies. Par ailleurs, estime-t-il, les nations colonisées ne sont pas seulement des victimes, mais des acteurs centraux de la lutte des classes à l’échelle mondiale26. Loin d’être un « front secondaire » qui doit patiemment « attendre » la révolution dans les pays capitalistes avancés, le mouvement de libération dans les colonies « menace le capital dans ses domaines d’exploitation les plus précieux »27. Et effectivement, la révolte se répand rapidement.
Lorsque le pouvoir des soviets est mis en place en Russie, l’idée d’étendre la révolution au reste du monde devient palpable. L’Internationale socialiste est effondrée et alors surgit l’Internationale communiste (IC). Après les échecs des tentatives révolutionnaires en Allemagne, en Hongrie, en Italie, l’IC regarde vers l’« Orient ». En 1920, des milliers de personnes se réunissent à Bakou.

Provenant de dizaines de nations, les participants-es sont surtout impliqué-es dans des luttes de libération nationale anti-impérialistes. La gauche européenne doit, affirme l’IC, en finir une fois pour toutes avec l’européocentrisme et le mépris des luttes des peuples dominés.

La révolution viendra des colonies

Le socialiste qui, directement ou indirectement, défend la situation privilégiée de certaines nations au détriment des autres, qui s’accommode de l’esclavage colonial, qui admet des droits entre les hommes de race et de couleur différentes; qui aide la bourgeoisie de la métropole à maintenir sa domination sur les colonies au lieu de favoriser l’insurrection armée de ces colonies, le socialiste anglais qui ne soutient pas de tout son pouvoir l’insurrection de l’Irlande, de l’Égypte et de l’Inde contre la ploutocratie londonienne – ce « socialiste », loin de pouvoir prétendre au mandat et à la confiance du prolétariat, mérite sinon des balles, au moins la marque de l’opprobre (…) Nous disons qu’il n’y a pas seulement au monde des hommes de race blanche (…). Outre les Européens, des centaines de millions d’hommes d’autres races peuplent l’Asie et l’Afrique. Nous voulons en finir avec la domination du capital dans le monde entier. Nous sommes convaincus que nous ne pourrons abolir définitivement l’exploitation de l’homme par l’homme, que si nous allumons l’incendie révolutionnaire, non seulement en Europe et en Amérique, mais dans le monde entier, si nous sommes suivis par cette portion de l’humanité qui peuple l’Asie et l’Afrique. L’Internationale Communiste veut que les hommes parlant toutes les langues se réunissent sous ses drapeaux. L’Internationale Communiste est convaincue qu’elle ne sera pas seulement suivie par des prolétaires d’Europe, et que, formant comme une immense réserve de fantassins, les lourdes masses paysannes de l’Asie, du proche et du lointain Orient vont s’ébranler à leur suite28.

Après Bakou, l’« incendie » se répand rapidement. La Chine devient le territoire d’une vaste révolution populaire. Plus tard, le Vietnam et d’autres pays asiatiques connaissent également des insurrections. En Afrique, c’est le début du mouvement anticolonial et dans les Amériques, des insurrections éclatent contre les États subalternes manipulés par les États-Unis, notamment au Brésil, au Nicaragua et au Salvador29. Après l’éclipse de l’IC, de nouveaux réseaux sont mis en place. Dans ce qui est maintenant nommé le tiers-monde, l’Internationalisme est relancé par la conférence de la Tricontinentale qui devient en 1965 l’Organisation de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAL). Elle regroupe des centaines d’organisations révolutionnaires en Asie, en Afrique et dans les Amériques. Sur le fond, le concept de l’AIT d’une émancipation sociale radicale se combine à la perspective anti-impérialiste.

 

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