Haïti : imaginer la« grande transition »

Alain Philoctète, 14 mars  2019

« [Dans une société émancipée future] l’économie doit être la servante  de la société consciemment dirigée, doit perdre son immanence, son autonomie, qui en faisait proprement une économie ; elle doit être supprimée comme économie ». Georg Lukacs. 1960. Histoire et conscience de classe.  Les éditions de Minuit).

Le spectacle de la société marchande, au bout de son dément vacarme, vacille sur ses bases et arrive au bord de l’effondrement. La scène où se joue le devenir de la planète, de l’humanité change négativement et il devient ardu de dégager une vue d’ensemble de la société que nous désirons dessiner pour l’avenir. Les mêmes vieilles recettes, dictées par la banque mondiale (BM), le fonds monétaire international (FMI) et les autres institutions du capitalisme globalisé caractérisent les options politiques de la droite à la gauche du capital. En même temps, d’un côté, le système de la double oligarchie politique et économique est coincé dans une impasse historique. De l’autre côté, les alternatives, à ce système à bout de souffle, semblent elles-mêmes essoufflées.

Pourtant, toute démarche qui voudrait la refondation d’une société nouvelle en Haïti, émancipée des contraintes du capitalisme, devrait articuler d’une part, une conception originale de la place de l’haïtien dans le cosmos, dans son environnement et dans le monde du vivant ; et, d’autre part, un projet sociétal pour le monde d’aujourd’hui et la perspective d’une société à venir. Tout cela en vue de l’avancement de l’être humain haïtien. Cet être humain, enchâssé dans la société actuelle, est une individualité insérée dans un collectif caractérisé par les deux systèmes principaux, complémentaires, de la société contemporaine, à savoir l’économique et le politique. Ces systèmes sont eux-mêmes déterminés par la dynamique abstraite des catégories au cœur du développement historique du capitalisme. Il s’agit de dégager, à partir de notre situation actuelle, historique, et de notre savoir, les exigences d’une pratique révolutionnaire. Mais, nous sommes dominés par une forme de vie sociale où le système déterminant est l’économie. Selon André Gorz «C’est en vain qu’on chercherait à distinguer la rationalité capitaliste de la rationalité économique» (1). Car, capitalisme,  ce « fait social total », et économie riment avec la même rationalité : diminution des coûts et augmentation des gains, tendre toujours vers plus d’efficacité et de profits. Les deux concepts articulent une conception technicienne du monde dissimulant toute perspective symbolique, tous rapports qualitatifs entre les humains, ne se préoccupant ni d’éthique ni de bien commun, remplaçant tout cela par la mécanique quantitative des échanges marchands, à savoir l’économique. Alors, peut-on penser la société nouvelle au-delà des schémas rabâchés qui ne font que reproduire le système de la double oligarchie?

L’économique est un système propre à la société moderne ou mode de vie capitaliste. Toutes les activités humaines tournent aujourd’hui autour des catégories de l’économie : argent, PIB, investissement, retour sur investissement, croissance, profit, etc. L’économie vise à concentrer, en tant qu’économie, tous les secteurs de la vie sociale. Cette dynamique purement moderne trouve sa justification dans les idéologies économiques libérales qui cherchent à la naturaliser, à la transhistoriciser en vue de maintenir indéfiniment le système capitaliste.

Cette dite « économie » surgie dans la modernité capitaliste il y a environ cinq siècles, et spécifiquement au moment où apparait le mouvement des enclosures au XVIIème siècle anglais. Elle s’affirme d’abord sur le plan  juridique et ensuite lors de la propagation des manufactures, surtout pendant la première révolution industrielle en Europe. Elle est née d’un processus d’abstraction qui s’est répandu graduellement à tous les aspects de la vie : conscience, culture et société. Au niveau de la conscience, cette dynamique de l’abstraction va inciter à la mise en place d’une rationalité qui au fur et à mesure va se transformer en réductionnisme et en scientisme. Sous le plan culturel, elle attesta de l’universalité des droits de l’homme tout en produisant l’individualisme et le nihilisme. Dans le domaine social, ce processus a été la source de valeurs démocratiques tout en soumettant les rapports sociaux à des échanges marchands.  L’économie, dans laquelle nous vivons tous et toutes aujourd’hui, est en fait une forme de vie sociale de type fétichiste, spécifiquement lié aux seuls rapports capitalistes. Elle est le référent essentiel qui nous permet de saisir la réalité de l’organisation de la reproduction matérielle des humains ainsi que leur socialisation autour des catégories de travail, d’argent, d’investissement, etc.

L’économie en tant que création humaine s’est émancipée, autonomisée, pour en fin de compte apparaitre devant nous comme une réalité objective qui en retour nous domine. C’est en définitive, les marchandises, l’argent, la croissance et le PIB qui remplacent les totems, les statuettes, les objets sacrés qui nous semblaient posséder un pouvoir surnaturel. C’est en ce sens que l’économie peut être considérée comme une « structure religieuse parmi d’autres », c’est-à-dire qu’il faut comprendre  « l’économique comme signification imaginaire sociale structurant la modernité. J’entends par là, à la suite de Max Weber et de Cornelius Castoriadis, l’ensemble des valeurs et des présupposés historiques et culturels sur lesquels repose l’occident moderne (2).». Marx parle ainsi du « fétichisme de la marchandise. ».

Dans les sociétés précapitalistes, mieux non-capitalistes,  en fait, il n’existait pas une économie telle qu’on la comprend aujourd’hui. Au fond, elles ont existé en-dehors de ce que la modernité capitaliste nomme économie, parce que la vie sociale n’était pas construite, charpentée par l’échange et le travail. La conception du « travail », le travail comme forme capitaliste du métabolisme avec la nature  qui sous-tend l’économie, dans la société capitaliste, n’est plus cette activité que les êtres humains ont accomplie pour subvenir à leur besoin et vivre avec le monde de manière harmonieuse. Le travail est dans le monde capitaliste une abstraction, une dépense physique d’énergie, de muscle, de cerveau, de nerfs (Marx) comptée en unité de temps.  Cette abstraction place  toutes les activités concrètes  sur le même plan sans égard à leur contenu. Car l’objectif est de produire pour que le capital puisse s’accroitre indéfiniment et non pas produire pour satisfaire un besoin spécifique. Le travail, en tant qu’activité aliénante, apparue dans l’histoire avec le capitalisme, est aussi peu naturel et éternel que l’économie.

En effet, la pensée dominante a tendance à faire croire  que les êtres humains ont toujours été des « Homo economicus » et les échanges feraient donc partie d’une prétendue « nature humaine ». Cette naturalisation de l’économique n’est rien d’autre qu’un transfert du contexte social capitaliste sur des formations sociales passées. Il faut bien comprendre que le capitalisme est un phénomène, est un mode de production, pas seulement  économique, mais un ensemble de relations sociales qui a sa propre histoire et qui a créé une rupture dans l’histoire. C’est-à-dire qu’il s’est construit à un moment spécifique et donc il dispose de caractéristiques spécifiques. En ce sens, il est crucial d’éviter de lire toutes les formes de vie sociale, qui ont existé depuis la préhistoire et le néolithique, avec les lunettes de la conceptualité et de la subjectivité moderne.

Dans ce système, imposé à l’ensemble de la planète, tous les individus sont contraints de vendre leur activité, leur capacité de travail comme marchandise sur un marché, à des particuliers, à un patron ou à une entreprise. Ce système des marchandises s’organisent autour de l’individu obligé d’avoir accès à l’argent pour pouvoir assurer sa survie. Tous les biens aujourd’hui, la quasi-totalité des services, prennent la forme de marchandise. Et qui n’a pas d’argent, pour acheter ces marchandises, peut crever de faim ou vivre misérablement. C’est une société où tous les liens sociaux prennent la forme de l’argent, passe par l’argent.

Ce système économique, dans lequel tous les individus sont contraints de vendre leur force de travail, de produire des marchandises et d’avoir accès à l’argent, est complémentaire au système politique. Celui-ci a pris sa configuration structurelle sous la forme de l’État ou sous la forme généralisée de la politique. Et, cet État n’est pas, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, une borne, une obstruction au capitalisme. L’État n’est pas une « chose » qui s’opposerait à l’économie, à la logique du marché, à  l’argent, au travail comme activité marchandise. Le système politique est inhérent à la société de la valeur du fait qu’il est confiné dans les finalités du système économique. Il ne saurait être un simple rapport de volonté, une sorte d’organisation rationnelle de la société humaine. Il est en réalité complémentaire et lié à l’économie en ce sens que l’État dépend de l’économie.

En effet, les « politiques publiques » de l’État doivent être financées économiquement, doivent prélever de l’argent dans le processus réel de valorisation économique sous la forme des impôts, des taxes etc. Ainsi, l’État devrait donc avoir pour principal but de faire en sorte que l’économie capitaliste se développe ainsi que la croissance, la production d’argent et de marchandises. Il s’insère dans ces logiques. Par exemple, dans le nord-est, à Caracol l’État avait expulsé des paysans pour permettre l’implantation de parcs industriels en vue de faire fructifier les capitaux étrangers et d’exploiter la force de travail d’individus, d’anciens paysans, dépourvus de moyens de production autonome. Ce choix correspond à la nature même de l’État capitaliste haïtien. Ces formes de dépossession sont aussi garanties par le droit qui joue un rôle de blocage à la dynamique émancipatrice des classes populaires.

D’un autre côté, l’économie dépend de la politique, car elle a besoin des appareils répressifs de l’État pour le maintien de l’ordre de l’exploitation capitaliste. Tous les contrats de travail, toutes les marchandises passent par le droit. En ce sens, il ne suffit pas de combattre les inégalités, les dominations, en revendiquant des droits, mais il faut surtout s’attaquer à ce qui les rend possibles. La société est inégalitaire, précisément parce que le système économique, le capitalisme, permet au travers, entre autres, de l’argent des disparités montreuses entre l’oligarchie et les dominés.

Un entrepreneur peut bien prendre du plaisir à fabriquer du chocolat, mais le désir ne fait pas rouler la machine mise en place pour produire du chocolat. La vraie affaire est autre chose : C’est le profit. Celui-ci est le moteur essentiel, la raison principale de tout ce qui existe dans l’univers social du capitalisme. C’est par l’augmentation de la valeur coagulée dans les marchandises que le profit peut être généré. Il faut que la valeur d’une marchandise quelconque soit plus élevée que la valeur dépensée à la fabrication de cette marchandise, c’est-à-dire des facteurs matériels de production tels que bâtiments, moyens de production, matières premières, etc. Cependant, ces facteurs de production entrant dans la fabrication d’une marchandise possèdent la même valeur que cette dite marchandise. Donc, il faut au capitaliste l’ajout de quelque chose d’autre à ces facteurs de production. Ce qu’il faut y ajouter est l’activité humaine, à savoir l’intelligence, la force, l’énergie musculaire de l’être humain, dépensée pour arranger et modifier des objets éparpillées en un objet différent qualitativement de ce qu’on avait initialement.

En d’autres mots, cette activité humaine possède une forme particulière qui est la capacité ou force de travail achetée par le capital afin qu’elle puisse être incorporée dans la valeur finale de la marchandise. Ainsi, l’autoentrepreneur achète sa propre force de travail qui est inférieur à la valeur que cette force de travail fournit à la production de la marchandise. Il procède à sa propre exploitation. Il est impossible au  capitaliste  de redistribuer l’ensemble de la valeur générée et la remette au travail. Pourquoi ? Parce la valeur ne subsiste que grâce à la dissociation entre le travail et son produit, ce qui permet ainsi d’assurer la répartition inégale du produit en tant que tel. C’est l’existence de cette disjonction entre l’activité humaine, la force de travail, et la richesse socialement produite, qui rend possible l’appropriation de cette richesse sociale produite par le capitaliste.

Si nous voulons penser la construction consciente d’une société émancipée, nous ne pouvons faire l’économie d’un petit rappel des imaginaires projetés d’une société de l’avenir. En effet, le XIXe occidental concevait le « communisme » comme une société caractérisée par des « producteurs associés », sur un mode artisanal, dans un cadre où capital et travail s’associent au sein du mouvement coopératif. Avec l’apparition, il y a 150 ans, de la production industrielle, au sein du capitalisme, un changement dans la conception de la société communiste est survenu. Désormais, la société communiste est conçue comme l’organisation d’une production industrielle abondante, égalitaire et équitable des biens et services nécessaires que bénéficieront chacun d’entre nous. Sur cette base, la suppression du mode de production capitaliste serait déterminée par la propriété collective des moyens de production. Moyens de production développés par le capitalisme et culmineraient en un mode de production supérieur amené au stade de l’automatisation industrielle, la planification centralisée de ce même contexte industrialisé. Ainsi, la voie serait ouverte vers une gestion de l’économie et de l’industrie par les ouvriers. La société communiste serait donc un mode de distribution régulé de façon équitable, conscient et fondé sur la production industrielle développée grâce au capitalisme. Cette vision de la société communiste, n’étant que la quête de la meilleure manière d’organiser la production ainsi que la circulation des biens et services, était une économie différente, mais restait quand même une économie.

Toutefois, cette forme de vie axée sur le système économique marchand-capitaliste n’a pas toujours existé et n’existera pas éternellement. En effet, toutes les activités productives des humains n’ont pas toujours eu comme objectif de produire des marchandises et de l’argent. D’autres sociétés avaient pour but de satisfaire les besoins, à savoir produire ce dont les humains avaient besoin. De même l’argent n’a pas toujours été la forme dominante de lien social.

Face à la société marchande-capitaliste qui détruit les humains et la nature, nous voulons une société où l’être humain s’harmonise avec la nature en rejetant cette vision qui perçoit cette dernière comme une ressource contrôlée au profit exclusif des humains. La destruction de la nature s’explique par le fait qu’aujourd’hui le métabolisme avec elle a pris la forme sociale du travail. Nous voulons réconcilier l’être humain avec la nature en appréhendant celle-ci comme un écosystème complexe dans lequel l’humain fait partie. En d’autres termes, sortir des médiations sociales aliénantes (Marchandise, travail abstrait, valeur, argent) où, en particulier, le travail constitue structurellement les relations sociales entre les humains. L’émancipation humaine se fera au-delà de ces médiations aliénantes qui s’interposent entre les individus sociaux et l’univers.

Sortir de la société marchande, de l’économie, en s’ancrant au présent transformateur pose d’emblée le bouleversement des rapports sociaux, de nos comportements, de nos imaginaires. Pour nous, il s’agit de penser une transition post-capitaliste dans le cadre d’une société haïtienne où le mode de production capitaliste n’est pas dominant. Cette transition se ferait à partir d’une multiplicité d’initiative de construction d’alternatives ancrées dans les pratiques populaires. Pour ce faire, il faudrait beaucoup de créativité, d’audace en donnant la possibilité aux acteurs sociaux de se responsabiliser, de se prendre en charge collectivement, de mettre en branle les formes d’action collective.

Sortir de la domination de l’économie ou du capitalisme sur tous les aspects de la vie, ne se ferait pas à partir d’une société idéale, sans contradictions. Changer la vie, modifier la vie quotidienne, c’est chambarder les bases sociales de la forme de vie de la société actuelle. Cette sortie de la domination de l’économie se décline d’une part en une dynamique de déplacement conscient des pivots autour desquels gravitent les médiations sociales charpentant la forme de vie sociale caractéristique de la médiocrité d’une simple vie économique. D’autre part, en construisant le projet de l’auto-institution d’une individualité et d’une socialité libres, d’une forme originale de vie collective engendrée par d’autres médiations sociales. Sur cette base, il s’agit d’articuler d’autres formes de cohésion sociale qui créeraient la synthèse sociale d’autres formes d’activité ainsi que d’autres formes de circulation des produits et services.  Ainsi, nous pourrons dépasser les catégories du capitalisme : marchandises, travail, temps de travail, argent, salaire, consommation, production, échange, en un mot, l’économie en tant que telle. «La société bourgeoise moderne, qui a mis en mouvement de si puissants moyens de production et d’échange ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées ». (3)

Fondamentalement, en Haïti,  il s’agit de mettre en mouvement la « lakouisation », la révolution des lakous comme sortie du mode de vie capitaliste, de l’économie. Alors, on pourra changer la vie de tous les jours insérée dans la forme de vie collective capitaliste. Soutenir que le contenu de la « lakouisation » constitue une sortie de l’économie, c’est affirmer que la « lakouisation » est la dynamique du changement, typiquement haïtien, des rapports sociaux économiques ou capitaliste-marchands en rapports sociaux non-économiques ou « lakousisés ». Elle n’est rien d’autre que la reconnaissance d’une pratique sociale issue de la matrice sociohistorique et culturelle du peuple haïtien. En ce sens, elle n’est pas un but, ni un projet, mais plutôt un chemin sur lequel la lutte pour l’émancipation offre une sortie du capitalisme autant qu’elle a été une voie contre la grande plantation esclavagiste et féodale. C’est la révolution, c’est-à-dire le moment dans la lutte des classes où la vielle société cède, où l’on sort des catégories du mode de production capitaliste.

« Les gens qui agissent dans ces cas n’agissent pas pour ‘‘ expérimenter ’’ ; ils agissent pour faire quelque chose, pour créer quelque chose. L’appelle-t-on ‘‘ expérimentation ’’ parce que cela ne rentre pas dans le cadre programmatique et idéologique des organisations politiques officielles ? C’était aussi le cas des mouvements des femmes ou des jeunes, qui ont été sourdement combattus, méprisés, ignorés, par ces organisations – avant qu’elles ne tentent de les récupérer. Pourquoi les gens entreprennent-ils ces activités? Parce qu’ils ont compris que ni les institutions étatiques ni les partis ne répondent à leurs aspirations et à leurs besoins, qu’ils sont incapables d’y répondre (autrement, les gens essaieraient de les utiliser pour ces activités). […] En même temps, les gens commencent à comprendre, plus ou moins clairement, qu’il est absurde de subordonner toute activité à la ‘‘Révolution’’ ou à la ‘‘prise du pouvoir’’, après lesquelles toutes les questions seraient prétendument résolues : mystification énorme, qui garantit précisément que rien ne serait résolu après la ‘‘Révolution’’. Les mouvements d’autoorganisation, d’autogestion partielle, d’une part sont des expressions du conflit qui déchire la société présente, de la lutte des gens contre l’ordre établi, et aussi, d’autre part, ils préparent autre chose : même sous forme embryonnaire, ils traduisent et incarnent la volonté des gens de prendre leur sort entre leurs mains et sous leur propre contrôle. »(4).

Toutefois, nous pensons que c’est dans la lutte, en lien avec une pratique sociale massive  et généralisée, un mouvement social puissant, que nous pourrons impulser l’édification de cette forme nouvelle de la synthèse sociale dans laquelle l’économique pourrait être rehaussé afin de s’y éteindre. En d’autres mots, le procès d’une possible sortie de l’économie pourrait être pensé comme une dynamique concrète d’auto-institution, de reenchassement et de disparition. « Il devient donc nécessaire de briser l’éclatement de nos vies pour reconstruire une unité de lieu collective sur le temps long de leur reproduction. Il n’y a guère d’autre stratégie possible que de se regrouper pour commencer, pourvu que les limites du groupe soient suffisamment lâches pour garantir la liberté de chacun d’y entrer ou d’en sortir, et suffisamment consistantes pour que de tels collectifs puissent étendre le domaine de leur subsistance au-delà des limites familiales actuelles. (5)» Dans cette perspective la « lakouisation » des rapports sociaux constitue la fin de l’économie, ou le début des imaginaires sociaux en éruption. La « lakouisation » des rapports sociaux est une mise au rancart de l’économie qui ne possède plus la fonction de toute économie. L’«économie» du nouveau lakou devrait se mettre au service de la société consciemment auto-gouvernée; elle doit être dépossédée de sa substance, de son autonomie, qui la consacrait comme une économie.

En somme, « le fétichisme économique est particulièrement mutilant, auto-destructeur, jamais une société dans l’histoire n’avait eu une dynamique aussi rapide, abstraite et impersonnelle. Il faut donc se choisir des formes de fétichisme moins mutilantes, moins auto-destructrices, que le fétichisme de la valeur. Mais pour cela, vu que cela n’a jamais existé dans l’histoire, l’origine de l’homme n’est pas derrière nous, mais devant nous. Il faut penser l’impensable. Marx lui-même disait qu’il n’avait pas de recette pour les marmites de l’avenir. C’est une invention inouïe et improbable à réaliser, aussi inouïe et improbable qu’a été l’invention de l’économie ». (6)

 

Références

1-Gorz André. 2004. Métamorphose du travail. Critique de la raison économique. Collection Folio essais (n° 441), Gallimard, p. 154

2- Serge Latouche. Invention de l’économie. Avant-propos. En ligne : http://excerpts.numilog.com/books/9782226158864.pdf

3-Karl Marx et Friedrich Engels. Manifeste communiste. En ligne : http://www.bibebook.com/files/ebook/libre/V2/marx_karl_-_manifeste_du_parti_communiste.pdf

4-Cornélius Castoriadis. 2005. Ce que les partis politiques ne peuvent pas faire. In Une société à la dérive. Entretiens et débats 1974-1997, Seuil. En ligne : https://collectiflieuxcommuns.fr/?720-ce-que-les-partis-politiques-ne-peuvent

5-Sortir de l’économie. 2009. Vivre ensemble à côté de l’économie. Bulletin critique de la machine-travail planétaire, No 3. En ligne : http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/sde-n3.pdf

6-Clement Homs. 2012. Le seul critère de l’émancipation humaine. La révolution comme sortie de l’économie. En ligne : http://www.palim-psao.fr/article-le-seul-critere-de-l-emancipation-humaine-54129778.html

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