Algérie  : Quelle(s) opposition(s) ?

Reda Merida, Regards, 18 mars 2019

 

 

En Algérie, la rue a fait céder le Président Bouteflika, du moins partiellement. La question de l’alternative politique est posée. Quelles sont les forces en présence ?

La foule était immense hier encore partout en Algérie, des millions d’Algériens sont sortis dans la rue crier leur refus du report sine diede l’élection présidentielle et réclamer le départ du système. Et ce, malgré la démission de l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia et la nomination de Noureddine Bedoui à son poste. Ce dernier a annoncé la composition future d’un gouvernement jeune, mixte et formé de technocrates, jusqu’à l’écriture d’une nouvelle Constitution et la convocation d’« élections libres et démocratiques » qui marquera l’« avènement d’une seconde République ».

Ces propositions ont vite été rejetées par l’opposition algérienne qui, de son coté, s’affaire à proposer un plan de transition démocratique. Il y a cinq sans, au lendemain de la réélection du Président Bouteflika pour son quatrième mandat, les partis et personnalités de l’opposition algérienne se réunissaient malgré leurs divergences et pour la première fois autour d’une plateforme baptisée « Mazafran ». Ce projet, qui avait pour principal objectif de préparer une transition démocratique dans le pays, a été renforcé par une deuxième rencontre en 2016 à laquelle d’autres entités se sont jointes. Malgré tout l’espoir que l’initiative a suscité, étouffée par le régime autoritaire, morcelée par les luttes intestines en son sein et ignorée par les citoyens méfiants de certains participants, la plateforme Mazafran a abouti à un échec total dans la création d’un consensus au sein de l’opposition, au bénéfice du Front national de libération (FLN) et du Rassemblement national démocratique (RND, parti proche du pouvoir).

Dès le stade embryonnaire du projet Mazafran, le Front des Forces Socialistes (FFS), l’un des plus importants partis d’opposition fondé en 1963, avait décliné l’invitation à y participer puisqu’il s’agissait initialement d’une initiative d’un parti proche des Frères Musulmans, le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), tout en proposant son propre projet « reconstruction d’un consensus national » pour unir l’opposition, vite abandonné car considéré par beaucoup comme une alternative trop peu enthousiasmantes. Néanmoins, le FFS est resté bien présent dans le débat politique, aux côtés du Parti des Travailleurs (PT) et du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD).

Mouwatana, un autre mouvement politique créé en juin 2018, rassemble des figures de l’opposition comme Amira Bouraoui ou Sofiane Djilali de Jil Jadid, « l’objectif étant de rassembler le maximum d’Algériens pour hâter le départ de ce régime et préparer les véritables conditions d’une transition pacifique », peut-on lire dans son communiqué. Ce mouvement est un acteur important dans l’ébullition politique que connaît le pays en ce moment. Sa porte-parole, la magistrate Zoubida Assoul, après avoir gagné en notoriété grâce à ses interventions et discours républicains, a perdu en crédibilité pour beaucoup de citoyens après avoir apporté son soutien au candidat indépendant Ali Ghediri, un ex-militaire général-major converti en politicien, qui n’a pas voulu retirer sa candidature comme l’ont fait ses concurrents pour dénoncer les élections frauduleuses.

Quid de l’islam politique ?

Depuis la guerre civile qu’a connue l’Algérie dans les années 90 suite à l’élection du Front Islamique du Salut (FIS), les partis islamistes peinent à émerger dans une société traumatisée par la « décennie noire » qui a fait près de 200.000 morts et des milliers de disparus.

Vingt ans après la fin de la guerre et la dissolution du FIS, des formations qui se revendiquent des Frères Musulmans ou de l’islam politique subsistent toujours, comme le MSP ou le Front de la justice et du développement (FJD), dont le porte-parole Abdallah Jaballah est un fondateurs de l’organisation Ennahda, ou encore le Rassemblement Espoir Algérie (TAJ, proche du pouvoir).

Ce qui est sûr, c’est que les Algériens semblent être relativement vaccinés contre cette idéologie qui, quand elle avait atteint le second tour aux législatives de 1992, leur était totalement méconnue, à eux comme au reste du monde.

Le phénomène Nekkaz

Encore étranger aux Algériens il y a quelques années, Rachid Nekkaz s’est fait connaître grâce à ses coups médiatiques et à sa présence massive sur les réseaux sociaux. Après avoir fait fortune dans l’immobilier et tenté vainement sa chance à deux élections présidentielles en France, cet « OPNI » (objet politique non identifié), qu’El Watan qualifie de « pathétique vaudeville politique », a décidé de retourner dans son pays d’origine. Manquant d’ancrage social, il multiplie les initiatives pour aller à la rencontrer des citoyens, en faisant le tour de l’Algérie à pied pour les convaincre de la viabilité du projet du parti qu’il a créé : le Mouvement pour la Jeunesse et le Changement (MJC).

Son dernier coup de théâtre a créé une confusion énorme durant la période électorale : après s’être fait refuser sa candidature par le Conseil constitutionnel, Rachid Nekkaz présente comme candidat son cousin qui porte le même nom et qui a le même âge que lui. Son subterfuge a été très mal reçu par les Algériens et n’a fait que renforcer son image de clown de la politique. Depuis, il est revenu en France où il mise dorénavant sur la communauté algérienne qui y est établie. Il reste principalement connu ici pour être « l’homme qui paye les amendes des femmes en burqa ».

L’armée au cœur du pouvoir

Si l’opposition politique en Algérie peine à se faire entendre, c’est principalement à cause de la structure politique du pays entravée par l’ingérence du pouvoir militaire qui s’est accaparé l’indépendance après la libération du colonialisme. Djamila Bouhired, grande figure de la lutte anticoloniale, a dénoncé dans une lettre adressée aux jeunes Algériens mercredi dernier « une coalition hétéroclite formée autour du clan d’Oujda, avec l’armée des frontières encadrée par des officiers de l’armée française, et le soutien des « combattants » du 19 mars, a pris le pays en otage ».

En 1965, Bouteflika justifiait à la télévision française le putsch du colonel Boumediene qui avait eu lieu quelques jours auparavant : « Il faut qu’il soit absolument entendu que dans ce pays l’armée nationale populaire est la fidèle héritière de l’armée de libération nationale ». Aujourd’hui encore, les discours du chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaïd Salah, sont écoutés religieusement par les Algériens, conscients du rôle officieux de l’armée dans l’exercice politique.

D’autres éléments reflètent cette position de l’armée dans le pays, comme la répartition du budget de l’Etat qui lui alloue la somme la plus importante (24,95% du budget) ou la tendance à l’armement qui fait du pays le troisième importateur mondial d’armement russe.

Facebook, premier parti d’opposition ?

Face à des partis qui brillent par leur incapacité à proposer une alternative politique au système actuel, les Algériens ont trouvé dans les réseaux sociaux un espace d’échange qui est à l’origine de la révolte qui secoue le pays depuis le 22 février. Facebook est devenu un levier majeur de mobilisation citoyenne : postes engagés, consignes, alertes, etc. Chaque manifestation y est préparée minutieusement. Depuis quelques jours, c’est toujours dans cet espace que des personnalités sont mises en avant pour être les porte-paroles du Hirak, la révolte populaire actuelle.

En cette quatrième semaine de mobilisation, la ténacité des Algériens ne faiblit pas. Aussitôt annoncée, la décision du président Bouteflika lundi dernier de renoncer à briguer un cinquième mandat et de reporter les élections présidentielles tout en prolongeant son mandat actuel a été rejetée par les Algériens. La ruse inconstitutionnelle du FLN, au pouvoir depuis l’indépendance du pays il y a 57 ans, semble échouer.

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