L’après pandémie: nous ne voulons pas d’un retour à leur normalité

Attac France, 23 mars 2020

 

 

« Nous ne voulons pas d’un retour à leur normalité, car la normalité néolibérale et productiviste est le problème. »

C’est ce que nous essayons de démontrer dans cette note en proposant des solutions pour répondre à l’urgence sanitaire de manière efficace et juste tout en esquissant, dès maintenant, la révolution écologique et sociale qui devra être mise en oeuvre pour permettre aux peuples de reprendre le contrôle sur leurs vies et sur leur avenir.

 

 

1. Répondre à l’urgence

L’Organisation mondiale de la santé a pointé du doigt des « niveaux alarmants d’inaction » de la communauté internationale. Les dégâts humains sont d’ores et déjà très importants. La santé et la vie doivent primer sur toute considération économique ou financière. De ce point de vue, on est en droit de s’interroger sur les réactions du gouvernement, jugées trop tardives, incompétentes ou amateuristes selon de nombreux responsables scientifiques et de la santé et vu les enseignements qui pouvaient être tirés de la Chine ou de l’Italie. Le manque d’anticipation et de mesures fortes et immédiates va sans doute coûter de très nombreuses vies. Des mesures d’urgence sont nécessaires, pour protéger la vie de chacun, y compris des plus fragiles : toutes les mesures possibles et nécessaires pour protéger la santé des populations doivent être mises en oeuvre, quelles qu’en soient les répercussions économiques.

Répondre aux besoins des hôpitaux pour faire face à l’urgence sanitaire

Les hôpitaux manquent cruellement de matériel, de lits et de personnels.  Les pouvoirs publics doivent pallier en urgence aux conséquences désastreuses de la casse des hôpitaux publics ces dernières années. La gravité de la situation nécessite un plan d’urgence pour les hôpitaux, qui doit s’appuyer sur les exigences des personnels en lutte depuis des mois. Pour cela, des moyens budgétaires rapides et conséquents doivent être mis à disposition, « quoi qu’il en coûte », comme l’a énoncé Emmanuel Macron. Malheureusement, à ce jour, seuls deux milliards d’euros sont sur la table (dédiés « aux arrêts maladie, aux masques et à la rémunération des personnels soignants ») : il en faudrait au moins le double.

Parmi les mesures urgentes qui doivent être prises :

  • l’embauche immédiate de personnels sous statut et la revalorisation pérenne des salaires du personnel soignant ;
  • la réouverture de lits (il manque 10 000 places aux urgences et 40 000 dans les Ehpad), l’achat de matériel lourd pour les soins (respirateurs…), la mise à disposition systématique de tenues de protection efficaces ;
  • une reconversion massive de l’industrie française vers une économie au service des besoins sanitaires : fabrication de masques, de solutions hydro-alcoolique, de tests de dépistage…
  • l’annulation des dettes des hôpitaux accumulés par 10 ans de politiques néolibérales (8 à 10 milliards d’euros) ;
  • la réquisition des établissements hospitaliers, des lits, des laboratoires et cabinets de radiologie privés ;
  • la réquisition des médecins libéraux plutôt que de faire des appels à leur volontariat et suppression des dépassements d’honoraires ;
  • l’interdiction de l’activité privée au sein des hôpitaux publics afin de transférer tous les moyens au service de la population.

Respecter les libertés et droits démocratiques

L’urgence est la crise sanitaire : nous respectons les mesures nécessaires pour éviter la propagation du virus et la sursaturation des établissements médicaux. Mais la crise sanitaire ne doit pas être l’occasion de remettre en cause des libertés fondamentales, telles que la liberté d’informer et de lancer des alertes. Elle ne doit pas être l’occasion de violences policières sous caution de faire régner l’ordre public. Et elle doit donner lieu à une réelle transparence de la part du gouvernement, en premier lieu à la publication de tous les rapports et conseils scientifiques sur lesquels il s’appuie.

Nous ne sommes pas en guerre comme l’a affirmé Emmanuel Macron, mais face à une pandémie. Nous ne sommes pas des soldats, mais des citoyennes et citoyens. Nous n’avons pas d’ennemi. Ni à l’extérieur, ni à l’intérieur des frontières. Le gouvernement doit arrêter de naviguer à vue et doit prendre enfin les mesures nécessaires de manière à ce qu’elles soient cohérentes entre elles, fondées sur un principe de solidarité, qui permettront à chacun·e, riche ou pauvre, de faire face à la pandémie. La participation consciente et volontaire de l’ensemble de la population aux mesures de confinement nécessaires n’en sera que facilité. Mais pour asseoir la légitimité de ces mesures de confinement, ce gouvernement ne doit pas se prévaloir de la crise sanitaire pour imposer son agenda néolibéral ni pour redoubler les discriminations pesant déjà sur les populations des quartiers populaires.

 

Protéger les personnes les plus durement touchées

Le gouvernement dégage des moyens conséquents pour les entreprises. Il faut qu’il en fasse de même pour les travailleurs·euses, les chômeurs·euses, les plus vulnérables et qu’ils préservent leurs droits acquis sociaux :

  • Des dizaines de milliers de personnes sont d’ores et déjà mises au chômage technique. Seuls 84 % de leur salaire net est maintenu, là où un maintien intégral des salaires devrait être assuré (avec compensation par l’État des entreprises réellement en difficulté). Dans le même temps, afin que la crise du coronavirus ne se transforme pas en crise sociale, les licenciements doivent être interdits, mesure évoquée puis retoquée par le gouvernement suite à des pressions du MEDEF.
  • Selon qu’on est plus ou moins riche, plus ou moins déjà malade, plus ou moins âgé·e, les conditions de confinement et même la possibilité d’accès à des soins de qualité ne sont pas les mêmes. Pour chacune des mesures mises en œuvre par l’État, il s’agit d’assurer la justice sociale, pour que ce ne soit pas les plus pauvres et les plus vulnérables qui soient les premières victimes. Ainsi, le Gouvernement a annoncé son intention de suspendre les expulsions jusqu’au 31 mai et a reporté la nouvelle baisse des aides au logement, ainsi que la prolongation des cartes de séjour pour les étrangers. Mais c’est loin de suffire : il faut instaurer la réquisition des logements vacants pour les sans abris et les très mal logé·e·s, un moratoire sur les loyers non payés, le rétablissement intégral des aides au logement et leur renforcement, un moratoire sur les factures impayées d’énergie, d’eau, de téléphone et d’internet pour cause de revenus insuffisants ou en baisse.
  • Dans cette période de confinement, la lutte contre les violences conjugales et sur les enfants doit être repensée et renforcée.

Pour protéger les travailleurs·euses :

  • le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population (l’agriculture, la pêche, l’industrie alimentaire et des boissons, les services d’information et de communication) et le droit de retrait des salarié·e·s doit être respecté, lorsque les conditions de santé et sécurité (masques, gel hydroalcoolique…) ne sont pas assurées.
  • aucun acquis social ne doit être remis en cause, contrairement à la possibilité que le gouvernement se donne par le Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, qui lui permet d’intervenir par ordonnances sur des domaines du droit du travail extrêmement sensibles tels que le droit aux congés payés ou au repos hebdomadaire, la durée de travail hebdomadaire, etc. Pour maintenir les entreprises à flot, ce n’est pas la remise en cause des droits des travailleurs·euses qui est la réponse !

2. Pour une révolution écologique et sociale

Jamais, depuis 1945, le monde n’avait connu une situation aussi chaotique et instable dans un enchevêtrement de crises aussi diverses que majeures. L’épidémie du coronavirus révèle les grandes fragilités d’un capitalisme de plus en plus mondialisé et financiarisé, exploitant toujours plus le travail et le vivant. « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » : ce discours d’Emmanuel Macron est en complète opposition avec la politique qu’il mène depuis 3 ans et qui aggrave la crise sanitaire. A cette crise du coronavirus doit succéder une révolution écologique et sociale, passant par une rupture avec les politiques passées : il est urgent de désarmer cette formidable machine qui réchauffe la planète, fait s’effondrer la biodiversité, aggrave la précarité et les inégalités et met à mal la démocratie. Elle montre qu’une intervention bien plus forte de la puissance publique pour contraindre les marchés est nécessaire pour répondre aux besoins humains : nous devons nous mobiliser pour que cette intervention ne soit pas l’affaire de quelques semaines ou quelques mois. Des « décisions de rupture », pour reprendre les propos d’Emmanuel Macron, ne peuvent être conjoncturelles, elles doivent dessiner un autre futur.

Soutenir les entreprises réellement en difficulté en conditionnant les aides

Le confinement, l’arrêt de la production de nombreuses entreprises et la chute de la demande en France comme ailleurs mettent de nombreuses entreprises en très grandes difficultés. Le gouvernement a annoncé un premier paquet de 45 milliards d’euros d’aides (report ou annulation de cotisations, compensation du chômage partiel des salarié·e·s, fonds de solidarité, indemnité mensuelle de 1 500 euros…), ainsi que 300 milliards d’euros de garanties de crédits bancaires. Ces mesures sont nécessaires pour maintenir le tissu productif mais doivent être priorisées pour les entreprises réellement en difficulté et notamment les indépendant·e·s, auto-entrepreneurs·euses, TPE et PME, dont les trésoreries sont les plus faibles. Pour elles et eux, ces aides exceptionnelles peuvent être effectivement être dégagées pour éviter toute faillite.

Dans le même temps, certaines entreprises engrangent des profits exceptionnels : Amazon, Netflix… Une taxe exceptionnelle et conséquente doit être mise en place sur leurs bénéfices, permettant des rentrées de recettes publiques, qui vont lourdement manquer dans la période. De façon générale, pour éviter que ce soient les salaires qui soient la variable d’ajustement de la crise, le versement des dividendes doit être immédiatement suspendu.

Par ces interventions massives dans l’économie, l’État et les pouvoirs publics devraient se donner l’opportunité de réorienter très profondément le système productif du pays pour le rendre plus juste socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et compatibles avec les grands équilibres écologiques : faut-il investir massivement de l’argent public pour sauver des compagnies aériennes, des entreprises pétrolières, gazières ou chimiques, des secteurs industriels polluants, sans conditionner ces aides à leur reconversion progressive et organisée ? Non. Ne doivent être soutenues que les entreprises qui acceptent d’abandonner progressivement leurs activités polluantes pour investir dans des activités socialement et écologiquement utiles et soutenables. A défaut, l’État et les pouvoirs publics doivent prendre le contrôle de ces entreprises et mettre fin à leur pouvoir de nuisance. Dans tous les cas, les droits des salariés doivent être assurés (continuité du revenu, emploi). Cet interventionnisme public est une occasion unique d’opérer une véritable reconversion écologique et sociale dans les secteurs les plus nocifs, ne la manquons pas ! Pas un euro pour relancer l’insoutenable machine qui produit des inégalités sociales et la destruction de la planète.

Débloquer les financements nécessaires en assurant la justice fiscale

Alors que les ultra-riches, comme Bernard Arnault, se donnent le beau rôle en faisant oeuvre de générosité, il est grand temps de débloquer des financements supplémentaires, en faisant en sorte que chacun·e paye sa juste part d’impôt : on ne financera pas l’hôpital par des appels à dons. Cette exigence de justice fiscale passe notamment par :

  • une lutte implacable contre l‘évasion fiscale ;
  • le rétablissement de L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ;
  • le rétablissement de la progressivité de l’imposition des revenus du capital, via la suppression de la Flat Tax ;
  • la suppression du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Désarmer les marchés financiers

Alors que les cours du pétrole dévissent suite à la guerre des prix ouverte par l’Arabie Saoudite et la Russie et que la crise sanitaire du coronavirus se propage, une nouvelle crise financière et économique mondiale se profile et l’extrême fragilité du système financier revient sur le devant de la scène. Trop peu de leçons ont été tirées de la crise économique de 2008. Il faut remettre sur la table des mesures fortes et urgentes pour éviter une nouvelle catastrophe financière payée par les contribuables.

  • La politique monétaire doit être mise au service à très court terme de l’économie réelle, des besoins sociaux et environnementaux. Le nouveau plan d’achat d’actifs de la Banque centrale européenne (BCE) de 750 milliards d’euros doit être ciblé sur les activités prioritaires, selon le triple critère sanitaire, social et écologique. La BCE s’y est jusqu’ici toujours refusé, arguant de sa neutralité de marché, continuant ainsi à largement subventionner des secteurs nocifs pour la planète et la population. La politique monétaire doit cesser d’alimenter toujours plus les marchés financiers en liquidités et de renforcer leur mainmise sur l’économie réelle et les États : la BCE doit arrêter d’injecter des milliards d’euros par mois sans condition sur les marchés financiers, même sous couvert de sortir de la crise financière et économique qui s’annonce. C’est inefficace : les taux d’intérêt directeurs sont déjà au plus bas et les rachats de titres sont massifs, sans effet réel, si ce n’est de nourrir la spéculation. Plus largement il faut conditionner le refinancement des acteurs bancaires et assurantiels à une restructuration complète de leurs portefeuille d’activités : les activités bancaires qui aggravent les crises sanitaires, écologiques et climatiques ne doivent plus être refinancées. Dès maintenant, les centaines de milliards d’euros des produits d’épargne réglementés (Livret A, LDDS, LEP, etc) doivent être mis au services des activités soutenables et être garantis 0% fossile 0% fissile.
  • La BCE et les banques publiques doivent prêter directement et dès à présent aux États et collectivités locales pour financer les plans d’urgence, en appliquant les taux d’intérêt actuels proches de zéro. La dette publique, qui va fortement augmenter à la suite de la crise du coronavirus, ne doit pas être à l’origine de spéculations des marchés financiers et de futures politiques d’austérité budgétaire, comme ce fut le cas après la crise économique de 2008. D’ores et déjà, les écarts entre taux d’intérêt imposés aux États par les marchés financiers se creusent et restreignent les marges de manoeuvre des pouvoirs publics, comme en Italie : il faut stopper ça tout de suite. Les déclarations à l’emporte-pièces de Christine Lagarde le 12 mars dernier, laissant entendre que la BCE pourrait ne pas soutenir tous les États de la zone euro, bien que rectifiées par la suite, sont inquiétantes. La BCE doit acheter à l’émission cette dette nouvelle pour financer les États par de la création monétaire, et lui attribuer un statut de dette perpétuelle, non remboursable.
  • Un contrôle des capitaux et une interdiction des opérations les plus spéculatives et risquées doivent être instaurés : ventes à découvert, opérations à terme, opérations portant sur des secteurs stratégiques (alimentation, énergie, etc), limitation stricte des variations journalières des cours, taxe sur les plus-values financières… Ce fut fait pendant la seconde guerre mondiale et cela doit être reproduit. Le « shadow banking », partie la plus risquée et la moins régulée des marchés financiers, n’a jamais été aussi important et doit être urgemment restreint, pour éviter une trop grande catastrophe financière.
  • Un démantèlement et une socialisation des plus grandes banques, « too big to fail», dont la taille est telle que la défaillance de l’une d’elles met en péril la stabilité entière du système bancaire mondial. C’est le cas des 4 plus grandes banques françaises, qui se retrouvent avec une part d’actifs financiers dans leurs bilans extrêmement importante, les rendant d’autant plus vulnérables face aux variations de cours de bourse. Il faut donc séparer les activités de dépôt et d’affaires des banques, ainsi que le proposait une directive européenne récente, bloquée à cause du lobby bancaire européen.
  • Une taxe sur les transactions financières (TTF), en augmentant fortement le taux pour les transactions les plus spéculatives et risquées. La directive européenne sur la TTF, qui a été négociée dans le cadre d’une coopération renforcée, mais à laquelle le président français s’est opposé, doit être mise en œuvre.

 

Pour une solidarité internationale

La solidarité internationale doit s’exercer, à commencer par celle entre les pays européens qui ont été incapables de conduire une stratégie commune face à l’épidémie. Un budget européen bien plus conséquent que celui annoncé doit être mis en place à cet effet au sein de l’Union européenne (qui n’est autre que l’utilisation de fonds déjà existants pour la politique européenne de cohésion). Ce budget pourrait être financé sous forme de prêts à taux zéro par la BCE elle-même ou par la Banque européenne d’investissement (BEI). Ce budget européen pourrait être alimenté par des impôts européens (impôt sur les sociétés, impôt sur le patrimoine, TTF, etc). Au-delà, la solidarité européenne doit se baser sur une harmonisation fiscale entre les pays membres. Celle-ci doit stopper la course à la baisse des impôts directs et progressifs et s’adapter aux transformations de l’économie (en intégrant les activités numériques par exemple), au travers d’un « serpent fiscal européen » qui neutralisera la concurrence fiscale et sociale.

Des services publics pour assurer l’accès de tou·te·s aux droits humains fondamentaux

Cette épidémie montre l’État désastreux de notre système hospitalier. Depuis 3 ans les personnels hospitaliers ne cessent de tirer la sonnette d’alarme, face à un manque de moyens criant, en personnel ou en lits, qui empêchent aujourd’hui de soigner correctement chacun·e. Le gouvernement n’y a pas répondu et on en paye aujourd’hui le prix fort : il aura à répondre de cette politique qui a laissé se dégrader une situation devenue indigne dans les hôpitaux. Depuis quarante ans, les réformes néolibérales ont peu à peu déconstruit les services publics. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’hôpital qui souffre, mais l’ensemble des services publics qui ne peuvent plus jouer leur rôle de réduction des inégalités. Désormais, il nous faut reconstruire et améliorer ces services avec des moyens et des postes de titulaires à hauteur tout en assurant l’égalité d’accès des territoires et des populations.

Pour y arriver, il faut annuler la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et engager une réorientation fondamentale de l’organisation et des finalités de la recherche. Les scientifiques soulignent une grave insuffisance de la recherche publique fondamentale sur les virus, par manque de moyens et de chercheurs, depuis de nombreuses années. Des leçons auraient pourtant dû être tirées suite à l’épidémie du SRAS au début des années 2000 à Hong Kong et dans d’autres pays d’Asie. Plus généralement, la recherche publique est progressivement dévastée par la réduction des moyens et leur affectation à des projets en fonction de leurs retombées économiques pour le secteur privé et non en fonction de leur utilité sociale. Les 5 milliards en 10 ans pour la recherche scientifique annoncés par Emmanuel Macron ne règlent en rien les problèmes soulevés par les chercheur·se·s et enseignant·e·s qui revendiquent la fin de la précarité, la création de postes de personnels titulaires dans toutes les disciplines ainsi  qu’un soutien à la recherche publique qui ne soit pas dirigé par l’Agence Nationale de la Recherche et qui se traduise par la suppression du Crédit Impôt Recherche.

La crise sanitaire a cruellement révélé l’enjeu pour la société de reconnaître l’importance des services aux personnes dépendantes (personnes en perte d’autonomie, personnes handicapées, etc.), la nécessité de répondre à leurs besoins quotidiens et l’importance du lien social. Une bonne partie de ces activités est actuellement prise en charge par des femmes, soit dans le cadre de la sphère privée et de l’aide informelle, soit par des emplois mal rémunérés occupés très majoritairement par des femmes, et notamment des immigrées (auxiliaires de vie, aides ménagères, etc.) ou encore dans les EHPAD. Dans ce domaine les besoins sociaux sont très importants et, quand les politiques publiques ne permettent pas leur prise en charge collective, c’est le secteur privé qui s’engouffre dans ce champ d’activités porteur de profits. Nous sommes pour la valorisation de ces métiers et leur mixité. Contre la marchandisation de ces services, nous demandons leur socialisation, c’est à dire la création de services publics et leur contrôle par les différentes catégories de « parties prenantes », salariés, usagers, personnes morales et collectivités.

Les besoins en terme de capacité d’accueil de la petite enfance sont criants. L’accueil est de plus en plus inégalitaire, de plus en plus privatisé et individuaIisé pour celles et ceux qui ont les moyens, il existe en plus de fortes inégalités territoriales. Il faut concevoir un service public de la petite enfance qui regrouperait tous les modes de garde, crèches, assistantes maternelles, structures associatives, etc. et offrirait la meilleure qualité pour l’accueil des enfants avec un plan de formation et de reconnaissance des qualifications des métiers de la petite enfance.

Une relocalisation solidaire des activités

La « crise du coronavirus » révèle notre très grande vulnérabilité, tant les chaînes de production sont mondialisées et tant nous sommes dépendant·e·s d’un grand nombre d’exportations et importations. C’est le cas notamment des grandes entreprises de l’électronique, de l’automobile, de l’aéronautique, des médicaments, du textile… Or des crises comme celle-ci, sanitaires mais qui pourraient être géopolitiques ou climatiques, se reproduiront. La relocalisation doit permettre d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux, et de se désolidariser des règles européennes des accords de libre-échange, de répondre aux besoins locaux. Elle doit également permettre aux pouvoirs publics et aux citoyen·ne·s de reprendre le contrôle sur les modes de production, d’éviter de confronter entre eux des systèmes productifs extrêmement inégaux, d’avoir une chance de court-circuiter les multinationales et de baisser les coûts écologiques des transports.

La relocalisation des systèmes productifs se justifie parce que la division du travail organisée par les multinationales met en concurrence les peuples et tire tout le monde vers le bas, mais aussi pour des raisons démocratiques et écologiques : le développement du commerce international et des flux de marchandises entraîne un accroissement permanent des émissions de gaz à effets de serre liés au transport. Mais si on a besoin d’une relocalisation du système productif, on a aussi besoin d’une extension sans précédent de la coopération internationale.

  • La « crise du coronavirus» montre également le besoin de relocaliser la production des médicaments alors qu’une majorité des principes actifs que nous utilisons sont importés de Chine et d’Inde, ce qui pose aujourd’hui des problèmes d’autonomie et de sécurité sanitaire. Il s’agit également de relocaliser les activités dans l’industrie, dans l’agriculture et les services et pour cela de mettre en œuvre une planification démocratique de ces productions en fonction des besoins et des impératifs écologiques. La nécessaire bifurcation sociale et écologiste ne pourra se faire qu’à travers une revitalisation de tous les territoires.
  • Cette relocalisation passe d’abord par l’arrêt ferme et définitif de la négociation, signature et ratification de nouveaux accords de libre-échange bilatéraux (commerce et investissement), par la remise en cause des accords existants (dont les mécanismes ISDS) et par la remise en cause des règles de l’Organisation mondiale du commerce.
  • Une taxe kilométrique sur tous les modes de transports accroîtrait substantiellement le coût du fret et dissuaderait le transport de marchandises sur longues distances. Le montant de cette taxe augmenterait (de façon proportionnelle ou plus complexe) en fonction du nombre de kilomètres parcourus entre le lieu de production de la marchandise et son lieu de vente. Cette taxe inciterait au développement des circuits économiques locaux et régionaux et rendrait le commerce de longue distance très peu compétitif. Une telle mesure ouvre la voie à un développement économique beaucoup plus centré sur les besoins locaux et la possibilité pour les populations locales de décider ce qu’elles vont produire et comment. En outre, la taxe kilométrique est un outil coopératif qui renchérit autant les exportations que les importations, sans désavantager les partenaires commerciaux du pays qui en prend l’initiative.
  • La relocalisation doit s’accompagner d’une régulation internationale refondée sur la solidarité internationale et la réponse à la crise écologique, dans le cadre d’instances multilatérales et démocratiques. Il s’agit de déployer des mesures fermes et mondiales contre le réchauffement climatique, pour aider les pays pauvres à s’y adapter, pour combattre les paradis fiscaux et judiciaires, pour contraindre les multinationales, pour en finir avec la concurrence fiscale et sociale et s’engager enfin sur la voie d’une harmonisation fiscale européenne et une fiscalité internationale. Il s’agit de réguler bien plus fortement les échanges de biens, de services et de capitaux, tout en permettant une libre circulation des connaissances et des personnes.

Une révolution écologique et sociale

L’enjeu n’est pas la relance d’une économie profondément insoutenable. Il s’agit de mobiliser à court terme les sommes colossales nécessaires pour faire face au réchauffement climatique et à la crise écologique et engager la bifurcation de l’économie et de la société. La France, l’Europe et la communauté internationale doivent élaborer un plan de rupture avec le désordre néolibéral et productiviste pour répondre de façon démocratique à la fois aux urgences sociales et écologiques.

  • La BCE et le système bancaire, ainsi que les pouvoirs publics, doivent soutenir avant tout les investissements dans la transformation écologique, avec la création massive d’emplois dans les énergies renouvelables, des transports en commun qui doivent être rendus gratuits, la rénovation thermique des logements… Ils doivent aussi financer bien davantage des activités satisfaisant les besoins de base et l’intérêt général : services publics de santé, d’éducation, de recherche…
  • Une politique budgétaire ambitieuse doit accompagner cette politique monétaire, avec notamment des moyens bien plus importants pour les collectivités locales qui assurent les services publics de proximité.
  • Face aux limites physiques de la planète, la décroissance de la consommation matérielle et énergétique à l’échelle mondiale, et d’abord dans les pays riches, est indispensable. Il faut stopper les investissements énergivores et consuméristes comme la 5G ou la recherche de nouveaux gisements d’énergies fossiles. Il faut engager la décroissance des activités polluantes tout en évitant que les travailleurs·euses en fassent les frais, par des politiques de formation, de reconversion et de partage des richesses. La politique énergétique ne peut pas être simplement une « énergie décarbonée » qui ferait la part belle au nucléaire – dont l’ensemble de la chaîne de production est fortement émettrice de gaz à effet de serre – et qui laisserait intacte les consommations énergétiques finales. Des modes de production agricoles et industriels bien plus écologiques et sociaux doivent être favorisés par une réorientation forte des aides publiques ou encore des marchés publics. Face aux lobbys des multinationales, la réglementation sur les substances néfastes pour la santé doit être considérablement renforcée. N’oublions pas que certaines de ces substances (perturbateurs endocriniens, pesticides…), tout comme une mauvaise alimentation, sont à l’origine de nombreux cancers ou d’autres maladies qui rendent aujourd’hui beaucoup plus vulnérables les personnes face au coronavirus.
  • Refonder les systèmes agricoles et alimentaires est une nécessité pour défendre les paysans, leurs emplois mais également les consommateurs·trices, autour des principes d’autonomie productive et alimentaire (contre la mondialisation des échanges de denrées alimentaires) et de solidarité internationale (contre les destruction des systèmes agricoles locaux par le mise en concurrence des systèmes productifs). La relocalisation solidaire doit permettre un accès à une alimentation de qualité pour tou·te·s, grâce à des politiques publiques qui favorisent une agriculture créatrice d’emplois de qualité, rémunératrice. Une telle agriculture peut permettre de faire face aux crises écologiques ou sanitaires, en étant appuyée sur des réseaux de distribution locaux, pour une alimentation saine et diversifiée.

 

 

Conclusion : préparer le jour d’après, dès maintenant !

Nul ne peut dire quand se terminera le confinement et encore moins le développement de la pandémie de COVID19. Mais une chose est sûre, les choses ne peuvent demeurer en l’état. Soit les gouvernements en profitent pour mener une stratégie du choc, augmenter d’un cran les politiques néolibérales et autoritaires, soit les peuples reprennent le contrôle et refondent nos sociétés. Il ne s’agit pas là d’un débat lointain : demain se prépare aujourd’hui.

Aux rhétoriques guerrières et aux attaques contre les droits sociaux annoncées par le gouvernement, opposons l’entraide, la défense des services publics et des salarié·e·s.

Au chacun pour soi, opposons les pratiques collectives, même en période de confinement.

A l’accentuation des inégalités dans la gestion de crise, notamment pour les personnes qu’on oblige à aller travailler ou pour ceux et celles qui subissent déjà de fortes discriminations, opposons l’égalité, « coûte que coûte ».

Au sauvetage des multinationales, opposons une réorientation des politiques afin de répondre aux urgences sociales.

Au maintien des structures économiques actuelles, opposons une bifurcation écologique et sociale, guidée par la satisfaction des besoins collectifs et les impératifs écologiques.

L’heure est à l’organisation de la solidarité et de l’entraide. Si l’on veut imaginer une réelle sortie de crise, ce sont ces valeurs qu’il faut faire vivre dès maintenant, et bien plus encore dès la fin du confinement.