Inde : Amit Shah, le « bad cop » de Narendra Modi

PEDROLETTI Brice, Le Monde, 6 août 2019

Le ministre de l’intérieur du nouveau gouvernement, qui a présenté lundi le projet de loi révoquant le statut d’autonomie du Jammu-et-Cachemire, a été essentiel dans l’ascension du premier ministre.

Dès le matin du lundi 5 août, les caméras de la télévision indienne ont suivi les déplacements d’Amit Shah, le ministre de l’intérieur, qui a présenté le coup politique le plus audacieux – et dangereux – du deuxième mandat, commencé en mai, du premier ministre, Narendra Modi : la révocation de l’autonomie du Cachemire indien, le Jammu-et-Cachemire. Veston marron sur chemise blanche, collier de barbe grise et crâne lisse, le corpulent et énergique quinquagénaire a annoncé à la Rajya Sabha, la Chambre haute du Parlement, le projet de son parti d’abroger l’autonomie du seul Etat indien peuplé en majorité de musulmans.

Il justifie la remise en cause des droits préférentiels dont pouvaient se prévaloir ses habitants en matière d’accès à la propriété, d’emploi dans la fonction publique et de bourses. Ceux-ci n’ont fait qu’« entraver le développement et favoriser la corruption », a-t-il crié. Quant à l’autonomie, elle serait « la cause », selon lui, du « terrorisme et de ses 41 400 victimes ». Un chiffre sous-évalué, selon les organisations des droits de l’homme, qui estiment que la majorité des morts est due aux abus des forces de l’ordre indiennes.

Les membres de l’opposition ont rugi, tambouriné sur les tables. Les représentants du Bharatiya Janata Party (BJP, nationaliste), majoritaire dans les deux chambres, ont applaudi. M. Shah a élevé la voix. On lui décrit l’apocalypse ? « Rien ne va arriver », rassure-t-il. Le Cachemire « ne se transformera pas en Kosovo ».

Ce rôle de premier plan n’est pas un hasard pour un homme considéré comme essentiel dans l’ascension du premier ministre : bras droit de ce dernier, Amit Shah est aussi le président du BJP, qui a porté Narendra Modi au pouvoir en 2014, puis en mai 2019. De quinze ans plus jeune que M. Modi, il le seconde depuis les premières années de celui-ci à la tête de l’Etat du Gujarat (ouest), où il exerça le rôle de secrétaire d’état à l’intérieur à partir de 2002 et jusqu’en 2014. Il s’y distingua par son rôle trouble dans les massacres de musulmans en 2002. Il fut arrêté en 2010, mais jamais condamné, à la suite de la multiplication, dans l’Etat, de meurtres d’opposants maquillés en gestes de légitime défense par la police.

Un homme « aux deux facettes »

« En Inde, Amit Shah est vu par certains comme l’exécuteur des basses œuvres de Modi, et par d’autres comme son éminence grise, celui qui aurait “inventé” Modi. La vérité, c’est que Modi et Shah forment un tandem, un duo, depuis près de vingt ans – au service de l’idéologie suprémaciste hindoue incarnée par le BJP », explique Christophe Jaffrelot, directeur de recherches au CERI Sciences Po et au CNRS et auteur de L’Inde de Modi. National-populisme et démocratie ethnique(Fayard, 352 pages, 25 euros).

« Amit Shah a deux facettes », poursuit le chercheur. « Il est l’homme de l’organisation et celui de la sécurité. Il a été un organisateur hors pair lors des cinq premières années du gouvernement Modi : il a mené la rénovation du BJP afin d’assurer la réélection du premier ministre. Pour ce deuxième mandat, il retrouve la casquette sécuritaire qu’il avait au Gujarat : celle de ministre de l’intérieur. Les deux mois déjà passés à cette fonction se sont traduits par un comportement de même type qu’au Gujarat, avec un grand nombre d’arrestations et un durcissement très clair des lois antiterroristes. »

Lors du premier mandat, Amit Shah fut l’homme des phrases assassines, tandis que le premier ministre donnait un vernis de respectabilité à cette droite nationaliste indienne qui n’a rien à envier aux extrêmes droites occidentales. En septembre 2018, il pestait contre les millions « d’infiltrés illégaux » ayant envahi le pays et le dévoraient comme des « termites », désignant ainsi les migrants musulmans du Bangladesh installés depuis des décennies dans l’Etat de l’Assam (nord-est), mais souvent sans papiers. A l’époque, il promettait que le BJP « [déporterait] jusqu’au dernier immigrant illégal » s’il remportait les élections de 2019 – ce qu’il a fait haut la main.

Après sa présentation du projet de loi sur le Cachemire, M. Shah a pu lire sur Twitter les louanges du premier ministre. Son discours a été « exhaustif et perspicace », a tweeté Narendra Modi. Exactement au même moment, Amit Shah félicitait sur le même réseau social M. Modi pour « son engagement sans faille à assurer l’unité et l’intégrité de notre mère patrie ». Une parfaite entente.

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