Le Canada et la Palestine : la fausse « paix »

 

Martin Forgues, Ricochet, 16 septembre 2020 1

 

Les récents accords entre Israël et les pétromonarchies sunnites du Golfe sont tout sauf des accords de paix, ce qui n’empêche pas le Canada d’emboîter le pas et de montrer encore une fois sa vraie nature.

En regardant ce qui s’est passé au cours des dernières semaines à Tel-Aviv, Washington, Abu Dhabi et Bahrein, on se serait crus devant une vieille reprise d’un mauvais feuilleton politique. Celui qu’on nous a joué d’abord à Camp David en 1978, puis à Oslo en 1993.

À la différence que cette fois, l’objectif de cette « normalisation » des relations entre Israël et les Émirats Arabes Unis se présente au grand jour de manière fort limpide, malgré l’insistance que cet accord vise surtout des enjeux non-militaires.

Les objectifs, devrait-on dire, puisqu’ils sont multiples et s’opèrent sur plusieurs fronts, sur lesquels les grands perdants demeurent les mêmes : le peuple palestinien.

Un grand coup de vent diplomatique

D’abord, on nous présente ces ententes comme des accords de paix « historiques » entre Israël et les monarchies des Émirats Arabes Unis et de Bahreïn, alors que ces pétro-royaumes arabes n’avaient jamais reconnu la légitimité de l’occupant hébreu et que ces pays n’entretenaient aucune relation diplomatique. Les accords de Camp David et d’Oslo étaient tout autant qualifiées « d’historiques » et pourtant, les perspectives d’une paix durable n’ont jamais semblé aussi irréels que maintenant au Moyen-Orient. L’Égypte croule sous la dictature militaire après une tentative de mainmise sur le pouvoir par les Frères musulmans. Le Liban s’enlise dans une crise sans précédent alors que le pouvoir corrompu s’accroche. Tsahal répond à des escarmouches avec des avions de chasse et des tanks.

Les médailles Nobel de Anouar el-Sadate, Menachem Begin, Yasser Arafat, Yithzak Rabin et Shimon Peres ne furent toujours que vulgaires et ostentatoires parures, dans le même esprit factice que l’implication d’un Donald Trump désespérément à la recherche d’un coup fumant alors que sa réélection est en jeu.

Un grand coup de vent diplomatique qui disperse un gigantesque écran de fumée dans lequel trop de politologues et autres analystes médiatiques se perdent, encore.

Pacte faustien, guerre annoncée?

Dans une entrevue accordée à Democracy Now! en août dernier, l’historien palestinien Rashid Khalidi rappelait que non seulement le peuple palestinien sert une nouvelle fois de chair à canon entre Israël, les pétro-monarchies et l’Iran, mais qu’on a cherché à occulter la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie afin de mieux faire passer la pilule. Il aura fallu que Netanyahu précise, à la hâte, qu’il ne suspendait que temporairement le vol des terres palestiniennes.

Mais de manière tout aussi grave, ces « accords de paix » rajoutent quelques ustensiles à la table de ce vieux rêve de guerre contre l’Iran que ne cessent d’avoir les faucons américains et israéliens. Même chose chez les monarques saoudiens et les émirs de la péninsule arabique – j’évite autant que possible d’utiliser l’appellation « arabe » tant ces régimes trahissent et rejettent l’esprit de peuples à la culture complexe et diversifiée.

Les marchands de morts ne sont pas en reste non plus. Rashid Khalidi mentionnait que l’accord permettrait des accords militaires et ouvrirait la voie à de massives transactions d’armes. Déjà un peu plus d’un mois avant la ratification de l’accord, les entreprises israéliennes Rafael Advanced Defense Systems et Israel Aerospace Industries avaient déjà conclu un accord de coopération avec le Groupe émirati G42 pour une coopération visant notamment à développer des solutions face à la pandémie de COVID-19. De son côté, le quotidien Haaretz rappelle que le commerce d’armes reste au centre de l’accord. Le budget militaire des ÉAU s’élève à 23 milliards de dollars US par an, dont 87% vont à l’achat d’armes aux États-Unis.

Citant des sources dans l’industrie militaire israélienne, le journaliste Hagai Hamit écrit que « les Émirats sont un partenaire idéal, avec des poches profondes et un régime autoritaire qui peut rapidement approuver l’achat d’armes ».

Le site Middle East Eye évoque de son côté les liens entre G42 et DarkMatter, une firme émiratie qui fournit des services de piratage informatique visant à traquer des dissidents au régime, de même que l’implication de Rafael et IAI dans la commission de crimes de guerre contre la population civile de Gaza et de Cisjordanie.

Et selon le New York Times, l’administration Trump cherche quant à elle à profiter de l’occasion pour accélérer un projet de vente de chasseurs F-35 aux Émirats, ce qui soulève même l’inquiétude de son allié israélien.

La presse mainstream occidentale sert déjà de courroie de transmission aux agitateurs de sabre. Le 20 août dernier, CNN rapportait sans grande nuance et citant « des sources du renseignement américain » que l’Iran avait offert des récompenses à « des talibans » pour attaquer des militaires de l’occupation occidentale en Afghanistan. Un peu comme les Américains ont, depuis plus d’un siècle, sous-traité à des escadrons de la mort torture et atrocités contre des peuples qui avaient commis l’erreur de choisir l’affranchissement envers l’Empire. Le 15 septembre, Politico publiait un article à propos d’un complot iranien pour assassiner une diplomate états-unienne, citant encore une fois « deux sources du renseignement américain ».

Comme quoi des décennies de manipulation des grands médias par le pouvoir ont fini par saper l’esprit critique.

Le Canada a choisi son camp

La réponse d’Affaires mondiales Canada ne s’est pas faite attendre longtemps et fut, sans surprise, alignée sur les velléités sionistes de l’État canadien. « Le Canada se réjouit de l’annonce faite aujourd’hui par Israël, les Émirats arabes unis (ÉAU) et les États-Unis, selon laquelle Israël et les ÉAU amorceront la normalisation de leurs relations. Il s’agit d’une étape historique et positive vers la paix et la sécurité dans la région », pouvait-on lire dans un communiqué d’Affaires mondiales Canada le jour même de l’annonce de l’accord. Le 11 septembre, le ministère responsable de la diplomatie canadienne « [félicitait] Israël et Bahreïn pour l’accord conclu aujourd’hui sous l’égide des États-Unis en vue d’établir des relations diplomatiques complètes. Il s’agit d’une étape positive et importante vers le renforcement de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient”.

« Nous saluons également la décision du gouvernement israélien de suspendre l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie. En tant qu’ami et allié d’Israël, et en tant qu’ami du peuple palestinien, le Canada demeure fermement engagé en faveur d’une solution à deux États. Cette approche comprend la création d’un État palestinien coexistant avec Israël dans la paix et la sécurité, ainsi que l’instauration d’une paix globale, juste et durable », pouvait-on aussi lire dans le communiqué du 13 août.

Mais le Canada, vanté sans arrêt par les establishments politique, médiatique et académique comme champion mondial des droits humains, est-il vraiment l’ami du peuple palestinien?