Haïti : le peuple veille au grain

 

 

Hans-Berry Jacques, AlterPresse le 13 juin 2019

Je dois l’admettre, M. le président : pour vous, les temps sont durs. Et une chose est certaine : je n’aimerais nullement être à votre place en ces heures sombres de votre présidence. Des heures, tout au long desquelles vous êtes acculé, honni par une grande partie de la population et pointé du doigt, sur la scène nationale et internationale, pour votre fourberie avérée, votre corruption crasse et votre incompétence pitoyable.

Vilipendé par-ci, par-là, et affublé des étiquettes les moins flatteuses sur les réseaux sociaux, vous aviez, depuis plus d’une semaine, fait montre d’un mutisme et d’un recroquevillement, dignes d’un enfant surpris les doigts dans le pot de confiture. Une attitude, que j’ai essayé de comprendre et je n’ai jamais été de ceux qui attendaient une déclaration, de votre part, après les révélations de la Cour supérieure des comptes. Je ne réclamais de vous et ne réclame encore qu’une seule décision : que vous rendiez logiquement votre tablier. Mais, sans même demander, j’ai eu la désagréable surprise de vous écouter, le mercredi 12 juin 2019, à une occasion qui ne s’y prêtait même pas, vous livrer à un charabia discursif, une défense éhontée de vos actions d’avant et de pendant votre mandat. Pour ce faire, vous avez trouvé le bouc émissaire idéal : la « mafia économique » ! Stratégie classique des politiciens, poussés dans leurs derniers retranchements.

L’objet de ma présente riposte, à votre discours mal fagoté, pour peu que vous ou vos ouailles y soyez attentifs, c’est de vous rappeler que nous, citoyens, ne sommes pas dupes, que nous en avons vu d’autres et que votre petit « stratagème de détournement d’attention » (pour parodier la Cscca) ne passera pas. S’il est vrai qu’il existe une « mafia économique » dans le pays, plusieurs données, décisions et observations peuvent facilement nous convaincre que vous en êtes un fidèle larbin, un laquais du système.

Au cours de votre mandat, plus précisément en une année fiscale (2017-2018), les franchises douanières, accordées par l’État au secteur privé et aux Ong, ont doublé, passant de 10 milliards de gourdes à plus de 19 milliards de gourdes, selon les données officielles. Et c’est vous, qui voulez vous faire passer aujourd’hui pour celui qui s’attaque au « système », qui combat la « mafia économique » ?

Pendant votre mandat, vous avez engagé l’État haïtien, à travers un prêt exorbitant de plus de 123 millions de dollars US, auprès de trois (3) compagnies concessionnaires de véhicules, pour l’acquisition d’équipements. La société Auto Plaza S.A. du Dr Réginald Boulos a signé, à elle seule, un contrat de plus de 53 millions de dollars US avec l’État. Tout ça, sans appel d’offres international. A la baguette de cette opération, celui qui se présente aujourd’hui comme le pourfendeur du système. N’est-ce pas ?

Au cours de votre mandat, les prêts à l’Office national d’assurance-vieillesse (Ona) ont atteint des sommets. C’est pour la première fois, dans l’histoire de cette institution, qu’une entreprise privée (dirigée par le même M. Boulos) s’est vu accorder un prêt (un placement, se défend le bénéficiaire) de 700 millions de gourdes. Vous avez nommé le directeur de l’Ona, qui a conduit cette opération, et, jusqu’à présent, il est en poste, tout peinard. Maintenant, vous faites l’ « œil désertique », en enfilant le « palto » du révolutionnaire ! Pour qui vous nous prenez ?

Pendant votre mandat, vous n’avez pas cessé de critiquer ceux que vos partisans (de moins en moins nombreux, soit dit en passant) ont appelé le « groupe blackout » mais les contrats de Sogener, de Haytrack et de E-Power n’ont pas encore été renégociés. Vous comptez même lancer d’autres appels à proposition, pour continuer à engrosser l’industrie de l’énergie thermique en Haïti. Entre-temps, vous n’avez pas investi dans le lac de Péligre, pour le nettoyer et ainsi augmenter la capacité de production de la centrale hydroélectrique. Mais, tout de go, vous dites vouloir changer le « système » !

Et que dire de la contrebande ? Qu’avez-vous fait en vue de recoudre cette veine ouverte, qui fait perdre à l’État plus de 350 millions de dollars par an sur la frontière ? N’est-ce pas vrai que les propriétaires de ports privés, importateurs de toutes sortes de marchandises – suivez mon regard –, ont financé votre campagne ? Et aujourd’hui, vous n’hésitez pas à vous présenter en parangon de vertu, en révolutionnaire prêt à tout pour combattre la mafia économique ?

Seules les consciences politiques au stade embryonnaire croiront en votre « may », votre bluff, M. l’ingénieur. Cette vieille tactique a souvent été utilisée par nos « politicailleurs ». On la connaît par cœur. Après que la Cour des comptes, grâce à la mobilisation populaire, vous a pris la main dans le sac, vous pensez pouvoir berner tout le monde, avec votre diversion ?

Il est vrai que, ces derniers jours, les rentiers du secteur privé monopoliste veulent se faufiler dans la mouvance du Petrochallenge. Ils sont connus pour être de grands « woulibè ». Ils essaient juste de se repositionner, constatant que vous êtes en chute libre. Le peuple veille au grain.

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