Arabie saoudite : tout changer pour que tout continue

 

Rosie Bsheer, The Nation, 22 mai 2018

Mohammed bin Salman (MBS) est devenu prince héritier d’Arabie Saoudite le 18 juin 2012. En accédant au trône en 2015, il a réorganisé le gouvernement, remaniant les principaux administrateurs de la bureaucratie. Il a également épousé une politique étrangère sans précédent, dont les effets dévastateurs sont tangibles au Yémen, en Syrie, en Libye et au Qatar. Le régime a fait de grands efforts pour faire taire toute forme de critique. Il a criminalisé l’opposition à la guerre saoudienne-émirati au Yémen et la position belliqueuse des deux pays envers le Qatar. Le régime a également détenu ou fait disparaître des douzaines d’intellectuels saoudiens, des activistes, des érudits religieux et des écrivains, tout en plaçant d’autres personnes en résidence surveillée ou sur des listes d’interdiction de vol.

L’un de ses premiers actes a consisté à convoquer une coalition d’États arabes en mars 2015 pour déclencher une guerre contre le Yémen, et ce, contre l’avis de plusieurs de ses généraux militaires. La guerre visait à extirper Ansar Allah, ou les Houthis, alors au pouvoir à Sanaa et rétablir un régime pro-saoudien au pouvoir. Ce que MBS pensait être une victoire rapide et décisive s’est transformé en une catastrophe humanitaire avec peu de gain politique à démontrer. Bien que le prince ait compris l’impossibilité d’une victoire militaire au Yémen, il a refusé de mettre fin aux hostilités.

MBS est arrivé au pouvoir à un moment où les bas prix du pétrole ont provoqué un déficit budgétaire énorme, d’où la chute des réserves (208 milliards entre 2014 et 2016). Sa réponse a été de privatiser plusieurs entreprises publiques en tout ou en partie, y compris la puissante AMAMCO. Il a annulé des contrats existants et les a transférés à ses propres sociétés écrans et à celles de ses alliés. Il a continué à resserrer son emprise sur l’industrie de la sous-traitance. En avril 2016, il a annoncé Vision 2030, un projet national ambitieux. Au départ, plusieurs Saoudiens étaient enthousiastes à propos de Vision 2030 et de ses promesses d’emplois accrus et de meilleures conditions de vie. Mais le manque de planification sérieuse a conduit les gens à se demander s’il s’agissait simplement d’un stratagème de marketing. Des questions ont été soulevées quant à la façon dont une bureaucratie gonflée et incompétente peut traiter un arriéré de millions de demandes de logement, sans parler de l’augmentation du chômage.

À la mi-2017, Salman a commencé une nouvelle guerre contre les habitants chiites d’Awamiyya dans la province de l’est, lieu d’ardentes contestations depuis l’exécution du cheikh Nimr al-Nimr ainsi que de nombreux militants de l’opposition qui avaient soutenu des mobilisations pacifiques contre le régime depuis 2011. Début, le régime a commencé à démolir al-Musawara, un vieux quartier d’Awamiyya où vivaient 3 000 Saoudiens, quelques mois seulement après avoir annoncé unilatéralement ses intentions de « réaménager » le quartier. Sans consulter les habitants de la ville, et sous un black-out médiatique presque complet, le régime a ordonné aux résidents d’évacuer, en leur fournissant un logement temporaire mais inadéquat dans une ville voisine. Il a ensuite envoyé des entrepreneurs avec leurs bulldozers pour démolir le quartier. Les forces de sécurité ont tiré contre des manifestants pacifiques qui avaient refusé d’évacuer leurs maisons, tuant plusieurs d’entre eux.

L’automne dernier, Salman a annoncé la construction d’une mégapole high-tech de 500 milliards de dollars, la NEOM, sur la côte nord-ouest de l’Arabie saoudite, la présentant comme une opportunité d’investissement lucrative et une expérience sociotechnique ancrée sur la tolérance religieuse et le développement durable. Située sur la côte nord désertique de la mer Rouge, la zone économique proposée doit devenir une plaque tournante mondiale. Ce projet est censé signifier un changement par rapport à la production de pétrole, mais aussi pour un pays où Israël n’est plus considéré comme un adversaire ou une menace.  Déjà en 2006, l’Arabie saoudite avait manifestement pris parti pour Israël dans sa guerre contre le Liban. Elle a également soutenu Israël dans ses guerres contre Gaza. De telles ouvertures sont devenues plus officielles depuis que MBS est monté sur le trône.

Rosie Bsheer est professeure adjointe d’histoire à l’Université Yale et co-éditrice de Jadaliyya e-zine.

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