Cachemire : trois mois plus tard

Feroz Medhi et Pierre Beaudet

Pour la grande majorité de la population du Cachemire, l’agonie se poursuit sans fin. La réduction par le gouvernement indien dominé par le BJP et le premier ministre Modi des mesures oppressives, telle que la restauration de téléphones fixes que peu de gens considèrent de façon crédible (alors que les médias indiens crédules présentent cela comme le « retour de la normalité »), ressemble aux rouleaux de papier hygiénique que Trump a jetés aux Portoricains affamés et malades à la suite de l’ouragan Maria. 

Répression tout azimut

Pour des milliers de personnes arrêtées, on vit dans un monde véritablement orwellien. Pour pouvoir être libérés, les personnes sont tenues de signer un engagement de ne pas faire de commentaire public ni de déclaration, ou de participer à une réunion publique en rapport avec les événements récents au Cachemire. Elles doivent déposer dix mille roupies à titre de « garantie » qu’elles perdront si elles enfreignent ces conditions. En outre, elles devront payer une amende de quarante mille roupies pour toute violation du cautionnement tout en encourant une nouvelle peine d’emprisonnement. En résumé, les droits de liberté de parole et de réunion garantis par la constitution indienne ont été abrogés. Le pouvoir judiciaire n’a jusqu’à présent rien fait. Même les requêtes d’habeas corpus, sans parler d’autres droits fondamentaux, ont été reportées par les tribunaux. La peur rampante induite par le régime autoritaire semble avoir infecté tous les éléments de l’État. On peut se demander pourquoi est survenue cette répression apparemment insensée qui a transformé la vallée du Cachemire en une vaste prison à ciel ouvert. Le gouvernement indien a promis que cela de apporterait le développement économique et la stabilité de l’État, mais ces promesses ne peuvent être prises au sérieux. En réalité, les arrestations par milliers d’acteurs politiques, d’opérateurs économiques et d’intellectuels, la détention dans des prisons à l’autre bout de l’Inde empêchant les détenus d’avoir accès à leurs familles, sont autant de mesures qui ne peuvent pas gagner, selon l’expression consacrée, « les cœurs et les esprits du peuple cachemirien ». Les dizaines de milliers de militaires et de paramilitaires indiens supplémentaires dans les rues de Srinagar et d’autres villes amèneront-ils les Cachemiriens à s’identifier à leurs geôliers? 

Donner une leçon à tout le monde

Selon le chercheur Nitasha Kaul, la véritable raison derrière l’action du gouvernement indien est de consolider son projet de l’« Hindutva », en donnant une leçon au seul État à majorité musulmane du pays et, par extension, à la population musulmane du reste de l’Inde. Dans ce récit, le message du BJP est le suivant : nous pouvons retirer vos privilèges énoncés dans des dispositions constitutionnelles (telles que les articles 370 et 35A) d’un coup de crayon. Nous pouvons faire tout cela puisque nous avons la majorité au Parlement et que nous pouvons ordonner à l’armée et à la police de vous enfermer et de vous priver de vos moyens de communication.  Ce message concorde bien avec le projet de loi sur l’amendement de la citoyenneté, que le régime du BJP a tenté de légiférer au cours de la dernière année. Ce concorde aussi avec les tentatives du BJP et de certains États (provinces) sous sa gouverne où il est question de mettre en place des « tribunaux pour étrangers », afin de déterminer lesquels des habitants sont « authentiques ». L’hypothèse sous-jacente au message est que « nous » savons qui sont les « véritables » Indiens. « Nous » leur apprendrons que la véritable Inde est hindoue et que le nationalisme indien est la glorification de la nation hindoue.  

La mémoire de Gandhi 

Faut-il rappeler que 2019 marque le 150ième anniversaire de la naissance de Mahatma Gandhi, un homme dont la vie a été arrêtée par une balle tirée par un défenseur de Hindutva. Bien que le premier ministre Modi essaie de s’approprier Gandhi à ses propres fins, ce n’est un secret pour personne que Gandhi est ouvertement détesté par la masse des disciples de Hindutva.  Par ailleurs, l’héritage de Gandhi se perpétue, mais au Cachemire, via la tactique gandhienne de non-coopération passive avec l’État indien. Par exemple, les écoles sont ouvertes mais restent vides, parce que les parents gardent leurs enfants chez eux, craignant que leurs enfants ne soient harcelés par les militaires, Les magasins ne sont ouverts que deux ou trois heures par jour. Les gens sont prêts à subir des pertes pour démontrer qu’ils répudient les diktats du gouvernement. Il se pourrait que malheureusement, le gouvernement se réjouisse d’un retour de la violence qu’il s’empressera de traiter de «terroriste». Les Cachemiris pour leur part savent que la non-coopération pacifique est plus efficace pour priver l’État de la légitimité de ses actions.

Crise latente 

Certains indices donnent à penser qu’une partie de la population indienne est fatiguée de la rhétorique nationaliste stridente de Modi. Ce n’est un secret pour personne que l’économie se porte mal. La croissance a ralenti et le chômage atteint les niveaux les plus élevés enregistrés depuis presque un demi-siècle. Les économistes compétents reconnaissent que le gouvernement Modi a mal géré l’économie. La démonétisation a été un désastre, de même que l’introduction de la taxe sur les produits et services, la TPS. La détresse rurale est particulièrement aiguë, comme en témoigne le nombre croissant d’agriculteurs qui se suicident. Les récentes élections dans les États du Maharashtra et de l’Haryana (traditionnellement deux fiefs du BJB), ont été remportés par le parti de Modi, mais avec une majorité considérablement réduite. Les attaques de l’armée contre des présumées bases de « terroristes » au Cachemire ou au Pakistan ne feront rien pour contrer la hausse des prix des produits agricoles ni pour éviter les faillites des agriculteurs. Les mesures comme l’arrestation de l’ancien ministre des Finances, P. Chidambaran, ne préviendront pas les catastrophes bancaires. Les poursuites engagées pour sédition de personnes critiquant le gouvernement ne créeront pas d’emplois pour les millions de chômeurs. La crise économique qui s’annonce va-t-elle enfin provoquer une déconnexion du peuple indien de la politique de l’Hindutva? 

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