La mémoire au service des luttes: Cheikh Anta Diop

Il y a 35 ans, le 7 février 1986 le grand historien et anthropologue Cheikh Anta Diop décédait. Né le 29 décembre 1923 dans le village de Caytou près de la ville de Bambey (située à environ 150 km de Dakar, au Sénégal), il perdit son père peu de temps après sa naissance.

De 1938 à 1945, il fait ses études secondaires à Dakar et à Saint-Louis et obtient son baccalauréat (appelé à l’époque «Brevet de capacité colonial») en mathématiques et philosophie. Alors encore au lycée, il entreprend la rédaction d’une histoire du Sénégal. Ses réflexions laissent entrevoir son projet ultérieur de renaissance culturelle et d’indépendance politique de l’Afrique noire.

En 1946, il émigre à Paris pour des études d’abord de physique et de chimie, puis d’histoire et de sciences sociales. Il suit en particulier les cours de Gaston Bachelard et de Frédéric Joliot-Curie. En 1947, parallèlement à ses études, il effectue des recherches linguistiques sur le wolof et le sérère, langues parlées au Sénégal.

En 1951, Anta Diop rédige sa thèse de doctorat, dans laquelle il soutient l’idée de l’existence d’un peuplement noir dans l’Égypte ancienne. Il la publie en 1954 sous le titre «Nations nègres et culture. De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui». Pour appuyer cette thèse qui va à l’encontre des approches dominantes, Anta Diop met à profit sa formation pluridisciplinaire. Il utilise ainsi l’analyse des textes d’Hérodote et Strabon soulignant que les Égyptiens anciens présentaient les mêmes traits physiques que les Africains noirs d’aujourd’hui (couleur de la peau, aspect des cheveux, du nez et des lèvres).

Il démontre également, par les méthodes anthropologiques, que le matriarcat en vigueur en Égypte est similaire à celui qui existe dans les pays d’Afrique subsaharienne; il analyse aussi les données archéologique et linguistique. Toutes ses méthodes lui permettent de conclure que la culture égyptienne est une culture nègre.

À son retour au Sénégal en 1960, il occupe le poste de maître de conférences, puis de professeur à l’université de Dakar (rebaptisé depuis université Cheikh Anta Diop). Dès 1966, il crée le premier laboratoire africain de datation des fossiles archéologiques au radiocarbone au sein duquel il effectue des tests de mélanine sur des échantillons de peau de momies égyptiennes. Selon Anta Diop, l’analyse de ces tests permet de confirmer les récits des auteurs grecs anciens sur la mélanodermie des anciens Égyptiens.

Dans la décennie 70, il participe à la rédaction de «l’histoire générale de l’Afrique» pour l’UNESCO. Il y rédige le chapitre sur «l’origine des anciens Égyptiens». Ses travaux contribuèrent fortement à remettre en cause les visions européo-centrées et blancos centrés de l’histoire mondiale. Pour cet apport, il est distingué en 1966 par le Festival mondial des arts nègres comme «l’auteur africain qui a exercé le plus d’influence sur le XXe siècle».

Dénonçant l’aliénation culturelle dont font preuve certains intellectuels africains, Cheik Anta Diop écrit : Il est fréquent que des nègres d’une haute intellectualité restent victimes de cette aliénation au point de chercher à codifier ces idées nazies d’une prétendue dualité du Nègre sensible et émotif, créateur d’art, et du Blanc fait surtout de rationalité. C’est ainsi que s’exprime de bonne foi un poète nègre africain dans un vers d’une admirable beauté «L’émotion est nègre et la raison hellène (Léopold Sédar Senghor)».

Repose en paix frère et camarade, tes travaux nous éclairent et contribuent à notre émancipation.