Derrière le Sommet du G20 : le désordre dans l’ordre international

Samir Saul, le Devoir, 28 juin 2019

 

D’ordinaire, la contestation du statu quo international vient de la gauche, partisane du changement. Il fut un temps où libéraux et démocrates remettaient en question le système aristocratique, dynastique et antinational restauré au début du XIXe siècle. Plus tard, socialistes, puis communistes s’opposaient à l’ordre bourgeois, oligarchique et impérialiste. En face, les élites, quelles qu’elles soient, tendent à défendre l’ordre établi, lequel leur est avantageux. Plus maintenant. Notre époque est celle de la déstabilisation de l’ordre international par le sommet.

Alors que l’internationalisme a été l’apanage de la gauche, les élites soutenaient les États qu’elles régentaient dans leur intérêt. Plus maintenant. Les couches supérieures se sont métamorphosées en laudatrices d’un internationalisme vecteur du marché, rabaissant États et nations au statut d’oripeaux abandonnés aux couches sociales en déclin.

Quel est le perturbateur no 1 de la stabilité internationale ? Sans contredit et sans dissimulation les États-Unis. Censée être le garant et le pilier de l’ordre international, la première puissance fomente sans relâche heurts et conflits urbi et orbi : Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Iran, Ukraine, frontière occidentale de la Russie, Venezuela, Cuba, péninsule coréenne, mer de Chine, traité nucléaire INF, accords économiques, « sanctions » (embargos-blocus) à tout va. Pyromane, elle essaie d’allumer la mèche au Liban. En Palestine, elle jette de l’huile sur le feu attisé par son protégé israélien, occupant de territoires qui ne lui appartiennent pas. Du droit international, elle n’en a cure, décomplexée en la matière par Israël, hors-la-loi avéré et champion du mépris de la légalité. Revendiquant l’impunité, les deux se sont rendus non justiciables de la CPI.

En face des États-Unis se retrouvent des pays accaparés par l’effort de rescaper ce qui peut l’être de l’ordre établi, du droit et des règles de conduite propres à un système international. Pourquoi les États-Unis cherchent-ils noise aux autres et s’invitent-ils chez eux ? Comment expliquer que la puissance dominante soit déstabilisatrice d’un statu quo dont elle a tiré parti, et que les moins favorisés défendent sa stabilité ?

Une hégémonie à l’avenir incertain

La raison réside dans l’évolution du cours de l’histoire récente. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les États-Unis prônent un ordre libéral propice au capitalisme et de nature à leur assurer la primauté. Si, durant la Seconde Guerre mondiale, les impérialismes européens ont l’heureuse idée de faciliter la tâche des États-Unis en s’éliminant mutuellement, l’URSS émerge comme un obstacle de taille aux visées américaines. En 1991, le démantèlement de l’URSS et l’unipolarité font penser que le monde entier serait enfin à la disposition des États-Unis. La « fin de l’histoire » est doctement déclarée atteinte, et le « siècle américain » célébré avec pompe. Les États-Unis parrainent une mondialisation et un multilatéralisme factice qui font d’eux les maîtres de l’univers. Des démonstrations de force aux dépens de pays diabolisés (« États voyous », « Axe du mal ») devaient avoir valeur d’exemples pour venir à bout des récalcitrants.

Or, tout se fissure en moins d’un quart de siècle. D’abord, l’inefficacité de la puissance militaire américaine et l’incapacité à s’imposer par la force apparaissent au grand jour. Malgré les colossaux moyens déployés, aucune guerre américaine n’atteint les objectifs fixés. Quincaillerie futuriste et budgets démentiels ne mènent pas à des résultats tangibles. Entre-temps, comme un phénix, la Russie renaît de ses cendres, restaure son État déliquescent et reprend un rôle international à sa mesure. Amère surprise pour ceux qui avaient vite fait de l’ajouter à la catégorie des néocolonies aux ordres. Pour sa part, la Chine tire son épingle du jeu d’une mondialisation conçue pour profiter aux États-Unis. Elle a l’outrecuidance de trop bien réussir et de ne pas agir en subordonnée. Enfin, la bulle du mondialisme néolibéral éclate en 2008, laissant les États-Unis sans projet utilisable comme semblant de justification à leur prétention au « leadership ».

Affaiblir les autres

La mondialisation néolibérale tourne moins à l’avantage des États-Unis, le monde va à contresens de leur hégémonie et l’internationalisme d’en haut soulève des résistances. Sans perspectives à offrir pour obtenir des ralliements, leur stratégie se résume à nuire et à menacer pour réaffirmer leur prédominance. Ils ne prennent même plus la peine de vanter les bienfaits d’un monde américanocentré. Dépourvue de toute parure, cette politique est purement négative : agir en fauteurs de trouble semant le désordre dans un ordre international qui leur échappe afin de déséquilibrer tant rivaux qu’alliés et retarder leur émergence. Puissance moins sûre de sa domination, son comportement est brouillon et imprévisible. Dans son simplisme de personnage de bande dessinée, dans ses postures de matamore, Trump en est le parfait représentant.

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