Comment créer des identités nationales

Jean Tosti , Possibles, ATTAC, juillet 2017*

 

Les actuels événements de Catalogne nous invitent à tenter de comprendre les différences existant entre un État, une nation, un État-nation, voire un État fédéral ou une confédération. Les ouvrages concernant l’État, la nation, le nationalisme ou d’autres notions ne manquent pas, je n’avais que l’embarras du choix. Le livre d’Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales, Europe XVIIIe – XIXe siècle [1], m’a séduit à la fois par sa mise en valeur de phénomènes culturels trop souvent négligés, par son humour et par sa tentative d’objectivité.

On lui reprochera certes de ne pas assez insister sur les prémices du nationalisme, sur ses aspects les plus récents (dépeçage de l’Union soviétique et le la Yougoslavie), ainsi que sur certains phénomènes économiques, politiques et sociaux (capitalisme, lutte des classes, opposition nationalisme/internationalisme). Mais tel n’était pas son but, et cela n’enlève rien à l’intérêt du livre.

  1. État et nation

Comme la plupart des autres auteurs, A.-M. Thiesse fait remonter le nationalisme et la création de nations à la seconde moitié du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe siècle, on aura l’occasion d’en reparler. Il semble auparavant utile de définir, au moins succinctement, les diverses notions évoquées plus haut. Tandis que l’État (ou État souverain) est un concept politique et juridique, ce n’est pas le cas de la nation, aux définitions beaucoup plus floues et parfois contradictoires.

Dans le droit international, pour qu’un État soit reconnu comme tel, il doit répondre à trois conditions :

  • constituer un territoire délimité par des frontières terrestres et/ou maritimes ;
  • posséder une population permanente rattachée à l’État par un lien juridique : la nationalité ;
  • avoir un gouvernement.

La nation n’est pour sa part en aucune façon un concept juridique, même si le nom de certaines organisations internationales peut prêter à confusion : c’est le cas de la Société des Nations (SDN), devenue par la suite l’Organisation des Nations unies (ONU). La définition du terme n’est pas simple, d’autant qu’elle a suscité au XIXe siècle une longue controverse entre théoriciens allemands et français. Pour les premiers, notamment Johann Gottlieb Fichte, les membres d’une nation ont en commun des caractéristiques telles que la langue, la religion, la culture, l’histoire, les origines ethniques. Les Français se réfèrent pour leur part à la Révolution de 1789 et à ses conséquences (cf. Sieyès, Qu’est ce que le Tiers-État ?, 1789), et leur conception de la nation est bien résumée par Ernest Renan. Malgré son indéfectible attachement au racisme, celui-ci estime qu’il n’y a pas de race pure. De même, dans son esprit, les critères linguistiques, religieux et même géographiques ne sauraient définir une nation. Selon lui, « la nation est une âme, un principe spirituel », s’ancrant à la fois dans le passé et le présent. « Le culte des ancêtres » et « la souffrance en commun » rattachent les individus au passé. Quant au présent, il est caractérisé par le « vouloir vivre ensemble » qui se traduit par « le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ».

La plupart des penseurs contemporains estiment pour leur part que la nation est une communauté imaginaire ne pouvant être définie que subjectivement. C’est ce que dit, entre autres, l’historien britannique Eric Hobsbawm : « Puisque à toute époque quelques spécimens seulement de la vaste classe d’entités auxquelles s’appliquent de telles définitions peuvent être considérées effectivement comme des ’nations’, il est toujours possible de trouver des exceptions : soit les cas qui correspondent à la définition ne sont […] pas (ou pas encore) des nations […] soit des nations incontestées ne correspondent pas au critère ou à l’ensemble des critères [7]. » A.-M. Thiesse évoque elle aussi le problème dans son ouvrage : « Car aucune définition de la nation n’apporte de réponse incontestable à une question fondamentale : comment définir le territoire de la nation et en déduire les limites d’un État ? La nation est un principe, l’État une réalité concrète (p. 231). »

Communauté imaginaire ou pas, la nation reste une réalité bien ancrée dans les esprits. Quand elle se confond avec l’État, on peut parler d’État-nation ou plutôt d’État unitaire (la France en serait, paraît-il, le meilleur exemple en Europe). Mais il convient ici de mentionner quelques cas particuliers : le Royaume-Uni, certes État souverain, se compose de quatre nations, Angleterre, Écosse, Pays de Galles et Irlande du Nord. C’est aussi le cas du Canada, où le Québec est reconnu comme nation depuis 2006. Inversement, il existe des territoires qui ne sont ni des nations reconnues comme telles, ni a fortiori des États : Kurdistan, Palestine, Sahara occidental entre autres (voir à ce sujet l’article de Nils Andersson dans le même numéro).

L’État unitaire s’oppose à l’État fédéral. Ce dernier se compose de plusieurs communautés autonomes disposant de leur propre gouvernement et nommées entités fédérées. Leur autonomie varie selon les pays et, en principe, elles ne possèdent aucun pouvoir en ce qui concerne la politique étrangère, réservée à l’État souverain. Parmi les exemples les plus connus, on citera l’Allemagne et les États-Unis. Par contre, malgré ses dix-sept communautés autonomes, l’Espagne ne peut être considérée comme un État fédéral, notamment parce que ces communautés ne disposent pas de l’autorité judiciaire et que leur chef est le roi d’Espagne. À quoi on ajoutera le désormais célèbre article 155 de la Constitution, qui a permis à Madrid de reprendre la main sur la communauté de Catalogne.

Terminons par le terme de confédération. Il n’existe à ce jour dans le monde aucun État confédéral. Ainsi, malgré sa dénomination officielle (Confédération helvétique), la Suisse est un État fédéral depuis 1848. Même chose pour les États-Unis depuis le Constitution de 1789. Reste à savoir si certains groupements d’États peuvent être considérés comme des confédérations. C’est le cas du Commonwealth, mais sans doute aussi de l’Organisation des Nations unies et, dans une certaine mesure, de l’Union européenne.

 

Notes

[1] Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales, Europe XVIIIe-XIXe siècle, Paris, éd. du Seuil, 1999.

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