États-Unis : le vent de gauche

Entrevue de Chana Suarez, Jacobin, 4 novembre 2019

Chanan Suarez est candidat socialiste à un conseil municipal dans l’état du Washington. Nous nous sommes entretenus avec lui pour connaître pourquoi il veut se confronter au libéral présentement au pouvoir, quel est le lien entre la démocratie et le socialisme, et « la nécessité de contrer le capitalisme, et de faire des gains sur des réformes qui importent. »

ENTREVUE par Jason Farbman

Chanan Suarez est candidat au conseil municipal de Bellingham, à l’État de Washington, une petite ville (population de quatre vingt dix mille personnes) près de la frontière canadienne. Sa campagne porte sur « le logement pour tous », le New Deal vert à Bellingham, le droit des travailleurs, « un sanctuaire pour tous », la municipalisation de l’électricité, les soins et services aux enfants et les hôpitaux, et le financement des réformes en taxant les riches.

Né à Miami, Suarez est socialiste depuis son retour de l’Irak alors qu’il s’était enrôlé dans l’armée, plus spécifiquement en tant que spécialiste médical dans les marines. Il s’est installé à Seattle où il est devenu une personnalité dominante de la gauche. Fondateur et président du chapitre de Seattle de Iraq Veterans Against the War, Chanan a mené et organisé des milliers de manifestations durant les années de Bush. Par la suite, il a fondé Queer Ally Coalition pour protéger la communauté LGBT de la montée de la violence dans un Capitol Hill de Seattle qui se gentrifie rapidemement.

Suarez est présentement délégué syndical de American Federation of Government Employees Local 3937, où il travaille auprès de Social Security Administration en tant que spécialiste bilingue des réclamations. Il est aussi co-président de Whatcom County chapter of Democratic Socialists of America (DSA).

Avec l’élection du 5 novembre qui s’approche, Chanan a consacré du temps pour parler avec Jason Farbman, éditeur associé de Jacobin.


JF – Vous compétitionnez avec une membre syndicale qui s’affiche comme progressiste. À l’ère de Trump, beaucoup se montreraient très hostiles envers un candidat progressiste. Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans la course?

En fait, c’est mon chapitre du DSA qui me l’avait demandé. J’y avais été co-président pendant un an. J’avais alors décidé de me porter candidat ouvertement socialiste.

Je l’ai souvent dit que mon adversaire a fait beaucoup de bien pour la communauté. Je ne suis pas ici pour dévaluer le bon travail qu’elle a fait. Mais essentiellement, nous ne partageons pas la même vision.

Une distinction évidente est que mon adversaire a le soutien de la police. Cela signifie qu’il soit peu probable que sa plateforme s’attaquera aux besoins de tous les travailleurs, particulièrement les immigrants sans papiers, le jeunesse LGBT sans-abri, ou encore ceux à la défense de black lives matter. Je me suis battu pour une supervision civile de la police et pour un sanctuaire ou un refuge pour tous afin de protéger les résidents de Bellingham de l’agence fédérale de police douanière et du contrôle des frontières du département de la sécurité intérieure (ICE). Je suis le seul à en parler.

Aussi, en matière de démographie, Bellingham change rapidement. Or, le conseil municipal n’est pas représentatif de la population actuelle. Il n’y a aucune personne de couleur au sein du conseil, il n’y aucune personne qui s’identifie ouvertement LGBTQ au sein du conseil, alors que moi, je m’identifie à ces deux populations.

JF- Selon vous, qu’est-ce qui distingue un candidat socialiste d’un candidat progressiste?

Le plus important, c’est comment on nomme les vrais enjeux auxquels sont confrontés la classe des travailleurs, c’est le capitalisme. Nous vivons présentement dans un climat très ouvert avec un énorme potentiel pour la reconfiguration politique. Ainsi, notre tâche est d’être très clair et direct sur notre approche politique ascendante nécessaire pour contrer le capitalisme, mais aussi pour faire des gains sur des réformes qui importent.

JF – Votre platforme est très étendue pour une élection municipale. Je trouve cela merveilleux parce qu’elle met en lien beaucoup d’enjeux différents. Quels éléments de votre platforme vous ont immédiatement allumés?

Le logement est l’un des plus grands enjeux à Bellingham. J’ai suggéré un logement social — pour allouer 3 500 unités d’habitation qui appartiennent à la ville mais qui seraient gérées par ses locataires, et qui seraient entièrement défrayées, pour donner l’exemple d’un moyen, en partie par des taxes foncières progressistes, notamment. Si nous voulons que le logement soit abordable, il faut exiger plus. Nous devons faire en sorte que le logement soit non seulement abordable, mais qu’il le soit de façon permanente, ce qui signifie que nous devons empêcher autant que possible l’accès de l’habitation aux mains du secteur privé. J’ai aussi mené une campagne pour mettre fin à la discrimination envers les personnes qui ont été incarcérées dans le passé.

Évidemment, « le logement pour tous » plaît beaucoup, et mon adversaire aborde aussi le logement. Cependant, son approche est du type « Pas dans ma cour » [NIMBY, “Not In My Backyard”], et donc, ne propose rien qui s’apparente à des coopératives financées par les taxes aux plus riches.

Quand je parle de ma plateforme, beaucoup de gens sont en accord : ma plateforme d’un New Deal vert pour Bellingham, le droit des travailleurs, l’élargissement des services publics incluant les soins et services aux enfants, un hôpital public, un internet public…

JF – Avec une plateforme aussi ambitieuse que la vôtre, que répondez-vous à la question inévitable « Comment allez-vous payer pour tout ça? »

Taxer les riches! J’ai été très clair tout au long de ma campagne. Je ne veux plus ajouter au fardeau de la classe ouvrière parce qu’elle en a déjà assez sur les épaules. Nous allons trouver la solution auprès des plus riches et des grosses chaînes. On pourrait aussi se pencher sur d’autres choses, comme des obligations.

Mon adversaire n’a pas fait mention de taxer les riches. Ses solutions de créer de nouveaux frais s’inscrit sans originalité dans le même ordre d’idée libérale du vieux parti démocrate.

JF- Parmi les six pilliers de votre platforme, un se consacre aux« droits des travailleurs. » Pourquoi est-ce si important pour vous?

Les travailleurs de Bellingham ont besoin d’un salaire minimum de 15 $ — actuellement, en 2020 — avec des augmentations régulières plannifiées. Nous avons besoin de mécanismes qui soutiennent les travailleurs victimes de vol salarial et de discrimination. Le socialisme du vingt et unième siècle a le devoir d’aller au cœur de la démocratie, et ça doit passer par le milieu de travail. Je veux établir un fond municipal et une autre forme de soutien pour des travailleurs propriétaires de coops.

C’est un message que j’ai constamment martelé tout au long de ma campagne, et cette idée n’aurait jamais été entendue si la course ne comportait que des libéraux ou des progressistes.

JF – Y avait-il des éléments de votre plateforme qui étaient difficiles à convaincre?

Hmm. « Un sanctuaire pour tous, » dans le sens que nous l’employons, n’est pas facile à faire comprendre aux gens comment les différentes populations opprimées sont reliées. J’ai appelé à un renforcement du statut de Bellingham comme ville refuge, mais aussi en parallèle de mettre en œuvre les recommandations sur Black Lives Matter sur la protection de la police; élargir la protection de la communauté LGBTQ telle que les droits à un refuge aux sans-abris; soutenir les victimes de la guerre contre la drogue en créant des sites et espaces sécuritaires pour la consommation et la réhabilitation; le décriminalisation des travailleurs de l’industrie du sexe; et autres.

JF – À la Ville de New York, pour être compétitif, une campagne socialiste a besoin d’un financement d’au moins 150 000 $ — une somme énorme. Mais à Bellingham, on dirait qu’aucun d’entre vous avez eu besoin d’amasser plus de 15 000 $. Décrivez comment s’est déroulée la campagne sans levées de fonds?

Cette campagne a été menée depuis la base, de fond en comble, et ce, depuis le début. La plateforme a été discutée et décidé démocratiquement à travers un vote. Pendant un mois et demi, nous avons décidé de rénumérer deux bénévoles très dévoués à se concentrer sur la campagne. Tout le reste s’est opéré de manière bénévole. Nous avons vécu une belle expérience de dévouement. Nous avons lancé la campagne en mi-mai un vendredi. Dès le lendemain, nous avions déjà une équipe de sollicitation. Nous sollicitons depuis ce jour, avec des gens qui se portent volontaires chaque semaine. C’était très inspirant. Nous avons cogné à plus de cinq cents portes. Nous avons près de cinquante personnes qui ont contribué de près ou de loin à la campagne, que ce soit pour distribuer de l’information, faire du porte-à-porte, solliciter, faire des levées de fonds, un peu de tout. Une camarade, Celia, a fait le design de notre joli logo de campagne.

JF – D’après vous, en cinq mois de campagne, qu’avez-vous pu accomplir?

Nous avons certainement orienté la conversation vers la gauche. Maintenant, les autres candidats régurgitent mes sujets de discussion comme le logement et le New Deal vert.

JF- On dirait que votre chapitre du DSA a été partie intégrante de votre campagne. Est-ce que votre campagne a aussi aidé à bâtir DSA à son tour?

Absolument. Plus de membres s’y sont adhérés et nous avons une meilleure visibilité. Comprenez bien, il y avait des camarades qui faisaient un excellent travail, comme sur les droits des immigrants et autres projets, mais ce travail était en lien à des projets provenant d’ailleurs, et non des projets de Whatcom DSA.

Les membres qui se sont rajoutés nous enrichissent avec leur diversité. Certains sont des organisateurs chevronnés inactifs depuis longtemps mais qui sont revenus, tandis que d’autres s’impliquent en politique pour la première fois. À Bellingham, les gens connaissent maintenant DSA, ce que nous sommes, et nous prennent au sérieux.

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