Brésil : bataille en règle en vue des élections

JEAN-MATHIEU ALBERTINI, Médiapart, 5 août 2018

L’ex-président du Brésil Lula a été désigné samedi candidat officiel du Parti des travailleurs (PT) en vue des élections d’octobre. En prison depuis avril, il jouit toujours d’une forte popularité. Mais sa candidature ne devrait pas être validée et le PT réfléchit au lancement d’un candidat alternatif, en toute fin de campagne. « Le PT a su transformer un coup dur en un avantage », juge une universitaire.

Rio de Janeiro (Brésil), de notre correspondant.-  Des centaines de masques à l’effigie de Lula s’agitent dans la salle. Sur la scène, une trentaine de personnes multiplient les discours. Mais le principal protagoniste de la journée est absent : l’ex-président Lula se trouve dans une cellule à 400 kilomètres au sud de São Paulo, où s’est déroulée la convention du Parti des travailleurs (PT) samedi 4 août.

Cela n’a pas empêché le parti de désigner officiellement son candidat. Avec 33 % d’intentions de vote dans les sondages, Lula est de loin le plus populaire des candidats de cette élection, qui aura lieu début octobre. Mais c’est aussi le moins susceptible d’y participer après sa condamnation pour corruption et son emprisonnement en avril. Selon toute vraisemblance, en se basant sur la « loi du casier vierge », la justice électorale ne devrait pas valider sa candidature.

Pourtant, son parti insiste. C’est une manœuvre risquée mais qui pourrait bien fonctionner. La justice électorale (TSE) devrait rendre sa décision avant le 17 septembre au plus tard, soit à peine trois semaines avant le premier tour. À ce moment-là, le PT espère réussir à transférer les votes en faveur de Lula vers un autre candidat dont le nom n’a pas encore été annoncé. Des rumeurs persistantes désignent Fernando Haddad, ancien maire de São Paulo. Paradoxalement, le PT souhaite que cette décision du TSE soit rendue le plus tard possible. « Impossible d’attaquer un non-candidat », murmure-t-on dans les couloirs du parti.

La stratégie est risquée car personne ne peut affirmer que ses électeurs suivront les consignes de vote, surtout envers une personnalité comme celle de Fernando Haddad, très peu connu en dehors du sud du pays et qui a perdu la ville de São Paulo lors des dernières élections municipales. En 2010, Lula avait largement fait élire Dilma Rousseff, mais il avait disposé de plusieurs mois pour la présenter à travers le pays et son capital politique était au maximum. Cette fois, il faut travailler dans l’urgence et moins le candidat du « plan B » s’exposera seul, meilleur ce sera pour l’élection.

Des voix divergentes se sont fait entendre au sein du parti. Mais pour Esther Solano, de l’USP (université de São Paulo), il semble que le temps donne raison à la stratégie mise en place par Lula et les caciques pétistes : « Paradoxalement, son emprisonnement lui a donné un poids politique supplémentaire, grâce au succès du discours de persécution politique. Sa prison est devenue un symbole puissant, capable de mobiliser avec force. Le PT a su transformer un coup dur en un avantage. » De son côté, Adriano Codato, chercheur à l’UFPR (université fédérale du Paraná), considère qu’« après des années de pouvoir, le PT a perdu une partie de son électorat des classes aisées. Avec ce discours, il peut remobiliser certains de ceux qui s’en étaient détournés ».

C’est probablement la meilleure chance du parti, qui ne dispose d’aucune figure charismatique à la hauteur de Lula. Adriano Codato constate que « le PT sait depuis longtemps qu’il n’a pas d’autre alternative ». La chercheuse de l’USP affirme, elle, que « le PT devrait réussir à placer n’importe quel candidat au second tour ». S’il y parvient, le parti espère pouvoir l’emporter. Surtout s’il fait face à l’adversaire idéal, le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, deuxième dans les sondages.

Depuis sa prison, Lula n’a pas perdu sa capacité de manœuvre politique. Il a notamment réussi à isoler son principal adversaire à gauche, Ciro Gomes, du PDT (Parti démocratique travailliste), lequel a perdu le soutien des socialistes du PSB à l’approche des élections. Ces accords de couloir parfois idéologiquement douteux ont bien sûr déclenché des mécontentements en interne. Ces pratiques de realpolitik passent mal auprès d’une partie des militants de Lula, notamment les plus à gauche. Mais pour Esther Solano, cela reste marginal : « C’est la manière de gagner du PT, ils ont toujours fait comme cela, et cela a toujours généré des tensions. Mais cela ne devrait pas avoir un impact significatif sur ses votes. »

Dans une situation inédite, le PT multiplie les paris risqués : aucun vice-président n’a par exemple été annoncé pendant la convention de samedi. Officiellement, le parti a jusqu’au lundi 6 août pour le faire, mais en interne, on espère pouvoir retarder l’annonce jusqu’au 14 août, soit la veille du dépôt limite des candidatures. Et pendant ces dix jours, les tractations et les allers-retours des soutiens de Lula autour de sa cellule devraient se multiplier.

Le nom de Ciro Gomes a été avancé. Mais c’est plutôt la communiste Manuela d’Ávila, actuelle candidate du PcdoB (parti communiste du Brésil), qui devrait rejoindre Lula.« Beaucoup de militants pensent que ça devrait être quelqu’un du PT. Mais c’est beaucoup plus intéressant politiquement d’attirer dans son orbite des petits partis de gauche, pour faire venir des électeurs qui ne sont pas du PT et réaliser une sorte d’union de la gauche », précise Esther Solano.

Malgré sa condamnation, Lula profite toujours d’une solide dynamique autour de lui. « Il reste le président aux 82 % d’opinions favorables. Même s’il a beaucoup perdu, ça laisse des traces : son capital politique est encore énorme », poursuit Esther Solano. Et puis, ajoute-t-elle, il a marqué la « mémoire affective » de la société brésilienne. « On peut le détester, mais personne ne peut dire que le pays ne se portait pas mieux à son époque. Il y avait une fierté d’être Brésiliens. La comparaison avec la situation actuelle lui est favorable. » Reste à savoir si la nostalgie suffira à convaincre les 60 % de Brésiliens qui n’ont toujours pas choisi leur candidat.

 

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