Haïti : il faut changer le système

Depuis la grande mobilisation déclenchée le 6 juillet 2018 en Haïti contre la décision du gouvernement Moïse-Lafontant d’augmenter le prix du carburant, les contestations se sont intensifiées. En août de la même année, des revendications de reddition de compte notamment sur la gestion du fonds Petrocaribe (1), formulées bien avant 2018 (2), se sont exprimées avec de plus en plus de force jusqu’à devenir les griefs les plus mobilisateurs jusqu’en 2019. Il s’agit des expressions les plus récentes et aiguisées d’une crise de fond qui remonte à la seconde moitié de la décennie 1980. C’est dans ce contexte qu’un discours de changement de système a émergé en tant que revendication de masse, en gagnant de plus en plus d’audience. (3) Ce discours est exprimé sur les réseaux socio-numériques, dans les manifestations et sit-in organisés sur la voie publique, dans les propositions de sortie de crise. Le discours de changement de système s’impose avec tellement de force qu’il est repris même par les principales forces gardiennes de l’ordre social établi: des secteurs de la bourgeoisie locale, les forces politiques conservatrices (au pouvoir ou en dehors du pouvoir). A partir de là, s’impose la nécessité de clarifier la nature du système dont le changement est revendiqué. Mais, en dépit des confusions qui le caractérisent, le discours de changement de système, tel qu’il est formulé en général (4), cherche à revendiquer des mesures allant au-delà de la démission du président illégitime Jovenel Moïse.
Certaines forces en lutte ont déployé des efforts pour préciser les principales caractéristiques de l’organisation du système en question et ses enracinements historiques (5). Mais ces efforts sont loin d’être suffisants. En effet, il manque toujours une précision sur la distinction entre des niveaux d’organisation sociale étroitement liés et interdépendants. Parfois, le système à changer désigne implicitement l’organisation sociétale de façon générale. Certaines fois, l’intérêt est porté vers les structures juridico-politiques de l’État (6). Dans d’autres cas, l’accent est plutôt mis sur des pratiques individuelles et collectives ancrées subjectivement et enracinées depuis deux siècles. Dans tous les cas, la cible du changement reste confuse, n’étant pas abordée comme plusieurs dimensions distinctes d’une organisation sociétale complexe. Confondre des dimensions distinctes de l’organisation de la société sur la base de leur interdépendance contribue à nier la fonction spécifique et la nature spécifique de chacune de ces dimensions dans la dominance de l’organisation sociétale et à occulter donc les possibilités réelles de changer cette dernière à tel moment donné de la lutte ininterrompue des forces en présence.
Les confusions sur la nature du système à changer ne posent pas un simple problème de sémantique ou celui d’un discours non-conceptualisé. D’ailleurs le terme « système » semble faire sens pour les différentes forces qui se réclament « antisystème »(7). C’est l’incidence de ces confusions sur les choix stratégiques et tactiques des forces en lutte qui est en jeu. Nous nous référons ici aux forces sociales et politiques qui se veulent véritablement subversives. Que la cible du changement revendiqué soit désignée sous le nom de systèmestatu quol’ordre social établi, là n’est pas le problème. L’important, c’est de comprendre la nature de cette cible, de mesurer sa complexité et les possibilités de changement offertes par la crise.  C’est sur la base de ces considérations que les forces subversives peuvent engager des luttes capables d’aboutir au changement souhaité. Voilà l’enjeu politique majeur qui a motivé la réflexion qui suit.
Dans un premier moment, nous nous efforçons d’apporter un éclairage rapide sur les dimensions distinctes et inter-reliées de la dynamique sociétale, sur l’existence relativement autonome de chacune d’elles et leur articulation. Cette articulation est abordée comme porteuse d’au moins une dimension dominante. Nous essayons à partir des principales revendications formulées et des initiatives de sortie de crise à l’œuvre ou en cours de construction de mettre au jour les dimensions de l’organisation sociétale visées par les forces en présence en fonction de leurs intérêts fondamentaux. Dans un second moment, nous tentons d’étudier les possibilités réelles de changement offertes par les dernières expressions de la crise en tenant compte des capacités et des limites des forces en présence tout en envisageant comment et jusqu’à quel degré les dimensions de l’organisation de la société sont susceptibles d’être modifiées à court, moyen et long terme dans le sens des intérêts fondamentaux des classes populaires.
Le changement de système revendiqué: quelles dimensions de l’organisation sociétale sont envisagées?
La société est une abstraction. Sa totalité concrète comporte des dimensions fondamentales à distinguer. Il existe une dimension sociale-globale (rapports sociaux de production, commerce extérieur…), une dimension institutionnelle et organisationnelle (8) (principaux organes de l’État, administration publique, entreprises privées, médias, syndicats, organisations populaires, partis politiques, organisations de droits humains, églises…), et une dimension intersubjective et subjective (les relations de proximité d’ordre amical, familial, professionnel…) pour ne citer que les plus fondamentales. Ces principales dimensions comportent des sous-dimensions. Mais nous évitons un découpage trop morcelé pour ne pas perdre de vue la logique d’ensemble et donc sombrer dans un particularisme primaire. La dimension sociale-globale se manifeste et se reproduit à travers les dimensions institutionnelle et intersubjective, la dernière étant le support le plus concret. Cette dernière dimension se construit et se reproduit sur le fond structurel social-global par l’intermédiaire des principes institutionnels et des mécanismes organisationnels. Les relations entre les principales dimensions de l’organisation sociétale sont à la fois solidaires et contradictoires. Outre les interactions des dimensions entre elles, il ne faut pas perdre de vue l’influence de chacune de ces dimension sur la totalité et vice versa.
Cette interdépendance des triples dimensions fondamentales de l’organisation de la société n’exclut aucunement leur existence relativement autonome. C’est sur la base de cette existence autonome que certains changements opérés au niveau d’une dimension n’impliquent pas forcément la modification des autres dimensions. Par exemple, les changements inspirés par la démocratie libérale réalisés dans l’organisation juridico-politique de l’État au lendemain de la chute de Jean-Claude Duvalier n’ont pas entraîné pour autant un changement significatif des réflexes et comportements anti-démocratiques tant au niveau de la gestion de la chose publique qu’au niveau des pratiques à l’œuvre dans des sphères privées. Des dispositions juridico-politiques en faveur d’une économie axée d’abord sur la satisfaction des besoins locaux ne vont pas modifier automatiquement le caractère extraverti de l’économie haïtienne. Évidemment l’incidence des changements opérés au niveau d’une dimension sur les autres dimensions est en grande partie déterminée par la profondeur de ces changements. Mais cette incidence reste complexe et suppose, pour être instituée effectivement,  la vigilance d’individus et de groupes avertis sur la longue durée.
L’organisation socio-économique globale ?
Analysons un moment chacune de ces trois principales dimensions de l’organisation sociétale dans le cas d’Haïti. Commençons par la dimension sociale-globale. Cette dimension qui peut être appelée « l’organisation socio-économique » s’articule fondamentalement autour de la division sociale et technique du travail, du moins plus clairement dans les sociétés occidentales industrialisées. Elle implique les grandes orientations de la production, de la circulation et de la consommation de biens et de services (9). Dans le cas d’Haïti, caractérisé par le chômage massif (10) entre autres, ce n’est pas cette logique de production, de circulation et de consommation qui spécifie la nature de la dimension sociale globale. Dans notre société, où une articulation originale des rapports de type capitaliste et ceux de type féodal (dans une logique d’alimentation réciproque) conduit à une économie très peu productive, l’enjeu fondamental qui structure l’organisation socio-économique semble tourner autour de la rente dans les contrats avec l’État (11) et dans une moindre mesure dans la production liée aux zones franches. La paupérisation accélérée des classes populaires et de plus en plus de la petite bourgeoisie (les couches moyennes) affecte sérieusement les possibilités de profit du négoce. C’est plus qu’un simple écart vis-à-vis des sociétés de consommation. C’est une logique contre-productive même pour les périphéries du capitalisme global et d’exclusion sociale; logique engendrée par la recherche de profits les plus immédiats, par la dominance du court terme comme repère. A cette orientation  économique interne, il faut ajouter le caractère extraverti de l’économie instauré depuis 1825(12) et une organisation territoriale centralisée avec une concentration de services fournis de façon médiocre dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Cette dimension sociale globale avec les caractéristiques dominantes sommairement indiquées ici se reproduit par l’intermédiaire de mécanismes institutionnels et organisationnels qui méritent d’être élucidés.
L’organisation juridico-politique et d’autres mécanismes institutionnels et organisationnels ?
Les racines de l’organisation juridico-politique de l’État haïtien remontent à 1804 au lendemain de l’indépendance nationale et surtout à la crise de 1806 après l’assassinat de Jean Jacques Dessalines où Alexandre Pétion et Henri Christophe cherchaient, chacun de son côté, à établir un appareillage institutionnel permettant la satisfaction des intérêts fondamentaux de leurs castes respectives (13). C’est dans ce contexte de crise que le sénat haïtien a vu le jour. Mais au cours de l’évolution historique d’Haïti, des changements dont les uns plus importants que les autres sont opérés au niveau de cette organisation juridico-politique dans des contextes spécifiques particulièrement dans les situations de crise. Parfois, des tentatives de changements n’ont pas pu être instituées dans la longue durée. C’est le cas d’une expérience d’élection directe instaurée provisoirement (à un moment où les élections présidentielles s’organisaient au second degré) dans un contexte d’insurrection populaire qui a consacré le Général Sylvain Salnave président d’Haïti le 3 mai 1867. Cette élection, sous la pression populaire, allait être ratifiée par une Assemblée constituante dominée par de grands propriétaires terriens (14). Mais ce changement tenté dans l’organisation juridico-politique de l’État haïtien n’a pas été consolidé. Des changements majeurs ont été opérés à ce niveau lors de l’occupation d’Haïti par les États-Unis. L’organisation des finances pendant l’occupation, principalement à travers la douane et la banque, a laissé un héritage néocolonial au niveau de l’organisation de l’Administration publique haïtienne (15).
Au lendemain du départ du dictateur Jean-Claude Duvalier, par leur volonté d’exclure à jamais la possibilité de nouvelles expériences dictatoriales, certaines forces sociales partisanes de la démocratie libérale bourgeoise et dominantes dans le contexte des luttes de 1986-1987 ont pu aboutir à une nouvelle constitution votée par référendum le 29 mars 1987. Cette nouvelle constitution est caractérisée par la défense des libertés fondamentales et des droits humains en général, le multipartisme et l’alternance au pouvoir, la séparation harmonieuse des trois pouvoirs de l’État, la déconcentration des services et la décentralisation des pouvoirs dans une logique d’État unitaire, des canaux de participation citoyenne dans la gestion de la chose publique sans garantir les mécanismes référendaires, la garantie de la propriété privée et la protection des entreprises privées pour ne citer que les grandes orientations. Ces principales orientations formellement définies ont souvent été contournées par des pratiques politiques et des manières de faire de façon générale. C’est la preuve que la dimension institutionnelle et organisationnelle de l’organisation sociétale ne régule pas forcément la dimension interindividuelle et individuelle. Par ailleurs, cette organisation juridico-politique définie dans l’ordre constitutionnel instauré en 1987 se joue sur un fond social-global qui lui est fondamentalement contradictoire. Les forces sociales et politiques porteuses de cet ordre constitutionnel cherchaient à construire une démocratie libérale bourgeoise avec une organisation décentralisée sur des rapports néocoloniaux vis-à-vis des puissances occidentales, dans une économie extravertie et affaiblie par le chômage massif. Évidemment, il faut nécessairement passer par des mécanismes institutionnels et organisationnels pour s’attaquer au fond social-global. Mais ces mécanismes doivent être appropriés aux changements visés au niveau de la dimension sociale-globale et surtout soutenus de façon constante par une vigilance interindividuelle et individuelle.
Le 9 mai 2011, une proposition d’amendement de la constitution a été votée en Assemblée nationale et publiée le 19 juin 2012 dans le journal officiel Le Moniteur. Cet amendement porte fondamentalement sur les conditions d’accès à la nationalité haïtienne, l’instruction et l’enseignement, les critères d’éligibilité du candidat/de la candidate à la présidence et le décompte des résultats des élections présidentielles, le choix du premier ministre, le choix du remplaçant ou de la remplaçante du président ou de la présidente de la République en cas de vacance présidentielle, l’interdiction de procédure d’interpellation durant les périodes d’empêchement temporaire du président ou de la présidente ou de vacance présidentielle, les conditions et modalités de remplacement d’un premier ministre démissionnaire, la création du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et du Conseil constitutionnel, les modalités de choix des membres du Conseil électoral permanent (CEP) en éliminant l’implication des Assemblées départementales, la création d’un organisme chargé de réguler et contrôler la qualité de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique à la place du Conseil de l’Université d’État d’Haïti qui disposait de ce pouvoir, les modalités des finances nationales et locales en éliminant la mention explicite de la participation d’un Conseil interdépartemental dans la définition de la proportion et la nature des revenus des collectivités territoriales, les conditions et modalités de contrôle du budget et de comptes généraux. Cet amendement proposé et voté sous l’administration du président René Garcia Préval et publié sous la présidence de Joseph Michel Martelly consacre fondamentalement des raccourcis mettant de côté toute velléité de participation citoyenne dans le contrôle sur la gestion de la chose publique particulièrement à travers les Assemblées départementales et les Conseils départementaux. Ces raccourcis visent également à simplifier les processus de ratification et de contrôle des gouvernements en limitant davantage les modalités d’inspiration de la démocratie participative.
A cette orientation politique de l’amendement de la Constitution de 1987, s’ajoutent  des mesures de réforme institutionnelle indiquées dans le Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH) (16). Ces mesures de réforme institutionnelle visent l’ajustement de l’organisation juridico-politique de l’État haïtien aux exigences d’un projet économique basé fondamentalement sur l’investissement étranger au travers de l’installation de zones franches industrielles, agro-industrielles et touristiques et l’exploitation de réserves minières. Il s’agit d’un projet de renforcement du caractère extraverti de l’économie haïtienne.
Quant aux institutions qui relèvent principalement du domaine privé (entreprises, médias, partis politiques, organisations sociales, syndicats…), elles s’organisent le plus souvent dans une logique de centralisation autour d’une personne ou un petit groupe de personne ; ce qui fragilise leur pérennisation et aussi leur contribution au processus incessant de structuration de l’organisation juridico-politique de l’État. Les expériences historiques des syndicats, partis politiques et organisations de masse en sont une illustration. Les entreprises privées fournissent en général des services au rabais, adaptés au pouvoir d’achat de la majorité d’une population de plus en plus paupérisée. L’accueil réservé à la clientèle et les longues files d’attente dans les banques commerciales, avec une grande majorité de guichets fermés, témoignent de ce service au rabais et souvent méprisant. Notons que cette caractérisation des institutions privées se réalise à partir d’observation courante non-systématisée et reste donc un peu lacunaire. L’important c’est de saisir sommairement l’orientation des mécanismes institutionnels et organisationnels adoptés et le caractère conformiste de cette orientation au fond social-global.
L’organisation idéologico-culturelle incarnée dans des pratiques interindividuelles et individuelles ?
Sur le fond structurel social-global et en réponse aux mécanismes institutionnels et organisationnels analysés précédemment, de façon très sommaire bien entendu, des pratiques interindividuelles et individuels ont émergé. L’occupation accélérée de la voie publique par le commerce informel, les réseaux de racket institués parallèlement aux services formellement définis dans des institutions publiques comme la Direction générale des impôts (DGI), l’Administration générale des douanes (AGD), la gestion familiale et individuelle des déchets (en profitant des pluies pour les jeter dans les égouts, par exemple), l’organisation du transport en commun (des voitures surchargées souvent en mauvais état) etc. , autant de pratiques interindividuelles et individuelles développées sur le fond social-global antipopulaire et en réponse aux mécanismes institutionnels et organisationnels médiocres et d’exclusion. C’est une forme de bricolage non-subversive et même antisubversive caractérisée par la logique « sauve-qui-peut » (17). C’est la reproduction de valeurs idéologiques et de pratiques culturelles dominantes au travers de choix interindividuels et individuels. Signalons aussi, comme pratiques individuelles et interindividuelles courantes, la discrimination contre le milieu rural et envers les femmes. Ces pratiques partagées également par les couches populaires urbaines et les hommes des classes populaires (rurales et urbaines) semblent traduire un refuge antisubversif mobilisé pour tenter de digérer les violences des mécanismes institutionnels ainsi que l’exploitation et l’exclusion sociale du fond social-global. Cette dernière considération est une hypothèse qui mérite d’être développée par une réflexion à part.
Voici de façon très sommaire et un peu caricaturale la spécificité des dimensions sociale-globale, institutionnelle et organisationnelle, interindividuelle et individuelle de la société haïtienne. Parmi ces dimensions, laquelle ou lesquelles sont ciblées par le changement de système massivement revendiqué ?
Quel(s) système(s) exactement les forces en lutte veulent changer ? Le système socio-économique servant de fond social-global à l’organisation sociétale ? Le système juridico-politique constitué de normes spécifiques et de mécanismes institutionnels et organisationnels servant de médiation entre les individus concrets et le fond structurel social-global ? Le système idéologico-culturel supporté par les mécanismes institutionnels et incarné concrètement dans des pratiques interindividuelles et individuelles ? Ou tous les trois systèmes ? Il est important d’identifier quelle force sociale a intérêt à changer chacune de ces dimensions fondamentales de l’organisation sociétale. Par ce découpage schématique des dimensions de l’organisation sociétale réalisé pour questionner l’orientation du changement de système massivement revendiqué, nous ne devons pas oublier qu’elles sont inter-reliées dans la réalité concrète. Il s’agit de trois dimensions d’une totalité concrète avec ses contradictions offrant toujours la possibilité de changement.
Le discours de changement de système est souvent accompagné d’une revendication de rupture. Certaines forces en lutte revendiquent l’installation d’un gouvernement de rupture après le départ de Jovenel Moïse. Rupture à quelle(s) dimension(s) de l’organisation de la société ? Souvent, c’est la rupture à la corruption, aux privilèges des officiels et à l’impunité qui est mise en avant. Dans ce cas, c’est principalement l’organisation juridico-politique qui est ciblée avec pour finalité des mesures de réforme. L’organisation socioéconomique est aussi concernée par cette revendication puisque la corruption devient de plus en plus une caractéristique de la logique d’accumulation de la bourgeoisie locale (18).
Parfois les inégalités sociales sont identifiées comme l’un des objets de la rupture revendiquée. Les masses populaires associent souvent au changement de système revendiqué une société juste où tout le monde peut manger à sa faim et avoir accès aux biens et services fondamentaux. La vidéo faisant le tour des réseaux socio-numériques où une dame a tenu lors d’une manifestation publique le discours imagé Fòk chodyè a chavire (19) constitue une expression de la revendication de rupture aux inégalités sociales. C’est donc l’organisation socio-économique (le fond social global) qui est visée. Pour cela, il faut nécessairement passer par des changements au niveau de la dimension institutionnelle et organisationnelle.
Dans le bouillonnement du discours de changement de système, la constitution en vigueur est également ciblée. Des changements sont alors envisagés au niveau de l’organisation juridico-politique. Mais à quelle fin ? Certaines forces économiques et politiques cherchent à éliminer des dispositions légales et des mécanismes institutionnels servant d’obstacle à la réalisation du projet économique indiqué dans le PSDH ; un projet axé fondamentalement sur la logique de l’installation des zones franches et de l’exploitation minière. Pour cela, toutes les dispositions constitutionnelles inspirées de la démocratie participative sont cible de changement. Il s’agit donc de changements envisagés au niveau de l’organisation juridico-politique pour renforcer l’organisation socio-économique actuelle (le fond social global) notamment dans son orientation tournée vers l’extérieur.
L’orientation la plus radicale du discours « antisystème » s’exprime à travers la revendication de la construction d’un autre État, d’un État populaire ou socialiste. Il s’agit de la transformation de l’organisation juridico-politique (avec ses mécanismes institutionnels et organisationnels) pour transformer les grandes orientations du fond social-global dans le sens des intérêts fondamentaux des classes populaires. Quelles sont les possibilités offertes par les dernières expressions de la crise pour réaliser de tels changements ? Quels sont les voies et moyens envisageables d’abord à court et à moyen terme et ensuite sur le long terme suivant l’évolution de la situation actuelle.
L’occasion de poser des bases pour un changement réel en faveur des classes populaires: voies et moyens envisageables
Les limites des changements envisageables dans une crise ne peuvent être prévues à l’avance avec certitude. Une situation de crise conjoncturelle dans un secteur précis peut être amplifiée dans le temps, généralisée à toute la société et peut même déboucher sur un processus révolutionnaire, suivant la capacité de lutte des forces progressistes et révolutionnaires, la capacité de réponse des forces gardiennes du statu quo, des événements survenus indépendamment de la volonté des forces en présence, des facteurs externes à la société… Mais, les forces porteuses de projet révolutionnaire doivent savoir identifier les signes qui indiquent le passage d’une crise à un processus révolutionnaire. Le contexte sociopolitique actuel ouvre la voie à une sortie de l’ordre constitutionnel. Mais aucun processus révolutionnaire n’est déclenché jusque-là. Il faut comprendre les caractéristiques fondamentales du contexte et les possibilités de changement qu’il offre pour éviter de sombrer dans l’euphorie infantile ou l’acceptation passive de l’existant quand il présente des fissures exploitables.
Les situations de crise, notamment dans leur phase aiguisée, offrent souvent un horizon de subversion (20) parce que toute crise est avant tout une crise de légitimité : les pouvoirs publics établis ne font plus autorité pendant qu’aucune des forces en présence n’arrive à se faire accepter comme une nouvelle autorité (21). Cette situation d’illégitimité des hommes et femmes au pouvoir, des normes et mécanismes institutionnels de l’ordre social établi offre la possibilité d’émergence de mécanismes et modalités de pouvoir (y compris les mécanismes et modalités subversifs) parallèles à l’ordre contesté. C’est cette possibilité que nous appelons un horizon de subversion. Tenant compte de cette caractéristique du contexte sociopolitique actuel, nous mettons un accent particulier sur la dimension institutionnelle et organisationnelle de l’organisation sociétale pour explorer les possibilités de changement en jeu sur le court et le moyen terme. L’organisation socioéconomique (le fond social-global) ainsi que l’organisation idéologico-culturelle incarnée dans des pratiques interindividuelles et individuelles sont modifiables sur une plus longue durée.
Avec l’horizon de subversion qui se développe dans l’atmosphère susmentionnée, les modalités d’exercice d’un pouvoir citoyen sous la forme d’Assemblées populaires sont susceptibles d’être instituées avec moins de difficulté que dans une ambiance de stabilité de l’ordre établi. Évidemment, cet ordre qui est secoué est encore là et garde ses capacités de réponse jusqu’à réprimer les initiatives subversives. Mais dans ces conditions, des fissures ouvrent la voie à la subversion et sont exploitables. Prenons un exemple concret pour illustrer cet horizon de subversion. Le collectif Nou pap dòmi (22) a été créé dans le cadre d’une activité de mobilisation de trois jours de permanence devant un lieu symbolique très significatif pour les luttes anti-corruption : la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA). C’est une modalité d’exercice du pouvoir citoyen qui a joué un rôle non négligeable dans la pression exercée sur la CSC/CA jusqu’à l’obtention de deux rapports de cette cour sur la gestion du fonds Petrocaribe. Ce pouvoir de pression pourrait déboucher sous la forme d’Assemblée populaire qui consiste, entre autres, en l’occupation de la voie publique et/ou d’édifices publics par les masses ; occupation organisée sur la longue durée dans l’objectif de s’instituer et se structurer en une véritable force revendicative et un embryon de pouvoir populaire instauré de fait. Nous expliquons ce dernier aspect tout au long du développement de nos considérations sur ce que nous appelons l’horizon de subversion qui se dessine dans les expressions actuelles de la crise. Une première Assemblée populaire pourrait être instituée, maintenue et généralisée sur des bases régionale et sectorielle.
Des Assemblées populaires à base régionale et sectorielle largement appropriées par les classes populaires peuvent être un effort d’institutionnalisation de l’horizon de subversion qui se dessine dans l’atmosphère de crise actuelle. Si de telles modalités de lutte arrivent à s’organiser en organes porteurs de propositions concrètes de changement faisant écho aux principales revendications formulées notamment celles des classes populaires (élimination des privilèges des officiels, élimination des franchises douanières, renforcement des exigences de reddition de comptes – budget et dépenses rendus publics, crédits agricoles et crédits pour les petites et moyennes entreprises notamment celles qui relèvent de l’Économie sociale et solidaire à un taux d’intérêt ne dépassant pas 5% l’an, augmentation du salaire minimum, assurance-santé et assurance-vieillesse pour les secteurs économiques informels…), elles peuvent être des espaces d’expérimentation de nouvelles pratiques politiques et de nouvelles manières de faire société de façon générale dans une logique de démocratie participative. Ces modalités de lutte offriront l’occasion de susciter la participation des masses qui se révèlent de plus en plus indifférentes à la gestion de la chose publique considérée comme une affaire de bandes corrompues et antipopulaires.
Le climat de subversion qui se développe dans la crise actuelle est plus susceptible d’être maintenu en vie et consolidé dans une ambiance d’Assemblées populaires en tant qu’espaces de structuration de liens sur la longue durée entre les citoyens et citoyennes en lutte qu’à travers des manifestations publiques et d’autres formes de mobilisation de foule passagère. Ces assemblées peuvent être organisées sur une fréquence définie et chaque fois ajustée selon la disponibilité de leurs membres. Les masses peuvent être plus facilement lassées en se mobilisant sous la forme de manifestions massives sur la voie publique qu’à travers des Assemblées populaires qui, elles aussi, sont une forme d’occupation de la voie publique. Ces deux formes de mobilisation ne s’excluent pas, mais sont complémentaires. Notre insistance sur l’occupation de la voie publique tient au fait que cette forme de mobilisation représente symboliquement une occasion d’expérimenter la transparence revendiquée dans les luttes anti-corruption et aussi ce que peut être une participation citoyenne réelle et contraire au modèle de la démocratie représentative.
Tout en étant réaliste sur les possibilités offertes par la crise actuelle, les forces sociales et politiques porteuses de projets progressistes et révolutionnaires doivent pousser leurs propositions jusqu’à leurs limites les plus subversives pour conquérir leur concrétisation et les converger vers des conquêtes sociales et politiques plus importantes. Une nouvelle forme de mobilisation en Assemblées populaires, différentes de celles proposées par les forces sociales et politiques conservatrices dominantes jusqu’ici, seront vécues par les citoyennes et citoyens notamment  celles et ceux des classes populaires comme des acquis à défendre pour les avoir expérimentées. C’est une occasion de susciter une vigilance interindividuelle et individuelle nécessaire pour soutenir les processus de changement envisagés au niveau de l’organisation juridico-politique ; lesquels changements sont appelés à transformer l’organisation socio-économique (le fond social-global) dans ses orientations les plus fondamentales. Ce second niveau de transformation relève d’un processus de long terme.
Des actions citoyennes notamment de nature populaire sont plus susceptibles d’être déclenchées pour défendre des acquis, des pratiques déjà instaurées de fait, des droits déjà conquis, des conquêtes perdues mais déjà expérimentées que pour revendiquer des principes stratégiques d’un projet de société avec forcément une dimension abstraite. L’ampleur de la lutte contre la corruption en est une illustration. L’explication du montant dilapidé dans la gestion du fonds Petrocaribe sous la forme du nombre d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, de centres sportifs, de kilomètres de route… que l’État haïtien pourrait construire a rendu concrets pour les masses les avantages du programme Petrocaribe. C’est avant tout pour défendre un fonds accordé au peuple haïtien, donc un acquis au prix de mobilisations d’ailleurs pour forcer le président René Préval à signer l’accord en dépit des pressions des États-Unis (23), que les masses se sont mobilisées depuis août 2018. Nous n’avons aucunement l’intention de minimiser l’importance de l’élan utopique (24) dans les luttes pour le changement social surtout le changement radical. Nous voulons tout simplement insister sur le fait que les mobilisations sont plus susceptibles d’être déclenchées pour défendre des acquis concrets. Cette nécessité d’orienter les actions de mobilisation dans le sens d’expérimenter concrètement  les changements revendiqués est justifiée par le fait que les masses partagent une vision de la réalité axée sur l’expérience quotidienne et l’observation directe du concret. A ce titre, Antonio GRAMSCI parle d’un noyau de bon sens qui, à l’intérieur du sens commun (une vision non-systématique de la réalité et dominée par des confusions liées à la religion et l’idéologie dominante) peut être développé pour amener les masses vers une vision plus systématique et plus riche de la réalité (25).
L’institutionnalisation sous la forme d’Assemblées populaires de l’horizon de subversion qui se joue dans les dernières expressions de la crise est une possibilité de changement à court et à moyen terme tant au niveau des modalités organisationnelles des luttes populaires qu’au niveau de l’organisation juridico-politique de l’État. En effet, ces modalités de lutte peuvent être instituées pour permettre aux masses populaires en lutte de se constituer en interlocutrices incontournables dans toutes initiatives de réaménagement de l’organisation juridico-politique (l’organisation éventuelle de la Conférence Nationale Souveraine tant revendiquée et d’une Assemblée Constituante) et aussi dans les prochaines élections. Elles peuvent être également intégrées dans le nouvel ordre constitutionnel comme une conquête populaire appelée à garantir au-delà de la crise une participation citoyenne particulièrement celle des classes populaires dans la gestion de la chose publique.
Des Assemblées populaires sur des bases régionales et sectorielles, en tant que forme d’institutionnalisation de l’horizon de subversion offert par la crise, doivent être saisies ici non seulement comme des espaces de luttes revendicatives et d’éducation politique, mais aussi et surtout comme des forces interlocutrices incontournables appelées à conquérir des droits et des pouvoirs. Il s’agit de contre-pouvoirs tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du système juridico-politique. C’est donc un canal d’articulation du terrain des luttes revendicatives au terrain institutionnel au niveau de l’organisation juridico-politique de l’État. Une telle articulation est une possibilité de conquête politique sur le court et le moyen terme offert par la crise actuelle en faveur des classes populaires. C’est un moyen pour les forces progressistes et révolutionnaires d’investir progressivement les appareils d’État, mais de façon vigilante et responsable avec l’appui populaire, pour modifier ces appareils sur le long terme et pouvoir modifier les grandes orientations de l’organisation socio-économique du pays (le fond social-global). Voici fondamentalement l’esprit des Assemblées populaires envisagées ici comme une voie à explorer pour poser des bases vers un changement réel dans les sens des intérêts fondamentaux des classes populaires.
Les esprits trop attachés aux formes traditionnelles de lutte peuvent refuser ou se révéler incapables d’être attentifs au sens des Assemblées populaires envisagées ici comme nouvelle modalité de lutte. Cependant indépendamment de ces esprits, la crise actuelle suppose de nouvelles modalités de mobilisation qui correspondent à la demande de transparence et de participation exprimée vivement dans ce contexte politique ; des modalités qui proposent de nouvelles pratiques politiques, de nouvelles manières de faire société. Ces assemblées ne sont qu’une voie envisageable qui mérite d’être confrontée au verdict des engagements concrets. En effet, nous n’avons aucune prétention de décréter une forme de mobilisation pour les sujets en lutte. Les luttes continueront suivant la créativité des forces mobilisées. Il est parallèlement nécessaire de réfléchir sur les enjeux de ces luttes. C’est ce que nous faisons en dégageant des pistes sur des voies tactiques envisageables sans aborder des modalités d’opérationnalisation. Ce dernier aspect relève d’un plan d’action appelé à définir l’organisation pratique et logistique des assemblées. Tel n’est pas l’objet de notre propos ici.
Notes
  1. C’est un accord instauré en 2005 par l’État bolivarien du Venezuela sous l’administration du président Hugo Chavez. Haïti a rejoint cette alliance en mai 2006 sous la présidence de René Garcia Préval. L’accord permet aux 18 pays caribéens signataires de bénéficier du pétrole à des conditions préférentielles: remboursement sur vingt-cinq (25) ans, avec un taux d’intérêt de 1% et deux (2) de sursis avant le premier versement. Voir en ce sens https://www.exemplaire.com.ulaval.ca/international/comprendre-petrocaribe-lalliance-petroliere-au-coeur-de-la-crise-en-haiti/.
  2. Depuis 2009 , les sénateurs alliés au président Préval ont évoqué la gestion de 197 millions USD dans le cadre du fonds Petrocaribe pour censurer la première ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis qui certainement a sollicité un audit sur la gestion de ces 197 miliions USD. En 2013, le Sénateur Steven Y. Benoit a dénoncé des anomalies dans la gestion du fonds Petrocaribe. Des Sit-in ont été organisés contre la corruption de façon générale pendant l’année 2016 devant la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif par des organisations qui allaient donner naissance à une structure dénommée Mouvement 22 Janvier (M22).
  1. Ce discours de changement de système fut mobilisé bien avant 2018. Le candidat à la présidence Joseph Michel Martelly en a fait son cheval de bataille lors des campagnes électorales de 2010 et 2011. Mais le « changement de système » n’a pas été une revendication de masse pour autant.
  2. Assez souvent, les individus qui revendiquent le « changement de système » disent qu’il ne s’agit pas seulement de renverser Jovenel Moïse du pouvoir, mais qu’il faut « changer le système ».
  3. Nous avons repéré deux bandes sonores circulant sur les réseaux socio-numériques expliquant, principalement à partir d’un ensemble de pratiques courantes en Haïti, ce qu’est le système à changer. Mais en réalité, les pratiques évoquées ne sont pas présentées de façon systématisée, sous la forme de système.
  4. En général, c’est seulement l’aspect juridico-politique de l’organisation de l’État (les institutions des trois pouvoirs) qui est vu comme constitutif de l’État. C’est ce que les classiques de la pensée marxiste appellent l’« Appareil d’État ». Pourtant, comme le montre Althusser, à côté de cette organisation juridico-politique que l’auteur qualifie d’Appareil Répressif d’État qui fonctionne avant tout à la violence, du moins à la limite puisque la répression administrative peut prendre des formes non physiques, il existe une pluralité d’institutions du domaine privé (l’église, l’école, la famille, la presse, les syndicats, les partis politiques, les Beaux-Arts…) sans une logique de corps unitaire qui participent à la circulation et à la reproduction de l’idéologie dominante ; ce qui est une fonction de l’État. Althusser considère ces institutions comme faisant partie des Appareils Idéologiques d’État. Il n’existe pas un Appareil d’État purement répressif et des Appareils d’État purement idéologiques mais plutôt un Appareil d’État à dominante répressive et des Appareils d’État à dominante idéologique. Notons que l’organisation juridico-politique, donc l’Appareil répressif d’État, reste la dimension essentielle de l’État. Voir en ce sens Louis ALTHUSSER, « Idéologie et appareils idéologique d’État » in La pensée, Paris, No 151, Juin 1970.
7. Le « changement de système» est souvent évoqué sous la forme de slogan. Les slogans, par leur caractère simplificateur, arrivent facilement à faire sens et à mobiliser des individus autour d’une cause. Mais en même temps, le caractère simplificateur des slogans empêche une vision claire de la réalité. D’où la nécessité de réflexions allant au-delà des slogans.
  1. La dimension institutionnelle renvoie surtout à des principes instaurateurs et des symboles. L’aspect organisationnel désigne des modalités de pratiques concrètes.
  2. Nous nous inspirons ici de l’approche socio-analytique de Gérard MENDEL qui considère le travail comme le référent général à l’intérieur du cadre des rapports sociaux. Voir en sens son livre intitulé La société n’est pas une famille. De la psychanalyse à la sociopsychanalyse, Paris, La Découverte « Textes à l’appui/ série psychanalyse et société », 1993, 306 p. Voir particulièrement le chapitre 10 intitulé Les rapports sociaux dans le travail et dans la société. Un peu différemment de MENDEL, nous insistons sur la dimension économique des rapports sociaux.
  3. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) parle d’un taux de chômage élargi de 28,9%: https://www.ht.undp.org/content/haiti/fr/home/countryinfo.html. L’ Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) a révélé un taux de chômage de 27,4% pour la population de 10 ans et plus en 2003: IHSI, Enquête sur les Conditions de Vie en Haïti, 2003, p. 322. Disponibles sur: http://www.ihsi.ht/pdf/ecvh/ecvh_volume_I_(juillet2003).pdf. Le fait de calculer le taux de chômage sur la population de 10 ans et plus occulte l’ampleur du phénomène pour la population véritablement en âge de travailler. Le chômage en Haïti est beaucoup plus massif que ce que révèlent ces statistiques.
  4. Le nombre d’entreprises indexées dans les deux rapports de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/AC) sur la gestion du fonds Petrocaribe pour leur implication dans la violation des exigences de passation de marchés publics donne une idée de l’ampleur de la rente à partir de contrats avec l’État. Voir la répartition des contrats par firme et les conditions d’octroi des contrats dans la section 2 intitulée «Résultats de l’audit » dans les deux rapports. Pour mieux saisir cette logique de rente, voir Fritz JEAN, Haïti, la fin d’une histoire économique, Port-au-Prince, s.e., s.d. 278 p, p. 30-34.
  1. Avec la rançon imposée par Charles X, roi de la France colonialiste et esclavagiste à cette époque, pour reconnaître l’indépendance d’Haïti. Cette rançon s’inscrivait dans une ordonnance qui impliquait également des droits de douane en faveur du commerce français. Voir en ce sens Sophie PERCHELLET, Haïti : entre colonisation, dette et domination, Port-au-Prince/Liège, PAPDA/CADTM, 2010, 159 p., p. 28-40.
  2. Les mécanismes institutionnels instaurés dans la République dirigée par Pétion dans l’Ouest et le Sud demeurent des héritages plus importants pour l’organisation juridico-politique actuelle que les mécanismes institutionnels mis en place dans le royaume du Nord dirigé par Christophe. En effet, c’est le modèle « républicain» de Pétion qui a triomphé sur le territoire national après la mort de Christophe, puis consolidé sous la présidence de Jean Pierre Boyer. Voir en ce sens les actes d’une conférence prononcée par Roger Petit-Frère et organisé par l’Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL) le 29 février 2008: Roger PETIT-FRÈRE, « Quelle influence la politique de nos premiers dirigeants de Toussaint Louverture à Pétion en passant par Dessalines et Christophe, a-t-elle sur la formation sociale haïtienne actuelle? », Actes de conférence-débat in Les cahiers de l’ICKL, Delmas, avril 2010.
  3. A ce sujet, consultez André Georges ADAM, Une crise Haïtienne 1867-1869. Sylvain Salnave, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1982, p.108-114.
  4. Voir Suzy CASTOR, L’occupation américaine d’Haïti, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1988, p. 110-124.
  5. Ce plan stratégique a été élaboré en 2012 sous le gouvernement Martelly-Lamothe, avec l’appui d’«experts étrangers».
  6. Pour une meilleure compréhension de ce bricolage, nous vous suggérons la lecture d’un article dans lequel nous avons présenté cette logique de bricolage sous la forme d’une hypothèse mieux élaborée et développée qu’ici. Voir Kepler AURELIEN, Dynamiques organisationnelles et institutionnelles en Haïti : la dominance d’un bricolage continu et autoreproducteur, ICKL, juillet 2017, 48 pages. Disponible sur http://icklhaiti.org/article.php3?id_article=191.
  7. Pour mieux saisir cette logique, référez-vous aux explications de Fritz JEAN (Op.cit.) sur les réseaux sociaux d’accumulation.
  8. Littéralement : « Il faut renverser la casserole ».
  9. Attaque et incendie de commissariats de police, barricades ralentissant sérieusement la circulation sur la voie publique parfois jusqu’à la paralysie de la circulation sur des routes nationales, participation de groupes armés dans des manifestations publiques particulièrement aux Gonaïves, plusieurs tentatives d’atteindre la résidence du président illégitime Jovenel Moïse lors de manifestations publiques, autant de faits témoignant du développement d’un climat d’insurrection déclenché depuis le 6 juillet 2018 et favorable à des perspectives de subversion.
  10. Voir en ce sens Antonio Gramsci, Textes choisis. Essai, Sens critique, 2014
  11. Littéralement cette appellation formulée en créole haïtien signifie « Nous ne sommes pas en train de dormir ». En d’autres termes, nous sommes vigilants/es. Ce collectif fut créé dans le contexte des luttes contre la dilapidation du fonds Petrocaribe et composé de citoyens et citoyennes en lutte essentiellement d’appartenance petite-bourgeoise connus/es sous le nom de « Petrochallengers ».
  12. Dès la victoire électorale de René Préval en février 2006, des organisations populaires ont exigé au président élu de signer l’accord Petrocaribe. Voir en ce sens la note du 19 février 2006 de Tèt Kole Ti Peyizan AyisyenMouvement Démocratique et Populaire (MODEP) et Saj Veye Yo. Disponible sur: https://www.alterpresse.org/spip.php?article4191#.XadQE5JKiM8. Pour ce qui concerne les pressions exercées par le gouvernement états-unien d’alors contre la signature de l’accord, voir l’article du premier juin 2011 de l’hebdomadaire Haïti Liberté. Disponible sur: https://haitiliberte.com/de-nouveaux-cables-divulgues-par-wikileaks-revelent-comment-washington-et-les-grandes-compagnies-petrolieres-se-sont-battus-contre-petrocaribe-en-haiti/.
  13. L’utopie n’a aucune connotation chimérique ici. Elle désigne tout simplement un élan à aller au-delà de l’existant pour anticiper l’avenir. Voir en ce sens Georges LABICA, Le marxisme entre science et utopieMots No 35 1993, Utopie…utopies: 19–38.
  14. GRAMSCI cite par Jean-Marc PIOTTE, La pensée politique de Gramsci, Montréal, Éditions Partis, 1970, p. 105-107. Disponible sur : http://classiques.uqac.ca/contemporains/piotte_jean_marc/pensee_de_gramsci/pensee_de_gramsci.html.