La mémoire au service des luttes : Frederick Douglass

L’histoire entière du progrès de la liberté humaine montre que toutes les concessions faites à ses augustes principes ont été le résultat de luttes acharnées Frederick Douglass

Il y a 126 ans, le 20 février 1895, le militant antiesclavagiste Frederick Douglass (né Frederick Augustus Washington Bailey) décédait. Il fut, sans aucun doute, l’un des plus célèbres combattants abolitionnistes du dix-neuvième siècle. Son ouvrage autobiographique, La vie de Frederick Douglass, esclave américain, est un classique de la littérature abolitionniste.

Né esclave, il est l’enfant d’une femme noire, Harriet Bailey, «dotée d’une grande intelligence», et d’un père blanc qui, selon Douglass, était le propriétaire de sa mère. Comme beaucoup d’enfants d’esclaves, il est séparé de sa mère alors qu’il est encore un nourrisson, une pratique courante du système esclavagiste. Douglass réussit à revoir sa mère quatre ou cinq fois avant qu’elle décède. Il a alors sept ans.

Travaillant depuis l’âge de six ans, comme esclave, sur une habitation, dont le propriétaire est un homme très riche (possédant, d’après Douglass, près de mille esclaves), il prend conscience de la violence régissant les rapports entre Blancs et esclaves. Sur cette habitation, il assiste, pour la première fois, à une scène horrible qui le marque à jamais : une femme, suspendue par les bras, est fouettée de nombreuses fois pour avoir rencontré un homme qui lui était interdit de fréquenter.

À l’âge de 12 ans, Douglass est transféré à Baltimore chez un certain Hugh Auld. La femme de ce dernier, Sophia, sympathise avec le jeune Douglass et entreprend, à l’insu de son mari, de lui apprendre quelques rudiments de lecture. Lorsque son mari s’en aperçoit, il fait à sa femme cette déclaration tout à fait prophétique et qui montre combien il était conscient, en tant qu’esclavagiste, de la nécessité de garder les esclaves dans l’ignorance, si l’on voulait que le système se reproduise indéfiniment : «Le savoir gâterait le meilleur nègre du monde. Si tu enseignes à ce nègre à lire, il n’y aura plus moyen de le tenir. Cela le rendra à jamais inapte à l’esclavage.» Cette déclaration fit comprendre à Douglass l’importance de l’éducation. Désormais, il allait s’y adonner avec zèle et ferveur.

Grâce à l’argent gagné en vendant des bottes, il achète son premier livre. Intitulé, Columbian Orator, cet ouvrage est conçu pour enseigner la rhétorique. On y trouve en particulier un dialogue entre un maître et son esclave, dans lequel ce dernier déconstruit tous les arguments justifiant l’esclavage. L’ouvrage jouera un rôle important dans la formation intellectuelle du jeune Douglass.

En 1836, après une tentative infructueuse de fuite, Douglass purge une peine de prison pendant une semaine.

Le 3 septembre 1838, déguisé en marin et muni de papiers d’identité d’un marin noir libre, il réussit à s’évader. Après un long périple, il s’installe à New Bedford dans le Massachusetts. Là, par mesure de sécurité, il prend le nom de Douglass, sur le conseil d’un ami s’inspirant du texte La Dame du lac (poème narratif de Walter Scott, dans lequel le personnage James Douglas joue un rôle important).

En 1843, Douglass participe au projet dit des cent conventions, une tournée de six mois à travers l’Est et le Midwest américain, organisé par la Société antiesclavagiste américaine. Il prend part également à la Convention de Seneca Falls, l’acte de naissance du mouvement féministe américain. Son combat abolitionniste sera, dès lors, relié au combat des femmes.

En 1845, Douglass publie sa biographie. L’ouvrage connut un succès immédiat, le nombre d’exemplaires vendus passant de 4 500 à 30 000 en l’espace de cinq ans. Il sera réédité neuf fois durant les trois premières années suivant sa publication. L’œuvre est imprégnée d’une telle verve que l’on doute qu’elle soit écrite par un Noir. Néanmoins, elle contribue, de façon significative, à faire évoluer les consciences et surtout à faire comprendre la situation des esclaves.

Le 16 août 1845, Douglass se rend à Liverpool (Angleterre) où il prononce plusieurs conférences. Il en profite pour visiter l’Irlande et se lie d’amitié avec le leader nationaliste Daniel O’Connell (1775-1847). Pendant tout son parcours, il défend avec grâce et éloquence la cause abolitionniste.

De retour aux États-Unis, le 20 avril 1847, il fonde le journal abolitionniste et féministe The North Star. Le journal porte le slogan suivant : «Le droit n’est d’aucun sexe — La vérité n’est d’aucune couleur — Dieu est notre père à tous et nous sommes tous frères».

Influencé par son éducation chrétienne, Douglass est, dans un premier temps, partisan de la non-violence, mais il change d’avis à la suite de l’adoption par le Congrès de la loi sur les esclaves fugitifs en 1850 (loi obligeant de retourner à leurs «propriétaires» les esclaves en fuite). Il se rapproche de l’abolitionniste radical John Brown, l’organisateur en 1859 d’un raid contre l’arsenal fédéral d’Harper’s Ferry.

Durant la guerre de Sécession (1861-1865), Douglass mène une campagne active pour faire admettre les Noirs dans l’armée de l’Union. Il s’agit de rendre irréversible l’abolition promise de l’esclavage : «Que le Noir arrive à mettre un aigle sur ses boutons, un fusil sur son épaule et des balles dans sa poche, et aucun pouvoir au monde ne pourra plus nier qu’il a gagné le droit de devenir un citoyen».

Surnommé «Le sage d’Anacostia» ou «Le lion d’Anacostia», il fut candidat en 1872 à la vice-présidence des États-Unis aux côtés de Victoria Woodhull (1838-1927), la première femme à se présenter pour le poste de président des États-Unis, pour le Parti de l’égalité des droits (Equal Rights Party).

Notons qu’en 1891, Douglass sera envoyé en tant que consul général en Haïti, sous la présidence de Florvil Hyppolite. En 1893, il représente la république noire à l’Exposition universelle colombienne qui s’est tenue à Chicago, exposition d’où a été exclue la participation des Afro-Américains. En représentant Haïti, Douglass vise, comme il l’écrit lui-même, d’empêcher «la race [noire] de perdre complètement son identité durant l’exposition.» Rappelons que la présence des afrodescendants durant ces expositions qui eurent lieu jusqu’aux années 1930 dans plusieurs pays occidentaux se réduisait à un spectacle ethnique où les Noirs jouaient le rôle de sauvages.

Tout au long de sa vie, Douglass n’a de cesse d’affirmer sa croyance en l’égalité de tous, noirs, femmes, indigènes ou immigrés récents. Son adage favori : «Je m’unirais avec n’importe qui pour faire le bien et avec personne pour faire le mal».

Le 20 février 1895, il assiste au Conseil national des femmes à Washington, où il est ovationné par le public. Il meurt le même jour d’’une crise cardiaque à l’âge de 77 ans.

Repose en paix frère et camarade. Ta vie et tes perpétuels combats sont une source d’inspiration et de dignité.
Ses

Texte : FUIQP et Alain Saint-Victor