Israël 70 ans plus tard : pas grand chose à fêter

Jonathan Cook, Chroniques palestiniennes, 18 avril 2018

Il semblerait que les Israéliens aient toutes les raisons d’être d’humeur festive cette semaine alors qu’ils célèbrent le 70ème anniversaire de la fondation de leur État.

Ce « Jour de l’Indépendance » qu’Israël marque selon le calendrier hébreu, le 19 avril, l’environnement régional, militaire et diplomatique semble être le plus favorable qu’Israël ait connu dans sa courte histoire.

Les Palestiniens ont été relégués à l’arrière-plan et Israël ne fait face à aucune pression internationale pour concéder une solution à deux États. Les États arabes sont en pleine déshérence, avec des signes de plus en plus forts que l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe pourraient être prêts à normaliser leurs relations avec l’État sioniste.

L’administration Trump n’est guère plus qu’une pom-pom girl pour Israël, et a coupé l’herbe sous le pied des ambitions palestiniennes pour un État en déplaçant son ambassade à Jérusalem le mois prochain.

Et Israël a l’une des rares économies en croissance malgré la récession mondiale déclenchée par la crise financière d’il y a une décennie.

Néanmoins, préviennent les analystes, la situation au cours des prochaines décennies pourrait s’avérer beaucoup moins rose qu’elle ne l’est actuellement. La main relativement libre dont jouit Israël est accompagnée de dangers et coûts en hausse.

« C’est plus une victoire à la Pyrrhus », nous a déclaré Amal Jamal, professeur en politique à l’université de Tel Aviv.

« Israël a gagné ce dernier round, mais à un prix qu’il ne pourra probablement pas supporter dans les rounds à venir. »

« La fin de l’État juif »

Ce sentiment est partagé dans des endroits qui peuvent surprendre. Le mois dernier, le quotidien populaire israélien Yedioth Aharonoth a publié les avis de six anciens responsables du Mossad, l’agence d’espionnage israélienne, et titré : « Le pays est dans un état grave ».

L’un d’entre eux, Dani Yatom, est allé jusqu’à prédire « la fin de l’État juif ». Un autre, Nahum Admoni, a averti que les désaccords au sein de la population juive israélienne étaient « plus grands qu’à aucun autre moment » dans l’histoire d’Israël.

Michal Warschawski, analyste israélien et fondateur du Alternative Information Center, a fait valoir qu’Israël souffrait de son « orgueil habituel ».

« Israël est fort, riche et a de puissants alliés, ce qui explique son extrême arrogance en ce moment », a-t-il déclaré à Al Jazeera.

« Nous sommes maintenant dans une situation étrange dans laquelle l’appareil policier a plus de perspicacité dans les problèmes d’Israël que les politiciens. »

Une indication des problèmes d’Israël à venir sont les manifestations populaires, pacifiques, qui sont soudain apparues sur la scène politique palestinienne le long de la clôture de séparation d’avec Gaza.

Pendant des décennies, la sécurité intérieure d’Israël a été soigneusement construite sur un système complexe de confinement, d’isolement et de répression des Palestiniens avec des murs, des points de contrôle et des barrages.

Mais les manifestations de Gaza laissent entendre à certains observateurs que les fortifications complexes montées par Israël pourraient rapidement se transformer en un château de cartes si la résistance pacifique des Palestiniens se développe ou se propage.

Les commandants militaires israéliens ont averti à plusieurs reprises qu’ils n’avaient aucune stratégie pour contrer une révolte populaire de masse. L’utilisation de snipers pour terroriser les manifestants était un signe du désarroi d’Israël, disent les analystes.

Uri Avnery – militant israélien pour les droits de l’homme – a déclaré dans une tribune ce week-end: « Comme les Britanniques en Inde et les racistes blancs aux États-Unis, le gouvernement israélien ne sait pas comment faire face aux manifestations pacifiques. »

Assad Ghanem, politologue à l’Université de Haïfa, a déclaré à Al Jazeera: « Ce qui arrive à Israël dépend en partie de ce que les Palestiniens choisissent de faire, et les Palestiniens n’accepteront jamais le statut de troisième ou quatrième classe. »

Il a noté qu’historiquement, les Palestiniens s’étaient tournés vers le monde arabe dans son ensemble pour obtenir un soutien, y compris une assistance militaire.

« Pour la première fois, les Palestiniens sont seuls, ils ont progressivement intériorisé le fait qu’Israël ne peut pas être vaincu par les armes, et ils doivent aller dans le sens d’une lutte non armée. »

Israël serait en « sérieuse difficulté » si les manifestations à Gaza faisaient école, unifiant les Palestiniens en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est, en Israël [Palestine de 48] et dans les camps de réfugiés du Liban et de la Syrie. « Israël ne peut pas réprimer tous ces fronts en même temps », ajoute-t-il.

Jamal, de l’Université de Tel Aviv, a observé que la lutte palestinienne parait influencée par l’évolution de la situation internationale.

« La droite israélienne se comporte comme si le virage vers la droite en Occident allait durer éternellement, et qu’il n’y aura pas de retour de bâton », estime-t-il.

Un soutien international qui se réduit aux oligarchies en place

Mais si Israël a des raisons de s’inquiéter de jusqu’où le désespoir peut amener les Palestiniens, il a de sombres nuages de plus qui se profilent à l’horizon.

Selon Jeff Halper, un analyste israélien, le soutien international à Israël n’a aucune profondeur.

« Israël peut avoir le soutien des gouvernements occidentaux, mais il a perdu leurs opinions publiques et ses partisans semblent de plus en plus affolés et isolés », dit-il à Al Jazeera.

Ilan Pappe, un historien israélien, est d’avis que la position d’Israël est sévèrement affaiblie par l’abandon assumé de tout processus de paix.

« Tant que le cadre des deux États était formellement sur la table, il était beaucoup plus facile pour les populations d’accepter la réalité actuelle », a-t-il déclaré à Al Jazeera. « Mais sans cela, Israël est nu, et il est perçu comme un État d’apartheid. »

Cela, a déclaré Jamal, rendra beaucoup plus difficile pour Israël de maintenir des alliances avec des mouvements progressistes aux États-Unis et en Europe.

Il a cité Jeremy Corbyn, le premier dirigeant du Parti travailliste dans l’opposition britannique, comme exemple de la nouvelle classe de politiciens prêt à être francs dans leur soutien aux Palestiniens. Les sondages ont également révélé pour la première fois une antipathie très répandue envers Israël dans les rangs du Parti démocrate aux États-Unis.

« Les nouvelles stratégies de résistance des Palestiniens peuvent accélérer cette tendance », a ajouté Jamal.

Dérive vers l’extrême-droite

a averti qu’il était temps pour les Juifs libéraux en Israël et aux États-Unis « de faire un cercle avec leurs chariots » autour des dirigeants israéliens.

Emilie Moatti a fait valoir que la « sombre brutalité » du gouvernement actuel semblera bientôt modérée par rapport au « cirque cauchemardesque qui s’annonce sur la route ».

De son côté, l’analyste Yossi Klein explique : « Un état fasciste clérical s’installera ici beaucoup plus vite que vous ne le pensez. » Il a ajouté qu’Israël devenait rapidement un pays dont « il faut sortir et rapidement ».

Ces craintes ont été exacerbées par une série de lois discriminatoires et racistes et par des efforts incessants pour délégitimer la Cour suprême israélienne et les groupes de défense des droits de l’homme.

« Ce n’est pas seulement l’illusion d’un Israël qui soit en même État juif et démocratique, qui s’effondre. Israël abandonne rapidement tout idée d’être démocratique, et tient uniquement à son caractère juif », a déclaré Warschawski.

Selon Jamal, Israël devient « un état théocratique et nationaliste » dominé par les extrémistes religieux et les colons. « Ce n’est pas une direction que les Israéliens qui veulent la paix peuvent suivre. La population laïque devra se battre pour ce qui subsiste de la démocratie israélienne », dit-il.

Ilan Pappe indique quant à lui que les écarts économiques croissants entre une élite riche et les classes moyennes du pays mettaient également en péril la solidarité interne traditionnelle.

En 2015, le ministère des Finances a averti que dans les années à venir, Israël était sur la bonne voie pour une crise fiscale à la grecque.

« Israël a le plus grand fossé entre les riches et les pauvres dans les pays de l’OCDE (une organisation qui encourage la coopération économique entre les 35 pays les plus développés du monde) », ajoute M. Pappe. « Les classes moyennes peuvent difficilement survivre, et vivent pour la plupart d’expédients. Elles sont sur le point d’exploser de colère. »

Tous ont convenu qu’Israël risquait une fuite des cerveaux – et une perte de légitimité – alors que les jeunes Israéliens libéraux cherchaient des solutions pour s’échapper.

Jamal ajoute : « Israël a fait illusion en prétendant que l’occupation était temporaire, mais clairement, ce n’est plus tenable. Alors, les Israéliens devront choisir. Il peut y avoir un État souverain pour tous ceux qui vivent ici, ou il peut y avoir un d’apartheid. »

Halper a un avis similaire. « Ce qui a sauvé Israël, c’est le fait qu’il n’y a pas de pression pour une résolution du conflit », a-t-il dit. « Israël a emporté le match par absence de camp adverse. »

« [L’idée d’un seul] État est dans l’air, et elle pourrait rapidement construire sa propre dynamique, à la fois localement et à l’extérieur. Les églises, les syndicats, les groupes de solidarité, les organisations de la société civile sont tous à la recherche d’une nouvelle voie. »

Et Israël pourrait bientôt se retrouver privé de ses partisans traditionnels à l’étranger pour l’aider à contrer la solidarité internationale accrue avec les Palestiniens, comme le mouvement de boycott(BDS).

Toujours selon Warschawski : « Dans une génération, le soutien inconditionnel qu’Israël a reçu des organisations juives à l’étranger sera une chose du passé : les jeunes juifs ne se soucient pas d’Israël ou critiquent ouvertement Israël. »

Un État théocratique et ultra-nationaliste

Un sondage réalisé en février a révélé que seulement 40% des Juifs américains de moins de 35 ans dans la région de San Francisco étaient « à l’aise avec l’idée d’un État juif », contre près des trois quarts des plus de 65 ans.

Signe des craintes croissantes de la droite israélienne, le chef des colons Naftali Bennett, ministre de la Diaspora juive, a annoncé le mois dernier qu’Israël allait nouer des liens avec des dizaines de millions de personnes qu’il a qualifiées de « Juifs potentiels » ou ayant des « affinités » avec le peuple juif.

Anshel Pfeffer, un analyste du quotidien Haaretz, a fait valoir qu’Israël découvrait qu’il ne pouvait plus compter sur les Juifs d’outre-mer, dans un article intitulé : « Déçu par la diaspora, Israël cherche maintenant à la remplacer ».

Selon Pappe, comme les Juifs libéraux abandonnent Israël, celui-ci devra partager la couche des sionistes chrétiens américains et des réactionnaires religieux qui ont largement soutenu Trump lors de la dernière élection présidentielle.

« Les juifs ont besoin de croire qu’Israël incarne des valeurs morales et universelles, les sionistes chrétiens s’en moquent et ils vont le soutenir, quoi qu’il fasse », dit-il.

La montée de nouvelles puissances à l’échelle mondiale pourrait également faire une différence pour la fortune à long terme d’Israël, agissant comme un contrepoids à la domination américaine actuelle.

Jamal a noté que, en préparation, Israël essayait déjà de développer des liens économiques et militaires plus étroits avec l’Inde et la Chine.

Halper en conclut : « Israël a compté sur les États-Unis comme principal acteur au Moyen-Orient, mais la Russie s’implique déjà davantage, et il y a des signes que la Chine finira par le faire aussi. »

« Cela obligera Israël à naviguer dans un environnement militaire et diplomatique plus ardu ».

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