Bolivie : se mobiliser contre le coup d’État

Dans les années 1960-70, les militaires, les oligarchies locales et l’impérialisme américain avait semé la mort et la destruction en Amérique latine. On les appelait les « gorilles » qui ont tout détruit : peuples, institutions, économie, renvoyant l’hémisphère à l’ère des pires exactions de la période coloniale et esclavagiste. Le Canada, fidèle allié-subalterne de Washington, avait bien sûr emboité le pas. Le grand démocrate Pierre Trudeau avait été un des premiers gouvernements dans le monde à reconnaître le sinistre général Pinochet.

Dans les décennies subséquentes, le vent a tourné en Amérique latine. On a appelé cela la « vague rose », menée par Lula, Hugo Chavez et finalement, en 2006, un leader paysan du nom d’Evo Morales. Cette vague, en fin de compte, était le résultat des luttes acharnées des peuples et des mouvements populaires qui ont réussi à déstabiliser le cercle de fer imposé par les droites. Au départ, la « vague rose » est apparue comme plutôt modérée, proposant des réformes et surtout, un réalignement des politiques de l’État en faveur des couches populaires. C’est ainsi qu’au Brésil, au Venezuela, en Bolivie et ailleurs, des millions de campesinos sont sortis de la pauvreté abjecte. Les droits des peuples, y compris des autochtones (majoritaires en Bolivie) ont été reconnus. La droite, partiellement, a pris son trou. Et Washington, engouffré dans les méandres de la guerre « sans fin » au Moyen-Orient n’était pas en mesure de tout bousculer.

Pendant ces bonnes années de la vague rose sont apparus peu à peu les limites et les contradictions des politiques mises en place par Lula, Morales et Chavez. Le noyau dur du néolibéralisme, organisé autour des institutions financières et des grandes entreprises (locales et multinationales) n’a pas été réellement challengé. Une sorte de « deal » était proposé avec l’oligarchie : « vous nous laissez faire des réformes pour améliorer le sort du peuple, et nous vous laissons continuer dans vos opérations financières et extractivistes ». Plus grave encore a été le choix, rétroactivement funeste, des Lula et Morales, de maintenir, voire d’élargir le pillage des ressources, sous prétexte qu’il fallait profiter de la montée des prix du pétrole et du gaz. Certes, l’argent est rentré, mais au détriment de l’environnement et des peuples. En Bolivie par exemple, le gouvernement Morales s’est enfoncé dans une série de conflits à l’encontre de la nouvelle constitution qu’il avait lui-même piloté et qui mettait au premier plan la défense de la pachamama.

C’est ainsi que la crise a lentement cheminé. Elle a frappé plus tôt le Venezuela, trop dépendant de ses exportations de pétrole, et déstabilisé par le décès d’un leader hors de l’ordinaire, Hugo Chavez. Cela a continué au Brésil, notamment lorsque le gouvernement s’est mis dans le pétrin avec des projets pharaoniques, expulsant des tas de gens dans les communautés autochtones et les fameuses favellas (bidonvilles). En Bolivie, l’équipe au pouvoir, qui avait réussi jusqu’à un certain point de faire face au déclin économique, a dérivé quand Evo Morales a décidé de ne pas respecter le résultat du référendum sur le changement de la constitution, qui lui interdisait de se présenter pour un troisième mandat. Dans le sillon de pratiques de plus en plus autoritaires, il n’a pas écouté le peuple, il a décidé de se représenter, d’où les pertes subséquentes de son parti (le MAS) dans plusieurs élections municipales, et la semaine passée, du résultat mitigé de l’élection. Il ne fait pas de doute cependant qu’Evo, aux yeux des gens honnêtes, a encore une grande partie de la population (une majorité relative) avec lui. Mais il y aussi beaucoup de monde qui sont critiques, y compris, parmi les mouvements populaires, syndicaux, autochtones, également au sein de sa famille politique. Pensons notamment à Pablo Solon, qui a été l’ambassadeur de la nouvelle Bolivie à l’ONU pour défendre l’appel à faire de l’environnement la grande cause mondiale.

On se retrouve aujourd’hui avec le chaos. Evo en exil, son gouvernement disloqué, les mouvements populaires désemparés, des menaces très fortes contre des personnalités associés à la gauche, etc. Bref, une énorme dérive qui pourrait aboutir au retour imminent de la droite et de l’ultra-droite, comme ce qui s’est passé en 2018 au Brésil. D’où la scandale absolu qui s’exprime par le mensonge repris par Washington et Ottawa, qui font passer cette régression comme une « lutte pour la liberté ». Les impérialistes n’ont rien à faire de la liberté et les droits. Ils sont contre les violations, si et seulement si elles viennent de gouvernements de gauche. Ils sont pour, quand il s’agit de protéger les oligarchies et les « gorilles » qui ont si bien servi leurs intérêts dans le passé.

Ce langage hypocrite est particulièrement la norme avec la ministre des affaires étrangères du Canada, Chrysta Freeland, qui n’a dit mot sur les atrocités commises par Bolsanero au Brésil, ni sur les exactions à grande échelle commises au Honduras et en Colombie, deux « partenaires privilégiés » du Canada dans la région. Freeland, comme la droite américaine au pouvoir à Washington, a comme priorité le renversement du gouvernement du Venezuela. Face au coup d’état en Bolivie, parce que c’en est un, le Canada approuve sans le dire.

Pour les progressistes dans le monde, les enjeux sont clairs. Il faut s’opposer aux manœuvres impérialistes qui vont mener au retour des gorilles, et non au « rétablissement de la démocratie ». Nous sommes résolument contre les sanctions imposées au Venezuela (de même que celles qui coûtent très cher au peuple cubain depuis déjà plusieurs années). Nous sommes contre les coups d’état qu’on voit se succéder (au Paraguay, au Honduras et maintenant en Bolivie), fomentés avec l’appui de l’impérialisme.

Cette posture de principe n’a rien à voir avec un endossement stupide des gouvernements et des formations politiques dominantes dans ces pays, qui n’ont pas été à la hauteur des promesses faites aux populations qui les avaient chaudement appuyés et qui sont maintenant amèrement déçues. Ce que nous pouvons faire, c’est d’appuyer ces populations et ces mouvements, qui vont trouver le chemin pour réinventer leurs projets d’émancipation.

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