La Via Campesina : les paysans du monde en marche

Via Campesina, 30 octobre 2019

Depuis mai 2019, les représentants du mouvement paysan mondial font pression au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, du Conseil des droits humains des Nations Unies et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, pour créer une dynamique internationale qui favorise et promeut l’application des droits des paysans.

Lors de son intervention du 26 septembre à New York au Sommet des ODD, au Forum politique de haut niveau (HLPF) tenu dans le cadre de la 74ème session de l’Assemblée générale, Paula Gioia de La Via Campesina, a insisté sur la promotion, l’utilisation et l’application de la Déclaration des droits des paysans par tous les gouvernements, et rappelé à tous les participants que l’agroécologie paysanne et une agriculture paysanne durable offrent des moyens concrets pour atteindre plusieurs de des 17 objectifs de développement durable.

« Pour éradiquer la faim, la production alimentaire doit être basée sur l’agroécologie, la souveraineté alimentaire, et prendre en compte les petits agriculteurs », a-t-elle déclaré dans son discours.

L’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) par le Conseil des droits humains des Nations Unies, puis par l’Assemblée générale des Nations Unies (décembre 2018), arrive à point nommé pour qu’elle contribue de manière significative à la Décennie de l’agriculture familiale (UN DFF, 2019-2028), cadre encourageant des politiques publiques en faveur des exploitations familiales.

‘La Décennie’ a été officiellement lancée à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) le 29 mai de cette année. Lors de l’inauguration, tout en appelant à ‘la Décennie de l’agriculture familiale’ pour maintenir le caractère central les intérêts des paysans et des petits producteurs, Edgardo Garcia de La Via Campesina a déclaré : « Pour nous, la Décennie est un espace pour promouvoir le changement social que nous avons toujours exigé pour les peuples, les travailleurs et les paysans. Si les gouvernements écoutent ces demandes, les droits des paysans seront garantis et ils pourront produire. Dans le cas contraire, il sera évident que les gouvernements, la FAO et le FIDA auront placé les entreprises agroalimentaires au centre de la Décennie. Le lien entre la Déclaration des droits des paysans et la Décennie de l’agriculture familiale doit se refléter dans les politiques, les consultations et la reconnaissance des organisations lors de la mise en œuvre de cette Décennie. »

La Via Campesina est fermement convaincue que créer un lien entre le contenu de l’UNDROP et le cadre de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale renforcera les efforts visant à atteindre les objectifs du développement durable et que les méthodes agroécologiques de production alimentaire permettront au monde d’éliminer la pauvreté, l’insécurité alimentaire et la malnutrition. A l’approche du premier anniversaire de l’adoption de l’UNDROP, La Via Campesina transmet ce message de transformation sociale à tous les espaces de gouvernance internationale.

Lors d’un événement parallèle qui s’est tenue au Palais des Nations le 23 septembre, au cours de laquelle ont été examinées les possibilités offertes par la l’UNDROP et les défis à relever dans sa mise en œuvre, Zainal Arifin Fuat de La Via Campesina a déclaré : « …l’adoption historique par le Conseil et l’Assemblée générale des Nations Unies donne à la communauté internationale l’occasion de s’attaquer aux inégalités et à la discrimination qui, de manière disproportionnée, touchent la population rurale mondiale. Comme indiqué dans la résolution 73/165 de l’Assemblée générale des Nations Unies, les gouvernements, agences et organisations du système des Nations Unies, en particulier le Conseil des droits humains (HCR), et les organisations intergouvernementales et non-gouvernementales, doivent diffuser la Déclaration et promouvoir e manière universelle son respect et sa compréhension. »

Cet événement parallèle était co-organisé par l’État plurinational de Bolivie, la Suisse, la FAO, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains (HCDH) et La Via Campesina avec le soutien de FIAN International et de Centre Europe – Tiers Monde (CETIM).

Zainal a également ajouté que : « après l’adoption, une nouvelle phase de mise en œuvre fera partie de nos agendas communs, en tant que processus dans lequel les paysans, les États membres et les organes des Nations Unies devraient coopérer pour traiter ces questions. Il est essentiel que ce processus de mise en œuvre soit mené à tous les niveaux : national, régional et international. »

Lors d’un autre événement public au Palais des Nations à Genève, le 3 octobre, à l’occasion du lancement de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale à Genève, La Via Campesina a une fois de plus souligné que les paysans et les communautés autochtones sont les principaux agents du changement, bien qu’ils soient souvent marginalisés et privés de leurs droits fondamentaux – tels que le droit à la terre, à l’eau et aux semences.

Tout en s’exprimant au nom du mouvement paysan mondial, Paula Gioia a réclamé une approche mettant fortement en avant les droits humains dans le processus de mise en œuvre de la Décennie des Nations Unies.

« La Décennie nous offre une excellente occasion de travailler ensemble à la promotion, à l’utilisation et à l’application des instruments relatifs à la sécurité alimentaire et aux droits de l’homme, qui contribueront directement à soutenir l’agriculture familiale. À l’heure où nous assistons à une mise à l’écart systématique des droits humains, il est encore plus important d’unir nos forces. Les missions des États membres, les agences de l’ONU, ainsi que les organisations de la société civile basées à Genève doivent jouer un rôle important à cet égard », a-t-elle déclaré.

En plus de la volonté mondiale, La Via Campesina – à travers ses organisations membres – organise plusieurs forums nationaux et régionaux, appelant à des politiques nationales protégeant les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

En Amérique, au début de cette année, cet instrument politique a été officiellement lancé dans des pays comme le Honduras, la Colombie et le Paraguay ; en Argentine, le lancement est prévu en novembre. Aussi, lors du VIIe Congrès de la Coordination latino-américaine des organisations rurales qui s’est tenu à Cuba en juin 2019, le lancement de la Déclaration au niveau continental a eu lieu avec la participation de l’ancien Directeur général de la FAO, Graziano da Silva, qui a déclaré que “cette déclaration historique protégera les droits des populations rurales, notamment les paysans, peuples autochtones et peuples indigènes, reconnaissant leurs défis et leur contribution potentielle au développement durable. La FAO doit œuvrer pour la reconnaissance des droits des populations rurales, car nous sommes convaincus que seule la compréhension et le respect de ces droits permettront d’assurer un avenir meilleur à nos zones rurales.

Plusieurs organisations au Honduras ont articulé conjointement une campagne intitulée #CultivarSinRiesgo qui cherche à raviver l’intérêt du gouvernement et du reste de la société hondurienne dans la situation dramatique de l’agriculture ” parce qu’il y a une insécurité alimentaire, la répression, le changement climatique et la faim, entre autres difficultés, ” a déclaré Rafael Alegría.

De plus, en août, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a blâmé l’État paraguayen pour le décès d’une personne et l’intoxication d’une vigntaine de personnes dans une ville rurale en 2011, en mentionnant pour la première fois la Déclaration des droits des paysans approuvée en 2018. D’autre part, cette année, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, MST du Brésil, a également utilisé la Déclaration pour initier une coopération avec l’Office fédéral des droits des citoyens au Pará afin de développer des stratégies et des solutions contre la violence dans les campagnes, et pour surveiller et suivre les accusations de violence contre les paysans. Cette région, il y a plus de 20 ans, a été victime du massacre de l’Eldorado dos Carajas, où 19 personnes sans terre ont été assassinées en toute impunité, et c’est pourquoi La Via Campesina commémore le 17 avril comme une Journée mondiale de la lutte paysanne.

 En Indonésie, un événement public a eu lieu le 26 septembre. Au cours de cet événement, des membres du Syndicats des Paysans Indonésiens (SPI) ainsi que des universitaires ont examiné cette feuille de route pour la mise en œuvre de la Déclaration dans le pays. Le syndicat des paysans a déjà lancé un appel au gouvernement pour que soient harmonisés les amendements proposés à la loi foncière, en ligne avec la Déclaration des Nations Unies.

 En Corée du Sud, un forum sur l’UNDROP a été organisé au début du mois de juin de cette année et la deuxième réunion de ce forum a eu lieu en octobre à la Commission nationale des droits humains de Corée, où des universitaires, des chercheurs et des membres de la société civile ont rejoint les mouvements paysans de Corée pour élaborer une stratégie à la mise en place des droits paysans dans le pays.

 En Inde, le Karnataka Rajya Rajya Raitha Sangha traduit actuellement la Déclaration des Nations Unies en Kannada. Lors d’un événement public organisé en juillet, d’éminents juristes et leaders du mouvement paysan ont demandé au gouvernement d’utiliser la Déclaration comme référence pour de meilleures politiques publiques, tout en présentant le contenu de la Déclaration aux paysans de l’État.

 Au Pakistan, en octobre de cette année, le Comité pakistanais Kissan Rabita a présenté la Déclaration des Nations Unies lors d’une réunion publique de 20 organisations paysannes des régions du Punjab, du KPK et Sindh du pays. Une version résumée de la Déclaration des Nations Unies en ourdou a également été publiée lors de la réunion.

 Au Brésil, un accord de coopération a été signé entre le bureau du procureur général fédéral pour les droits des citoyens et le Mouvement des travailleurs sans terre (MST), qui reconnaît qu’il faut respecter les garanties inscrites dans la Déclaration de l’ONU.

 Pour le mouvement paysan mondial, l’adoption de cette Déclaration par l’ONU en décembre dernier n’est qu’une bataille à moitié gagnée. Ce qui est crucial, c’est la voie que les États membres de l’ONU vont maintenant suivre pour que le contenu de cette Déclaration devienne une réalité vécue pour des millions de familles rurales. Si la Déclaration des Nations Unies n’est pas respectée au pied de la lettre et si son esprit n’est pas diffusé dans tous les pays du monde, cette lutte se poursuivra.

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