Complicités occidentales dans l’offensive turque contre les Kurdes

 

Khaled Sumailan, Le Devoir, 7 février 2018

Une des plus puissantes armées de l’OTAN, celle de la Turquie, est en train de détruire la région d’Afrin en Syrie, et la communauté internationale, en se bouchant les oreilles et en fermant les yeux, présente son silence comme le plus beau cadeau à Erdogan.

Des villages, des temples, des hôpitaux et des oliviers sont rasés par les forces aériennes turques. Un million et demi de personnes, dont un demi-million de déplacés, vivent sous le bombardement quotidien, des centaines parmi elles se réfugient dans des grottes. Selon ce qu’on peut voir sur des images publiées dans les médias locaux et internationaux, les avions turcs n’excluent pas les civils et leurs foyers, ni les services publics et les sites historiques.

D’abord, le nord-ouest de la Syrie, où se trouve l’enclave d’Afrin, administré par les Kurdes depuis 2011, est devenu un champ libre pour tester les armes européennes et américaines par le gouvernement islamo-conservateur turc. Il est bien important de noter qu’après l’apparition des chars allemands (Léopard-2) dans cette agression militaire turque, une première vague de critiques a déferlé contre le silence du gouvernement d’Angela Merkel sur l’utilisation de ces chars contre les Kurdes. Mais l’arme plus dangereuse que les Léopard-2 est celle du silence du monde devant une violence étatique qui décuplera le désastre politique et sécuritaire en Syrie.

Dans la justification de cette guerre, le président turc a convaincu la communauté internationale que son pays est menacé par le Parti d’Union démocratique (PYD) et ses branches militaires, dont les Unités de protection du peuple (YPG) et les Unités de protection de la femme (YPJ). Mais au-delà de ce mensonge, Erdogan n’a jamais manqué une occasion de montrer qu’il est contre l’existence même des Kurdes en Afrique. Dès la création de leurs administrations autonomes dans la région du nord de la Syrie en 2012, les Kurdes n’ont jamais constitué une menace pour la Turquie, même s’ils sont déjà dans sa mire.

Fermer les yeux

Il est important de savoir que la région dans laquelle les Kurdes ont vaincu l’organisation de l’État islamique (Daech) se démarque par rapport aux autres régions dans une Syrie en proie à de la violence. Et la pacification de cette région kurde constitue la source d’inquiétude du « sultan » Erdogan, qui est prêt à tout pour que les Kurdes ne puissent pas profiter de leurs droits politiques et nationaux. Cela veut dire que l’offensive Rameau d’olivier — Coupeur d’olivier dans les médias kurdes — ne date pas de son déclenchement le 20 janvier dernier. Elle est plutôt ancrée dans le dogme politique et militaire turc depuis toujours.

Entre-temps, les deux grandes puissances, les États-Unis et la Russie, qui sont censées ramener la stabilité en Syrie, ferment les yeux sur les atrocités turques en se concentrant sur l’Iran et le régime de Bachar el-Assad.

Pour les Américains, les régions les plus importantes en Syrie sont celles de l’est et du nord-est, où se trouvent les provinces de Deir Ez-Zour, de Raqqa et d’Hassaké, qui permettraient d’établir un corridor d’intervention entre l‘Iran, la Syrie et le Liban, et pour le pétrole tant convoité. Pour Vladimir Poutine, tout échec en Syrie couperait l’herbe sous le pied aux Russes dans le grand Moyen-Orient et à la façade maritime méditerranéenne. Il s’agit donc d’une carte régionale forte à jouer pour le nouveau César russe. En bref, les deux puissances ont laissé les Kurdes de Syrie dans la mire de la Turquie, et dans celle de l’Iran en Irak après le référendum de l’indépendance en 2017.

Il faut rappeler dans ce contexte que la Syrie, l’Iran et l’Irak ont intérêt à éliminer toute possibilité d’émergence d’une entité kurde dans la région. Cela ramène les Kurdes, qui constituent la plus grande nation colonisée jusqu’à aujourd’hui, à une géopolitique post-coloniale étouffante.

Dans ce contexte, et sous le couvert de « préoccupations légitimes en matière de sécurité », la communauté internationale se contente d’un silence complice doublé d’hypocrisie alors que le président Erdogan se prépare à déplacer son cheval de Troie, pour des considérations dites géostratégiques et les intérêts militaro-économiques des uns et des autres. Et Afrin, la sacrifiée, ne suscite la préoccupation d’aucun pays.

 

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