Chili : le rôle des minières canadiennes

MiningWatch Canada

Selon des données de MiningWatch Canada, il y a en ce moment plus de 40 compagnies minières canadiennes au Chili, avec plus de 100 mines et projets. Le Chili et le Mexique sont les pays étrangers où il y a le plus d’investissements miniers canadiens (derrière les États-Unis). La majorité de ces compagnies sont des compagnies juniors impliquées dans la spéculation et l’exploration de sites de lithium et de cuivre. Cependant, il y a aussi des grands joueurs comme Yamana GoldTeck Resources et Lundin Mining qui détiennent des mines opérationnelles dans le pays. Par conséquent, on peut comprendre à cet effet le silence du gouvernement canadien.

En septembre 2019, MiningWatch Canada s’est réuni avec des organisations et communautés chiliennes touchées par les minières canadiennes, et en vue d’une union de celles-ci aux manifestations nationales d’octobre, nous sommes restés en contact. Nous avons réalisé que ces organisations associaient leurs luttes propres avec les demandes nationales, et nous voulions nous assurer que le public canadien en prenne connaissance. Nous avons découvert que leurs préoccupations communes par rapport à l’eau, à la contamination de l’environnement et aux inégalités économiques leur ont donné l’élan pour s’unir régulièrement lors des marches et autres actions publiques.

Les compagnies

Los Vizcachitas, Los Andes Copper (Comuna Putaendo)

Los Andes Copper exploite le projet de Los Vizcachitas, qui est actuellement en phase d’étude de faisabilité, prétend développer une mine énorme de cuivre à ciel ouvert, dont la fosse se terminerait directement au-dessus (et dont le gisement est sous) le fleuve Rocín. Ce fleuve est la source principale d’eau douce pour les communautés en aval, à travers le nouveau barrage controversé qui, selon les membres de la communauté, bénéficie à l’industrie minière et agricole. Il est important de souligner que le bassin de résidus de la mine, selon le scénario privilégié par la compagnie (110 ktpd et 220 ktpd) serait sur le fleuve Chalaco,un peu plus de 10 kilomètres au-dessus de la communauté de Los Patos

Putaendo Resiste! est un regroupement de représentants de diverses organisations de la région de Putaendo qui se sont organisées contre l’exploitation minière. Sa préoccupation principale est la protection de l’eau, une ressource de plus en plus restreinte, étant donné que la communauté en est alimentée par un glacier rocheux où l’on prétend installer la mine. Dût à la proximité des communautés situées en aval, ils se soucient également de la contamination potentielle ou les possibles déversements qui peuvent être déclenchés par les opérations minières.

Ils dévoilent qu’entre 2007 et 2008, le permis de Déclaration d’impact sur l’environnement a été refusé à la compagnie, à cause de violations lors du programme de forage. Plus tard, de 2015 à 2017, elle a été sanctionnée pour avoir dévié le fleuve Rocín et pour avoir utilisé l’eau contre l’usage requis.

Actuellement, la compagnie tente d’obtenir les permis environnementaux nécessaires pour procéder à un nouveau cycle de forage, qu’ils espèrent débuter cette année. Les communautés dénoncent que leurs voix, malgré leur unité dans les villages et leur déclaration en tant que premier regroupement chilien « libre de mines », sont réduites au silence par la compagnie et le gouvernement chilien.

Putaendo Resiste a été présent dans les efforts pour organiser et participer à la plupart des marches et actions dans la région depuis la déclaration d’état d’urgence il y a un mois.

Ils font noter qu’ils s’uniront aux mobilisations nationales pour les mêmes raisons que celles expliquées à Santiago. Leur lutte contre Los Vizcachitas et le microcosme d’une crise économique et sociale qui ébranle le Chili actuellement. Ils disent :

« Nous faisons partie du peuple et vivons la même injustice que tous, le modèle économique est basé sur la surexploitation des biens naturels, générant des zones d’abattage avec des niveaux élevés de contamination, et les entreprises ne se soucient pas de l’impact sur les enfants et les familles. L’exploitation minière est l’une des secteurs d’activité les plus prédatrice, avec ses niveaux élevés de consommation d’eau et de destruction de glaciers dans la cordillère des Andes. Les propriétaires de ces entreprises qui se situent dans le 1% des plus riches au Chili, par conséquent la crise est à la fois économique, sociale et environnementale. Les manifestants de partout au Chili demandent, entre autre, l’accès à l’eau comme un droit.

Carmen de Andacollo mine, Teck Resources (Andacollo)

La mine Carmen de Andacollo est l’une des trois mines que détient cette compagnie au Chili. Cet été, Teck Resources a annoncé un accord de risques partagés avec la compagnie japonaise Sumitomo Metals pour la mine Quebrada Blanca. Cependant, malgré ce plan d’expansion très important en capital pour l’automatisation de ses mines, la compagnie fait valoir qu’elle traverse une crise économique et que, par conséquent, les employés doivent subir des compressions budgétaires.

La mine Carmen de Andacollo est une mine de cuivre à ciel ouverts où travaillent 474 employés.

En conséquence, les opérations de la mine restent paralysées depuis plus d’un mois, suite à la déclaration de grève générale de la part du syndicat qui n’est pas parvenu à un accord collectif considéré juste avec la compagnie. Selon le président du syndicat des travailleurs de Carmen de Andacollo, Manuel Álvarez, les demandes principales du syndicat sont : une augmentation de salaire correspondant au nivellement observé dans les autres mines de cuivre du Chili, des investissements dans les services de santé et les assurances collectives, de meilleures conditions pour les travailleurs souffrant de maladies « catastrophiques » et des avantages pour les employés de longue date. Bien que les revendications soient relativement élémentaires, Teck refuse d’aborder les demandes du syndicat. Le 14 novembre, les membres du syndicat ont refusé de ratifier l’accord proposé par l’entreprise en faisant savoir qu’il ne s’agissait pas d’une proposition équitable et ont décidé, il y a quelques jours, de radicaliser leurs mesures de pression en empruntant une route de transit pour tenter de faire pression sur l’entreprise afin qu’elle reprenne le dialogue.

La demande probablement la plus préoccupante est l’aide que les travailleurs sollicitent à Teck sous forme de prêts à court terme pour dédommager les travailleurs atteints de maladies « catastrophiques ».

« Quelques-uns de nos collègues souffrent de leucémie : voilà une maladie catastrophique. Nous voulons que ces collègues puissent traiter leur maladie, qui pèse beaucoup sur leur famille et communauté, avec dignité » a déclaré M. Álvarez.

Des représentants du gouvernement ont déterminé que Andacollo est une région « saturée » par la contamination, dont les niveaux de pollution font partie des plus élevées du territoire, ce qui amène de graves conséquences pour la santé de la population locale. L’organisation mondiale de la santé a estimé qu’Andacollo faisait partie des 20 villes d’Amérique Latine avec les taux les plus haut de matières particulaires respirables, qui augmentent les risques d’attaques cardiaques, de maladies respiratoires et de cancer. Un expert de la santé a déclaré lors d’une entrevue que cette contamination de l’air à Andacollo est un résultat de l’activité minière, en particulier due à la poussière générée par les camions à benne sortant de la mine.

L’Association environnementale et sociale de Andacollo est un regroupement urbain qui lutte depuis 12 ans pour le droit de vivre dans un environnement sain. Elle constate que le risque le plus important que représente la mine canadienne pour la population de Andacollo est «la santé et la qualité de vie des gens… depuis l’arrivée des mines, selon les données des hôpitaux locaux, il y a une augmentation drastique des maladies respiratoires, de cancer et de leucémie

« À cause de Teck Andacollo, nous vivons dans un état permanent de pollution et de division sociale, causés par de fausses promesses et des accords non respectés par la compagnie. »

L’eau est également un sujet très important pour l’Association. Elle demande « que la compagnie cesse d’utiliser l’eau douce pour le fonctionnement de la mine, ce qui épuise et contamine les dernières quantités disponibles. Ceci est encore plus important depuis l’arrivée de la période de sécheresse. La compagnie doit investir dans des technologies de dessalement. »

L’Association a participé aux protestations massives qui ont lieu au pays, en notant qu’il y a plusieurs points communs entre leurs revendications des 12 dernières années et celles au cœur des manifestations du dernier mois. Selon elle, le modèle extractiviste « est promu dans la constitution elle-même et permet l’exploitation aveugle des ressources naturelles, de l’eau et aussi de l’énergie sans tenir compte des besoins de la population et lorsque celle-ci exprime ses préoccupations quant au respect de leurs droits, elles sont ignorées.

Et son message aux canadiens ? « Il faut s’unir et sensibiliser les gens aux conflits environnementaux que les compagnies minières canadiennes provoquent au Chili. »

Proyecto Alturas, Barrick Gold (Valle del Elki)

Le projet Alturas-del Carmen est un autre exemple de projet binational d’exploration aurifère se trouvant sur la frontière Chili/Argentine de la cordillère, au sud de Pascua Lama et Veladero.

Selon l’Assemblée pour la défense du Valle del Elki, un regroupement multiculturel qui travaille officiellement depuis six ans pour défendre les glaciers contre les méga-mines, le plus grand risque que représente l’exploitation minière canadienne pour les communautés est  » la pollution de l’eau, puisque nous vivons dans un bassin hydrographique très sensible aux pénuries et à la contamination ». Le second risque identifié est lié au premier : l’exploitation minière représente une menace pour les glaciers avoisinants de la région. 

Ici, leur travail collectif est de prévenir, et leurs membres espèrent réussir à empêcher que leur vallée, ses rivières et ses glaciers ne deviennent une autre « zone de sacrifice ».

« Le projet minier binational Alturas-del Carmen, qui prétend être plus grand que Pascua Lama, se trouve sur les glaciers qui alimentent la vie du bassin d’Elki et est situé à 10 kilomètres du glacier Tapado, le plus grand de la région de Coquimbo, qui fournit environ 20% des eaux du fleuve Elqui. »

Lorsqu’on leur a demandé s’ils s’étaient joints aux manifestations au cours des dernières semaines, ils ont répondu par l’affirmative en disant : « La fin du modèle extractiviste est l’une des motivations qui nous amènent à travailler à l’abolition de la constitution de l’État-nation chilien, une constitution qui continue d’être remplie de balles et du sang de nos camarades qui ont été tués et torturés à ce jour. Le modèle extractiviste sauvage installé par les multinationales et promu par l’État-nation chilien sur nos territoires est le principal responsable de la souffrance de notre peuple. »

Les communautés de la vallée Elki exigent que « cessent immédiatement les explorations et les activités minières de Barrick Gold sur notre territoire, puisque nous les considérons comme une attaque contre l’écosystème que nous habitons en tant que communauté. »

Valle del Huasco, Pascua Lama (Barrick Gold) et Nueva Union (Teck-Newmont/Goldcorp)

Nous ne pouvons pas parler des mines canadiennes au Chili sans mentionner Valle del Huasco, où depuis plus d’une décennie, se déroule une des querelles les plus emblématiques à propos de l’environnement entre une entreprise canadienne et des gens qui optent pour la vie et l’eau.

MWC est en contact avec le coordinateur pour la Vida del Valle del Huasco. L’organisation demeure ferme dans sa résistance contre l’exploration minière, une lutte pour préserver la vie qui inclut l’accès à l’eau douce propre pour les générations futures. Les grandes compagnies minières canadiennes comme Barrick Gold (Pascua Lama) et Teck Resources (Nueva Union) sont engagés dans des conflits juridiques et sociopolitiques au sujet du développement de projets miniers de millions de dollars dans des régions qui sont certainement parmi les plus importantes pour l’avenir : les glaciers.

Ces résistances communautaires joueront un rôle central dans un prochain rapport qui examinera comment les sociétés minières canadiennes contribuent à aggraver la crise climatique et écologique en explorant les glaciers de la cordillère des Andes, l’une des rares sources d’eau encore disponibles pour la consommation dans cette région. 

Minera Tres Valles, Sprott Resource Holdings

Finalement, malgré que nous n’ayons pas été en mesure de communiquer avec les communautés affectées par la mine Tres Valles (Sprott Resource Holdings) de manière directe, nous pensons qu’il est très important d’inclure la déclaration de l’entreprise suite à la récente tragédie qui s’est produite dans la région. Les communautés affirment qu’un de leur membre a été tué par un gardien de l’entreprise manipulant une arme à feu. Sprott Resources Holdings, comme plusieurs des compagnies mentionnées plus haut, possède des mines dans la cordillère des Andes, où de nombreux éleveurs ont circulé avec leur bétail pendant de nombreuses années durant les saisons sèches. Il convient de mentionner qu’au cours de notre visite au Chili, nous avons entendu de nombreuses plaintes de la part de nombreuses organisations au sujet d’un processus de clôture de terres qui étaient auparavant connues et utilisées pour le pâturage. Dans certains cas, les passages sont barrés, ce qui oblige les éleveurs à prendre des routes plus longues pour se rendre à l’eau. Dans d’autres cas, l’accès à l’eau leur est simplement refusée, les routes s’y rendant étant toutes bloquées.

Il est clair dans cette déclaration que, comme dans plusieurs autres, les communautés dénoncent un manque de clarté quant aux zonages pour les libres passages sur les terres. Évidemment, alors que la situation de sécheresse s’aggrave partout au pays, l’accès aux terres humides devient une question de vie ou de mort pour les éleveurs, lesquels dépendent des glaciers pour alimenter leurs élevages pendant la saison sèche.

L’industrie minière fait partie du problème, et donc ne peut pas être la solution.

En septembre 2019, MiningWatch Canada, en association avec le OLCA (Observatorio de Conflictos Ambientales de Chile / Centre d’études de conflits environnementaux du Chili), le OCMAL (Observatorio de Conflictos Mineros de América Latina / Centre d’étude des conflits miniers d’Amérique Latine), War on Wantet The London Mining Network, a animé une série de réunions pendant deux jours pour analyser la relation entre la crise climatique, la transition énergétique et l’extractivisme minier. Le OLCA a convoqué les réunions à Santiago, ville hôte du COP25 et de la Cumbre de los Pueblos (Sommet des peuples). Dans le but d’influencer les débats sur la crise climatique du Chili et au niveau mondial, 26 organisations latino-américaines et internationales ont signé une déclaration publique qui remet en question les principales prémisses sur les causes et les solutions à la crise climatique.

Tel qu’il a été mentionné, le Chili est le plus important producteur de cuivre au niveau mondial, et le second plus important producteur de lithium. Ces deux métaux sont considérés critiques pour la transition énergétique.

Il n’est peut-être pas surprenant que l’industrie minière ait adopté cette vision de la transition énergétique, promouvant ainsi une solution minière à la crise environnementale. Au chili, en Amérique Latine et au Canada, les communautés sentent déjà la pression des compagnies minières, avec des discours tels que « Si vous voulez sauver la planète et le futur de vos petits-enfants, vous devez nous permettre de produire x, y, z. »

Par conséquent, il est urgent et important que les organisations et les communautés des pays producteurs aient l’opportunité de s’opposer à ces discours. Vous trouverez ici quelques sections de la déclaration :

Nous reconnaissons… que la croissance économique de Nord et des puissances émergentes se cache derrière le discours de la « transition énergétique », qui augmente exponentiellement les zones de sacrifice pour assurer l’approvisionnement en minéraux pour les technologies dites « vertes », au prix de l’exploitation de nos territoires et de la précarisation de leurs habitants, le tout aggravant la crise écologique. 

Qu’à la résistance historique et flagrante de nos communautés urbaines et rurales du Sud à la crise climatique, s’ajoute aujourd’hui la panique qui s’est installée dans le Nord. La panique ne peut pas nous imposer de fausses solutions ni reproduire l’activité extractiviste.

Que la crise climatique, en tant qu’élément d’une crise écologique, est une condition du modèle capitaliste du développement mondial, qui exige de multiples actions communes des peuples du monde.

Nous dénonçons… toutes tentatives des compagnies minières pour profiter de la crise climatique avec des duperies telles que : les résidus inclusifs, l’adoption de responsabilités environnementales, l’exploitation minière responsable, l’exploitation minière verte, l’exploitation minière durable, l’exploitation minière écologique, l’exploitation minière propre, l’exploitation minière intelligente du point de vue climatique, les mécanismes de compensation des dommages sociaux et environnementaux, l’économie verte et tout autre concept qui viserait à laver son image ou à rester impuni.

Qu’à ce jour les COPs n’ont pas contribué à résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité climatiques causés par l’extractivisme prédateur, concentrant les décisions dans l’ombre des intérêts commerciaux responsables de la crise climatique actuelle.

Nous lutterons… Pour défendre l’eau sous toutes ses formes comme source de vie et pour créer, célébrer et renforcer les territoires libres d’exploitation minières.

Malgré la poursuite des manifestations au Chili et le fait que la COP25 ait été transférée en Espagne, Sebastian Piñera demeure président du conseil due la COP25. À ce jour, il n’a pas commenté par rapport à la répression brutale utilisée par les militaires chiliens contre le peuple, lesquels réclament, entre autre, un agenda pour affronter l’urgence climatique. Il ne devrait donc pas rester en charge de ce mandat pour la COP25. Une déclaration récente de la Unidad Social Chilena (l’Unité sociale chilienne) a exigé sa démission du poste en Espagne.

Nos homologues chiliens veulent faire savoir au public canadien que, malgré le fait que la COP25 aura lieu en Espagne, ils poursuivront le programme du Cumbre de los Pueblos

Le système privé d’approvisionnement en eau, la sécheresse et le rôle de l’industrie agricole et minière à ce sujet seront des thèmes centraux à table de dialogue et d’action. Le programme est disponible ici.

Les compagnies minières comme Teck ont des objectifs de durabilité directement liés à la réduction des émissions de carbone pour affronter les changements climatiques. Cependant il est important de se demander, tel que l’ont fait nos camarades chiliens : comment Teck pourra-t-elle combattre les changements climatiques si elle-même contribue à la crise économique ? Ses mines au Chili, et particulièrement sont projet de mine pétrolière Frontier, en disent plus que n’importe quelle déclaration de développement durable.