Brésil : les menaces de l’extrême droite

TIBIL, Jean, RITIMO, 8 janvier 2020

Dans quels secteurs organisés le mouvement que Jair Bolsonaro exprime politiquement ? Quelles sont les bases sociales, politiques et économiques qui constituent sa candidature et sa victoire ?

Les militaires constituent son groupe de soutien principal — le plus puissant et influent. Indépendamment de la victoire électorale du Capitaine à la retraite, nous avons pu observer, ces dernières années, et surtout ces derniers mois, une présence croissante des militaires dans la vie politique. Selon certains récits qui circulent, les forces armées ne toléraient plus la présence de Dilma à la Présidence et auraient sollicité Temer dès 2016. Il semble évident que la mise en place de la Commission nationale de la Vérité (CNV), l’une des meilleures initiatives de la Présidente, n’y soit pas étrangère. En effet, les interventions du Général Luiz Eduardo Rocha Paiva lors d’émissions télévisées montraient bien le mécontentement militaire vis-à-vis de la CNV. Celle-ci avait également joué un rôle dans le rapprochement entre le Capitaine-député Bolsonaro — jusque-là perçu généralement avec méfiance — et les officiers supérieurs, en raison de ses positions au Congrès au sujet des graves violations des droits humains durant la période de la dictature militaire de 1964 à 1985. Nous pouvons ajouter qu’un élément décisif du maintien de Temer comme chef du gouvernement putschiste a été le soutien des militaires, et notamment le rôle important exercé par le Général de réserve Sérgio Etchegoyen, chef du Cabinet de sécurité institutionnelle, dont les pouvoirs ont été élargis le 15 octobre. Celui-ci serait, de surcroit, impliqué dans la surveillance de la campagne de Haddad qui visait à favoriser Jair Bolsonaro, selon le magazine Carta Capital.

D’autres éléments suggèrent un soutien des militaires (à étudier plus profondément à l’avenir par les chercheurs) à l’opération « Lava Jato » (Lavage à haute pression). Lorsque, le 3 avril de cette année (2019), la Cour Suprême du Brésil (STF) était en train de juger l’habeas corpus de Lula (qui devait empêcher son emprisonnement jusqu’à tant qu’il soit condamné en dernière instance), le chef de l’armée de terre, Eduardo Villas Bôas, publiait un tweet — repris à l’antenne quelques minutes après par le présentateur du journal national de la chaîne de télévision Rede Globo et lu sur un ton particulier — manifestant le « rejet de l’impunité » de la part de l’armée de terre qui resterait « soucieuse de ses missions institutionnelles ». S’agissait-il d’une menace à la Cour suprême en cas de décision erronée, autrement dit au cas où elle accorderait la liberté à Lula jusqu’au jugement en dernière instance ? Comme il a lui-même admis récemment, son action était « borderline », car « nous sentions que les choses pourraient échapper à notre contrôle si je ne m’exprimais pas à ce sujet ». À une voix près, la Cour suprême rejetait l’habeas corpus, et Lula serait emprisonné quelques jours plus tard, se retrouvant exclu de l’élection.

La présence des militaires s’est considérablement accue, et s’est accompagnée, depuis le milieu des années 1990, de la banalisation progressive d’opérations réalisées dans le cadre de la Garantie de la loi et de l’ordre (GLO) et des mises en examen en vertu d’une loi de sécurité nationale obsolète. La militarisation de la vie et de la politique est patente, avec une intervention militaire actuellement en cours à Rio de Janeiro (avec des résultats désastreux en matière de droits humains), un nombre croissant d’écoles militaires et au sein même de la Cour Suprême. Son nouveau président, Dias Toffoli, est revenu sur les événements de 1964 et a déclaré qu’il n’y aurait eu ni coup d’État (comme le qualifient les démocrates) ni une révolution (tel que certains militaires et leurs sympathisants le considèrent) mais plutôt un mouvement, posture intermédiaire pour le moins étrange. En parallèle à cette révision de l’histoire, Toffoli a nommé comme conseiller, chose inédite, le numéro 2 de l’armée de terre, à présent ministre de la Défense. Tout cela devient plus inquiétant encore face si l’on prend en compte le fait que le candidat vainqueur n’est pas seulement un défenseur de la dictature militaire, mais également un nostalgique de ses cachots — en effet, il a dédié son vote en faveur de la destitution de Dilma Rousseff à son bourreau, le tortionnaire Carlos Alberto Brilhante Ustra, un homme qui amena deux enfants de 4 et 5 ans à voir leur mère défigurée par les tortures qu’il ordonnait.

Pendant la préparation de la campagne, un groupe d’officiers supérieurs a rejoint la candidature de Jair Bolsonaro, organisant des réunions régulières et participant à l’élaboration d’un programme. La figure principale de ce groupe a été le futur ministre du Cabinet de sécurité institutionnelle, Augusto Heleno. Ce Général a été le premier chef de la Minustah [Mission des Nations Unies pour la stabilité de Haïti] et son coming out politique a eu lieu en avril 2008, lors d’une rencontre de la FIESP (organisée avec l’Université de Sao Paulo) avec différents intervenant·es (membres du gouvernement, entrepreneurs, chercheurs) pour débattre du développement de l’industrie nationale de défense. Lors de cet événement, il fit une déclaration sur un thème différent, à savoir : son opposition catégorique au classement comme territoire indigène de la Serra da Raposa do Sol, à Roraima [1]. Des militaires seront aussi à la tête des ministères des Mines, de l’Énergie et des Infrastructures, à des postes-clés du Palácio do Planalto (siège du pouvoir exécutif brésilien, situé à Brasilia) et le vice-président, le Général Hamilton Mourão, devra assumer les fonctions de coordination du nouveau gouvernement. Les militaires, tout comme Jair Bolsonaro, ont opéré un tournant néo-libéral (a contrario de l’étatisme du gouvernement précédent). Mourão défend en premier lieu cette position, et a pris position, pendant la campagne, contre le 13e mois, par exemple, ou bien en faveur de la privatisation d’une partie des activités (distribution et raffinage) de Petrobras.

Un deuxième secteur fort est celui du pouvoir judiciaire. Celui-ci a tiré parti des brèches de 2013, de l’adoption de la loi de « délation récompensée » [2], et a joué un rôle actif et inédit, bénéficiant du soutien populaire (notamment de la classe moyenne). Résultat de cette offensive (qui a alimenté, à son tour, la crise économique en détruisant des secteurs-clés du capitalisme brésilien), en 2017, pour la première fois, la corruption est devenue la principale préoccupation des Brésilien·nes (31 %). Depuis 1995, date du début des enquêtes du Latino-baromètre, c’est la première fois que ce phénomène s’observe dans un pays. Jair Bolsonaro incarne cet acharnement contre la corruption. L’action des procureurs et des juges s’apparente à un « mouvement des lieutenants en toge » [3], terme qui fait un parallèle avec le mouvement des lieutenants des années 1920-1930 qui cherchait à prendre le pouvoir afin de mettre en œuvre un agenda de moralisation politique, ancré dans les classes moyennes. Deux différences cependant : le mouvement contemporain n’est pas militaire (même s’il compte avec la sympathie des forces armées) ni nationaliste. Autrefois, ils s’agissaient de militaires positivistes, aujourd’hui ce sont des libéraux du droit. Le contexte est également distinct : les premiers s’insurgèrent contre un gouvernement oligarchique, tandis que les seconds s’opposent à un parti qui est lié à une période d’inclusion sociale significative, dans un cadre démocratique.

Dans un système politique qui va en s’effondrant depuis 2013, ce secteur est perçu comme un précurseur régénérateur (et libéral) de la République, agissant contre la corruption, l’étatisme et le pouvoir construit autour d’un chef charismatique. Des républicain·es, très bien payé·es, appartenant à la tranche des Brésilien·es les plus riches et occupant des postes ultra-privilégiés au sein du secteur public, avec des avantages substantiels (mille dollars d’indemnité pour le logement, par exemple) —et gagnant bien plus que leurs homologues de pays plus riches, avec des augmentations régulières au cours de ces dernières années (la dernière quelques semaines après les élections présidentielles). Se situant en dehors des partis et ayant été reçus à des concours publics, bénéficiant d’un pouvoir renforcé suite à la Constitution de 1988, ils et elles estiment exercer un pouvoir technique. On peut s’interroger sur cette idéologie de la méritocratie dans une société si inégalitaire et où le leg de l’esclavage est encore très actuel. En outre, leurs actions politiques se font de plus en plus explicites, le point culminant étant la nomination annoncée du juge Moro au ministère de la Justice du gouvernement de Jair Bolsonaro — le juge qui avait déclaré que sa future fonction ministérielle serait technique et non pas politique (!).

Ce rôle de premier plan aurait été impossible sans le sceau de la Cour suprême et le soutien résolu du Procureur général de la République d’alors, Rodrigo Janot. Lors d’un événement notable, le 16 mars 2016, Moro lève la confidentialité des mises sur écoute par la Police fédérale, des conversations entre Lula et Dilma Rousseff et d’autres personnes encore (allant, pour certaines, à l’encontre de la loi, ce dont il s’excusera ultérieurement après réprimande de la Cour). Au cours des deux jours suivants, Lula assumait ses fonctions comme chef de Cabinet du gouvernement (équivalent au statut de Premier ministre) de Dilma Rousseff et prononçait un discours dans un meeting politique sur une avenue Paulista bondée. Quasiment au moment même où il se trouve à la tribune — déclarant qu’il allait résoudre les difficultés que rencontrait le gouvernement —, le juge de la Cour suprême, Gilmar Mendes, suspend sa nomination, invoquant un détournement de finalité. L’ex-président aurait ainsi assumé cette fonction afin que l’éventuelle plainte contre lui soit jugée à la Cour suprême et non à Curitiba (la Cour se méfierait-elle d’elle-même ?). La dernière cartouche de Dilma Rousseff finit en balle perdue, ces jours scellant, avec la participation décisive de plusieurs secteurs du pouvoir judiciaire, le destin de son gouvernement.

Notes

[1] Mayrink, José Maria, “Demarcações estão acabando com Roraima, alerta general”, Estado de S. Paulo, 10 de Abril de 2008.

[2] NdT : Mécanisme qui permet de menacer une personne de peines d’emprisonnement écrasantes, à moins qu’elle ne contribue à impliquer un autre justiciable.

[3] Cyril Linch. Ascensão, fastígio e declínio da “Revolução Judiciarista”. Insight Inteligência, n. 79, out./nov./dez. 2017, p. 158–168.

Commentaires

Jean Tible est professeur de science politique de l’Université de Sao Paulo.

Les secteurs évangéliques constituent le troisième point d’appui. Le catholique Jair Bolsonaro s’en est rapproché au cours de ces dernières années : il s’est marié dans le cadre d’une cérémonie célébrée par le Pasteur Silas Malafaia, de l’Assemblée de Dieu, et il a été baptisé en Israël, sur le fleuve Jourdain, par le Pasteur Everaldo, candidat à la présidence en 2014 pour le Parti social-chrétien (PSC). Ce soutien des leaders évangéliques (des Églises Universal, Renascer, Mundial do Poder de Deus) a été crucial pour atteindre les couches populaires qui ressentaient une certaine hostilité vis-à-vis du Capitaine et affirmaient jusque là un vote pro-Lula. À ce titre, le résultat du scrutin à Rio (68 %), zone la plus évangélique du pays, est frappant : les suffrages en faveur du PT (Parti des travailleurs) se sont effondrés et les quatre derniers présidents de la région sont, ou ont été, en prison. Bolsonaro, le Capitaine-député, a su tisser des liens avec des institutions qui possèdent une impressionnante présence sur le territoire, en particulier dans les périphéries des grandes agglomérations, en créant des communautés, des dispositifs d’accueil pour des personnes en situation de dénuement, de misère et de souffrance. En outre, une stratégie politique mise sur pied par ces Eglises au cours des années a été l’achat massif de moyens de communication : des centaines de radios et de télévisions appartenant à des réseaux très étendus et influents. La non-démocratisation des médias en paye ici le prix.

Le 24 octobre, entre les deux tours, le Front parlementaire évangélique (FPE) — fort de 180 député·es (sur un total de 513) dans la prochaine législature — déclare soutenir la candidature du militaire et lance le manifeste « Le Brésil aux Brésiliens ». Ces 60 pages défendent des valeurs dites traditionnelles, associées à une optique ultralibérale et à une « révolution de l’éducation » — un ministre potentiel ayant été rejeté de ce groupe parlementaire pour ne pas s’être prononcé contre l’idéologie du genre et « l’endoctrinement communiste ». A sa place, c’est un professeur admiratif du coup d’État de 1964 qui a été finalement été nommé. Ce n’est pas un hasard si la première apparition publique de Bolsonaro après sa victoire a eu lieu au Temple de Malafaia, où son allocution commençait par remercier Dieu et terminait avec son slogan de campagne : le Brésil par-dessus tout, Dieu au-dessus de tous.

Le quatrième élément fondamental a été le soutien de certains pouvoirs économiques. Nous avons vu que les trois groupes précédents (militaire, judiciaire et évangélique) adhèrent fortement au modèle de l’économie libérale. Après avoir reçu un coup de couteau, chaque hausse dans les sondages du candidat Bolsonaro s’est traduit par une hausse de la Bourse et une baisse du dollar, ce qui a clairement joué en sa faveur. Le rapprochement de Paulo Guedes (initialement engagé derrière la candidature du présentateur de télévision, Luciano Huck, qui a finalement abandonné la course) a scellé son adhésion à un programme économique ultralibéral. Guedes, futur ministre de l’Économie, défend la privatisation de toutes entreprises publiques et la réduction des impôts pour les riches, dans la droite ligne de sa formation à l’Université de Chicago. Après sa victoire, Jair Bolsonaro, via Facebook, affirmait que « pour débloquer l’économie, il faudra répondre aux attentes des hommes d’affaires et opter pour une réduction des droits des travailleurs », mettant ainsi en évidence sa proximité avec le secteur traditionnel du patronat, désormais victorieux au sein du gouvernement putschiste de M. Temer. De quels autres droits Jair Bolsonaro préconise-t-il la suppression ?

Son discours et ses propositions sont également fortement liés à l’agrobusiness, secteur qui le soutient depuis le début de la pré-campagne. Alckmin, de son côté, a également essayé de sécuriser l’appui d’une partie de ce secteur en choisissant, comme vice-présidente, la sénatrice de l’État de Rio Grande do Sur proche des campagnes, Ana Amélia. Cependant, sa stagnation n’a toutefois pas pu endiguer le soutien de ce secteur à Bolsonaro. Malgré le soutien des gouvernements du Parti des travailleurs (PT) au secteur agricole, les votes de la région où l’agrobusiness domine ont penché, de plus en plus, vers l’opposition au PT. Si, en 2002, Lula gagnait dans pratiquement tout le pays, en 2006, à Goiás et dans d’autres régions tournées vers l’agrobusiness, il a perdu. Cette tendance a continué de façon croissante en 2010 et 2014, pour atteindre cette année son paroxysme. Nous pouvons ainsi parler de la création d’une subjectivité de l’agrobusiness qui est venue apporter de l’eau au moulin des positions violentes contre les peuples indigènes, les communautés afrosdescendantes et les sans-terre — toujours la bonne vieille question de la terre à laquelle sont mêlés bon nombre de parlementaires et de politicien·nes [1]. Se rejoignent ainsi le monde de la campagne et celui de l’armée, Jair Bolsonaro ajoutant, en avril 2018, devant l’Association commerciale de Rio de Janeiro que « la propriété privée est privée et sacrée et point final. Pour qui l’envahit, des balles », défendant l’idée de « classer juridiquement comme actes de terrorisme, les actions de ces marginaux ». La nouvelle ministre de l’Agriculture — seule femme au gouvernement —, Tereza Cristina, semble quant à elle exprimer le programme de la l’aile dure de l’agrobusiness.

Enfin, analysons les dimensions géopolitiques de la victoire autoritaire. En effet, on ne peut pas comprendre le processus politique de ces dernières années sans prendre en compte la participation des États-Unis. En 2013, Wikileaks révélait la mise sur écoute, par l’agence de sécurité nationale des États-Unis (NSA), des téléphones du Cabinet de Dilma Rousseff, de plusieurs ministres, de l’avion présidentiel, des délégations diplomatiques brésiliennes, y compris celle de l’ONU ainsi que… ceux de Petrobras [2]. Les câbles du Département d’État révèlent l’intérêt états-unien pour le pétrole et le pré-sal, tout comme une série de liens étroits entre certains secteurs politiques brésiliens et l’Ambassade états-unienne — José Serra, Romero Jucá et Michel Temer étant des acteurs-clés du putsch qui a renversé Dilma Rousseff [3]. La loi du Partage, adoptée en 2010 suite à la découverte des champs de pétrole du pré-sal, et qui allait dans le sens d’un plus grand contrôle de l’Etat brésilien et de Petrobras sur ces nouvelles réserves (en effet, elle en faisait la propriété de la Nation avec une participation obligatoire de Petrobras à hauteur de 50 % pour son exploitation), a été modifiée après le putsch juridico-parlementaire.

Cette question touche également à un autre aspect de la façon dont le pouvoir judiciaire et le ministère public agissent et coopèrent au niveau international. Cela se manifeste dans l’Accord d’assistance judiciaire en matière pénale, signé en octobre 1997 par les gouvernements brésilien et états-unien (et depuis actualisé par le Décret présidentiel n.° 3810/2001) ; mais aussi dans le Séminaire international sur les crimes financiers illicites, d’octobre 2009 (pendant lequel les Brésiliens auraient sollicité les États-Unis pour les former) ; ou encore dans la relation des procureurs et juges « avec les circuits internationaux de production de l’expertise anticorruption ». Ces échanges s’inscrivent dans le contexte d’une offensive états-unienne sur ces questions, et ce depuis les années 1970, accompagnée d’une nouvelle législation intérieure (Foreign Corruption Practices Act), mais aussi d’accords internationaux, au sein de l’OCDE et autres, où s’exportent leurs modèles de lutte contre la corruption. Au cours de ces deux dernières décennies, la juridiction de Curitiba est devenue spécialiste des crimes financiers. De même, la formation académique et la qualification professionnelle de nombreux membres de l’équipe de travail du ministère public est passée par les États-Unis, entre autres par la Harvard Law School. Serait-il possible d’envisager une réciprocité dans ces relations Brésil–États-Unis ?

Si nous ajoutons à cela le financement à de « nouveaux groupes » conservateurs [4], le rôle des instituts ultralibéraux (tel que l’Atlas) et le soutien explicite de l’extrême droite états-unienne, avec celui de Steve Bannon, un tel tableau fait irrémédiablement penser à ce qu’Andrew Korybko définit comme une guerre hybride [5]. Peut-être, sur ce point, s’agit-il plus d’un court-circuit créé par Lula et le PT au gouvernement. Le nouveau poids du Brésil sur la scène internationale représentait un défi, bien que modeste, le pouvoir états-unien : le fait de tisser de nouvelles relations internationales, d’être membre des BRICS, de jouer un rôle de pacificateur sur la question du nucléaire iranien, d’être force de proposition dans l’intégration régionale et dans la coopération avec le continent africain, avec un modèle de politiques sociales pour les pays du Sud. Toutefois, le Brésil ne s’est pas donné les moyens de sa politique, et ce « modèle brésilien » n’a pas résisté aux attaques. Par ailleurs, il ne faut pas non plus accorder un pouvoir absolu à ces forces — comme dans le cas de Whatsapp, il faut un contexte préalable (et en grande partie « interne ») pour que cela « prenne », et que cela soit effectif.

Non seulement le nouveau ministre des Relations Etrangères, l’Ambassadeur Ernesto Araújo, s’accorde parfaitement avec ces velléités états-uniennes, mais fait même preuve de zèle à ce niveau — ses textes et ses déclarations témoignent d’un alignement non pas sur les États-Unis (la politique du Brésil ayant toujours oscillé, suivant la conjoncture nationale et internationale, entre l’américanisme et le mondialisme [6]) mais sur le leadership de Donald Trump. Araújo perçoit un monde en guerre contre les valeurs occidentales (chrétiennes), de la part des mondialistes marxistes, de Chine et d’ailleurs, et de leurs offensives, telles que le réchauffement climatique mondial (d’où le souhait de se retirer des Accords de Paris). Et, face à cela, il considère Trump comme le messie, le sauveur de la civilisation aux prises avec un « islamisme radical » et surtout le sauveur de l’Occident fragilisé pour avoir renié Dieu [7]. Trump a été le premier Chef d’État à prendre contact avec celui qui venait d’être élu par la population brésilienne. Son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton (connu pour être la ligne dure), est venu lui rendre visite lors de son voyage à Buenos Aires pour le G20. Selon Araújo, l’Itamaraty, bien qu’étant une institution encore teintée d’aristocratie et un centre d’excellence de l’administration brésilienne, aurait été infiltrée par des marxistes mondialistes. Ici, on entrevoit un autre changement du côté des militaires. Malgré le soutien explicite et attesté des Etats-Unis au coup d’État de 1964 (Opération Brother Sam), les gouvernements militaires se sont par la suite progressivement éloignés de l’alignement systématique de la première période (avec notamment Castelo Branco, qui prônait comme politique étrangère, de même qu’Araújo, un réalignement sur l’Occident), provoquant une série de tensions avec les Etats-uniens — résiliation de l’accord militaire, reconnaissance de l’indépendance de l’Angola, loi sur l’informatique, entre autres.

Notes

[1] Castilho, Alceu, O partido da terra : como os políticos conquistam o território brasileiro, Contexto, São Paulo, 2012.

[2] Viana, Natalia. “WikiLeaks : NSA espionou assistente pessoal de Dilma e avião presidencial”, Agência Pública, 04/07/15.

[3] Viana, Natalia. “WikiLeaks : NSA espionou assistente pessoal de Dilma e avião presidencial”, Agência Pública, 04/07/15.

[4] Amaral, Marina. “A nova roupa da direita”, Agência Pública, 23/06/15.

[5] Korybko, Andrew. Guerras híbridas : das revoluções coloridas aos golpes, Expressão Popular, São Paulo, 2018.

[6] Pinheiro, Leticia. Política externa brasileira, Zahar, Rio de Janeiro, 2004.

[7] Fraga Araújo, Ernesto Henrique. “Trump e o Ocidente”, Cadernos de Política Exterior (IPRI), ano III, número 6, 2°. Semestre de 2017, pp. 323-357.