Afrique du Sud : le roi est mort. Vive le roi !

C’est la fin de l’histoire pour le président Jacob Zuma qui a enfin démissionné de la présidence de l’Afrique du Sud.  Les jeux étaient faits depuis de la 54e conférence nationale en décembre dernier, lorsque l’ancien chef syndical devenu multimillionnaire, Cyril Ramaphosa, est devenu, contre Zuma et son clan, le nouveau chef de l’ANC.  La saga de Zuma d’autre part, est loin d’être terminée. Des dizaines d’accusations de corruption, qui n’ont pu être judiciarisées alors que Zuma avait l’impunité présidentielle, risquent de rebondir, ce qui pourrait autrement affecter plusieurs hauts responsables de l’ANC.

Un pays riche plein de pauvres

L’Afrique du Sud est, avec le Brésil, le pays le plus inégalitaire au monde. 1 % de la population dispose de 67 % de la richesse nationale. Selon les estimations du gouvernement sud-africain, plus de moitié de la population est en dessous du seuil de la pauvreté. Or 64 % des pauvres sont Africains, contre 1 % des Blancs. D’autre part, près de 40 % des Africains sont sans travail. Entre-temps depuis 1994, les écarts se sont accrus : le salaire des 5 % mieux payés a augmenté de 40 %, pendant que celui des 5 % les plus pauvres a chuté de 17 %. Pourtant l’Afrique du Sud fait partie du club sélect des pays dits « émergents », avec un taux de croissance de près de 3 % depuis le début de la décennie (en baisse depuis 2008), et un PNB de plus de 500 milliards de dollars. La richesse est basée sur les immenses ressources naturelles exportées vers l’Europe et la Chine. Cependant, le contraste est grand lorsqu’on regarde les choses du point de vue de l’indice du développement humain (IDH) : l’Afrique du Sud se classe au 121e rang sur 177 pays.

Un problème qui persiste

Quand l’ANC est arrivé au pouvoir en 1994, l’Afrique du Sud était déjà un pays de pauvreté extrême. Mandela et les autres dirigeants de l’AN pensaient bien faire en négociant un « grand compromis », dont le but était d’améliorer la situation des Africains, tout en réinventant une démocratie non raciale, mais sans toucher aux privilèges des Blancs. Historiquement, le programme de l’ANC (la « Charte de la liberté ») promettait une grande transformation économique, et surtout la réappropriation par la majorité africaine des richesses volées par le colonialisme et l’apartheid. Confronté à l’opposition des élites sud-africaines et des pays occidentaux, Nelson Mandela a capitulé, en promettant qu’il n’y aurait ni nationalisation des grandes entreprises ni réforme agraire substantielle. Certes, des progrès ont été réalisés. 16 millions de personnes (contre moins de 2,5 millions avant 1994) reçoivent des transferts monétaires de l’État. Dans les townships, plusieurs millions de personnes ont bénéficié d’aides pour reconstruire ou améliorer leurs logis.  Mais au total, la situation demeure précaire pour la majorité africaine. Une grande partie des emplois non qualifiés dans les mines, l’industrie et les services ont été abolis dans le contexte de l’utilisation de nouvelles technologies et de diverses mesures des entreprises pour économiser sur les coûts salariaux. La croissance économique s’est produite selon les investissements en technologie, les rachats d’entreprises, plutôt que par la création d’emplois.

Quand l’ANC a été élue en 1994, l’ANC avait promis de redistribuer 25 millions d’hectares (30 % des terres cultivées), à 600 000 familles qui avaient été expropriées par l’apartheid. Mais comme la promesse avait été faite de ne pas exproprier, il fallait racheter ses terres, dont le prix est très élevé. Résultat, moins de 10 millions d’hectares ont été redistribués. L’exode rural amène vers les townships, où prolifère la pauvreté.

Une opinion polarisée

L’ANC qui avait l’appui d’une grande majorité de la population africaine est en ce moment en mutation.  Une nouvelle classe privilégiée (environ 15 % des Africains) a bénéficié de l’accès à l’éducation et s’est insérée dans le secteur public. Par ailleurs 20 % des actions enregistrées à la bourse de Johannesburg sont maintenant détenues par des Africains, dont Cyril Ramaphosa, dont la fortune est estimée à plus de $700 millions de dollars. Mais autrement, les couches populaires sont mécontentes. Des mouvements sporadiques, mais fréquents mettent plusieurs milliers de citoyens dans la rue pour protester contre les hausses de tarifs ou les coupures de services. Les frasques de Zuma, les histoires de corruption qui se multiplient, le déclin généralement perçu des services publics sont autant de points de rupture entre une partie importante de la population et l’ANC.

Chose certaine, la grande histoire d’amour entre la majorité africaine et l’ANC est en train de se dissiper. Des dissidents syndicaux viennent de mettre en place une nouvelle centrale, la South African Federation of Trade Unions (SAFTU), car ils considèrent que l’ANC ne répond plus aux attentes du peuple. Les jeunes, éternels réservoirs de résistance, se sont activés, notamment lors de mobilisations contre les hausses des frais d’inscription. Des dissidents de l’ANC ont mis en place un nouveau parti, les Economic Freedom Fighters, inspirés par une tradition populiste qui ne s’est jamais éteinte au sein du mouvement. Du côté de la gauche, le Parti communiste sud-africain, partenaire de longue date de l’ANC, prend ses distances. Jusqu’à récemment, plusieurs députés et ministres de l’ANC étaient membres du Parti qui ne présentait pas des candidats sur ses propres bases, mais aujourd’hui, l’idée de couper le « cordon ombilical » traverse le PC, qui compte 240 000 membres (l’ANC en a plus d’un million).

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