Etats-Unis. Articuler la campagne pour le climat, la santé et l’éducation

Par U.S. Government — Extracted from PDF version of the Federal Reserve's Purposes & Functions document (direct PDF URL [1])., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2694743

Par Jamie Henn, A l’encontre, publié le 13 mai 2020

Récemment, la Réserve fédérale (FED) a annoncé qu’elle assouplirait ses directives en matière de prêt afin que davantage de firmes, même celles qui ont des dettes préexistantes massives, puissent participer à la frénésie d’alimentation du sauvetage. Comme l’explique Alexis Goldstein [dans sa contribution du 5 mai 2020] le principal bénéficiaire de ces changements a été le groupe qui a exercé le plus de pression en leur faveur: l’industrie des combustibles fossiles. De toutes les raisons pour lesquelles les compagnies de charbon, de pétrole et de gaz ne méritent pas plus de soutien public, il y en a une qui est particulièrement flagrante: elles l’obtiennent déjà. C’est vrai: chaque année, depuis plus d’un siècle, ces entreprises ont reçu des dizaines de milliards de dollars en renflouements. On les appelle simplement autrement: des subventions.

Le niveau de soutien gouvernemental existant pour l’industrie des combustibles fossiles est si répandu qu’il est difficile à calculer. Oil Change International, qui suit les subventions aux combustibles fossiles depuis des années, estime que les subventions directes du gouvernement étatsunien aux compagnies pétrolières, gazières et charbonnières s’élèvent à environ 20 milliards de dollars par an. Ces chiffres ne tiennent pas compte des coûts élevés que les combustibles fossiles imposent à notre environnement et à la santé publique, ni des 81 milliards de dollars que l’armée dépense chaque année pour défendre les réserves de pétrole à l’étranger, coûts qui finissent tous par être supportés par les contribuables.

Lorsque vous prenez en compte ces coûts pour avoir une idée du total des subventions que l’industrie reçoit chaque année, les chiffres montent en flèche. Selon un document de travail du Fonds monétaire international (FMI) datant de 2019, le coût réel des subventions américaines aux combustibles fossiles est plus proche de 649 milliards de dollars par an. C’est près de dix fois le budget du ministère de l’Education (68 milliards de dollars). C’est aussi environ 15 fois les 42 milliards de dollars qui ont été alloués aux National Institutes of Health en 2020.

Ces subventions ont pris diverses formes depuis plus d’un siècle. Au cours de cette période, les compagnies pétrolières et gazières ont-elles utilisé ce soutien gouvernemental extravagant pour créer une industrie énergétique stable qui appuie les travailleurs et les collectivités afin qu’ils soient bien équipés pour faire face à des crises comme l’actuelle pandémie Covid-19? Non, bien au contraire.

Au cours de la dernière décennie, les compagnies pétrolières et gazières ont fait des dépenses inconsidérées, s’endettant massivement pour forer toujours plus de puits et rejeter toujours plus de carbone dans l’atmosphère. La surabondance de pétrole qui en résulte a entraîné des licenciements massifs dans tout le pays. Entre 2014 et 2016, bien avant Covid-19 et la guerre des prix actuelle, les compagnies pétrolières et gazières ont licencié 195’000 travailleurs en raison des prix bas du pétrole – et beaucoup de ces emplois n’ont jamais été remplacés lorsque les prix ont augmenté. Les compagnies pétrolières et gazières n’ont pas non plus tenu leurs engagements envers les investisseurs, notamment les millions d’Américains qui possèdent des actions dans le secteur parce que leurs fonds de pension n’ont pas encore renoncé aux combustibles fossiles. Dans cette catégorie, les actions du pétrole et du gaz sont arrivées en dernière position de l’indice S&P 500 entre 2010 et 2019.

Alors, qui profite vraiment de ces subventions gouvernementales somptueuses? Les PDG, bien sûr.

Selon le Houston Chronicle, «si les 10 dirigeants de Houston qui ont fait le plus d’argent en 2018 avaient pointé, ils auraient chacun gagné environ 8600 dollars de l’heure». En d’autres termes, les PDG du secteur du pétrole et du gaz ont gagné plus en neuf minutes que les 1200 dollars que le gouvernement envoie aux Américains touchés par Covid-19. Whiting Petroleum Corp, la première grande entreprise de fracturation (du schiste) à avoir fait faillite pendant la crise, a versé 14,6 millions de dollars de primes en espèces aux cadres supérieurs, dont 6,4 millions pour le seul PDG, Brad Holly, quelques jours avant le dépôt de bilan.

En plus de ces subventions préexistantes, l’administration Trump a déjà pris des dizaines de mesures depuis le début de la pandémie Covid-19 afin d’aider les compagnies pétrolières et gazières, souvent au détriment de l’environnement et de la santé publique. Nous avons documenté ces aides sur le site NoBigOilBailout.com, et la liste est longue. En voici quelques-unes:

  • Le 25 mars, l’administration Trump a accordé un «allégement réglementaire» de la loi sur le contrôle des substances toxiques aux fabricants de produits chimiques et pétrochimiques.
  • Le 26 mars, suite au lobbying de l’American Petroleum Institute, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) de Trump a cessé sine die d’appliquer les mesures de protection de l’environnement et de la santé publique.
  • Le 27 mars, l’EPA de Trump a annoncé qu’elle autorisait la vente d’une essence plus sale, le «carburant d’hiver», pendant la période de fermeture du Covid-19, ce qui a détérioré la qualité de l’air en pleine pandémie de virus respiratoire.
  • Le 16 avril, le ministère des Transports de Trump a entrepris de réduire les règles de sécurité des pipelines, notamment en créant des plans d’intervention en cas de déversement.
  • Le 21 avril, l’EPA de Trump a finalisé son retrait des protections des zones humides et des cours d’eau, affaiblissant les exigences en matière d’eau propre pour diverses installations industrielles, y compris les centrales électriques et les usines pétrochimiques.

Aujourd’hui, le secteur du Big Oil et ses alliés au Congrès font pression pour obtenir encore plus de subventions. En avril dernier, avant une réunion des dirigeants du secteur pétrolier et gazier à la Maison Blanche, un groupe de plus de 40 républicains de la Chambre des représentants a écrit une lettre à l’administration, l’exhortant à renforcer le soutien aux combustibles fossiles (la lettre omettait de demander un soutien aux travailleurs du secteur de l’énergie propre, dont 100’000 ont perdu leur emploi en mars). Ils se réjouissent sans doute les derniers changements de règles de la Fed qui doivent permettre aux entreprises de combustibles fossiles, même si leurs bilans sont cauchemardesques, de pomper l’argent qui était destiné aux petites entreprises. En attendant, Trump est toujours occupé à tweeter qu’il ne «laissera jamais tomber la grande industrie pétrolière et gazière américaine» et qu’il a chargé son administration de «formuler un plan».

Un véritable plan pour le secteur pétrolier et gazier impliquerait d’arrêter immédiatement l’expansion de l’industrie et de réduire progressivement la production conformément à l’objectif de l’accord de Paris (COP21 de 2015) de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius, tout en assurant aux travailleurs et aux communautés locales une transition juste. Que cela passe par la nationalisation, comme certains l’ont suggéré, ou par une réglementation stricte, comme d’autres l’ont défendu, semble moins important que l’objectif général: mettre fin à notre dépendance vis-à-vis de l’industrie des combustibles fossiles afin que nous puissions faire face à l’autre grande crise mondiale à laquelle nous sommes confrontés – l’urgence climatique.

Ce plan commencerait par l’arrêt définitif de toutes les subventions aux combustibles fossiles ainsi que des aides gouvernementales, comme l’a demandé à maintes reprises le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et bien d’autres, et comme les pays du G20 avaient promis de le faire… depuis plus de dix ans. En effet, quel que soit le mode de calcul, nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à renflouer l’industrie des combustibles fossiles et à payer la note pour son comportement destructeur. L’industrie a déjà reçu des billions de dollars de nos deniers publics – elle ne mérite pas un centime de plus.