Le changement climatique va stimuler les pandémies

Alexandre-Reza Kokabi (Reporterre), 30 mars 2020

 

Agents infectieux dont l’aire de nuisance s’étend, fonte du pergélisol libérant des maladies oubliées, moindres défenses immunitaires et extension de la durée des maladies du fait du réchauffement hivernal… le dérèglement climatique va multiplier les menaces pour la santé des êtres humains.

Le dérèglement climatique va-t-il provoquer des épidémies dans les années à venir ? Il entraîne déjà des bouleversements ressentis sur tous les points du globe : raréfaction des ressources en eau et des récoltes agricoles, canicules de plus en plus fréquentes, catastrophes liées aux conditions météorologiques extrêmes… Mais le changement climatique va aussi affecter la santé, en suscitant la probable émergence de nouvelles épidémies.

« L’épidémie de coronavirus révèle l’ampleur de la menace que représentent les maladies infectieuses pour nos sociétés », dit à Reporterre Emmanuel Drouet, enseignant-chercheur à l’Institut de biologie structurale de Grenoble (Isère). Or, prévient-il, « l’émergence de nouveaux agents infectieux pourrait augmenter dans les années à venir » avec l’explosion des flux de déplacements humains et commerciaux, les modifications d’usage des sols et les perturbations des écosystèmes, le tout sur fond de changement climatique, « énormément de maladies infectieuses étant étroitement liées aux températures et aux taux d’humidité ».

 « Le changement climatique devrait accroître la portée géographique des maladies infectieuses aux noms effrayants, comme Zika ou chikungunya, propagées par des vecteurs comme les tiques ou les moustiques »observe, sur Twitter, la climatologue Katharine Hayhoe, directrice du Centre des sciences du climat à la Texas Tech University. Les scientifiques occidentaux craignent en effet une recrudescence de certaines maladies infectieuses ou parasitaires, en raison de la montée progressive, vers le nord, d’insectes et d’acariens jusque-là cantonnés aux latitudes tropicales et subtropicales.

La hausse des températures globales et le déploiement des moyens de transport humains permettent la colonisation de certaines régions par les moustiques Aedes, vecteurs du chikungunya et de la dengue. Le plus célèbre d’entre eux, le « moustique-tigre » (Aedes albopictus) est en phase d’expansion planétaire. « Il est doué d’une grande capacité adaptative et s’est parfaitement acclimaté au milieu urbain, même sous les latitudes tempérées », explique Emmanuel Drouet.

Originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, le moustique-tigre a traversé les océans et est devenu l’un des agents vecteurs les plus invasifs de la planète : on le retrouve déjà dans quelque 80 pays, dont la France. « Le problème est qu’il est vecteur de nombreuses maladies, dont la fièvre jaune et la dengue, qui peuvent provoquer des complications hémorragiques », dit Emmanuel Drouet.

 

Jusqu’alors, la dengue était principalement observée dans les zones équatoriales d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y aurait chaque année 50 millions de cas de dengue, dont 500.000 cas sous une forme hémorragique. « La plupart du temps, ces formes aigües concernent des enfants, qui doivent être hospitalisés », précise Emmanuel Drouet. Avec le changement climatique, trois milliards de personnes supplémentaires pourraient être exposées au risque de transmission de la dengue d’ici les années 2080 [1].

Les cas de dengue recensés en Europe sont de plus en plus nombreux. « La France métropolitaine pourrait très bien être concernée par une épidémie majeure dans les prochaines années », prévient Emmanuel Drouet. La dengue, « c’est le danger numéro 1 pour notre santé publique dans les années à venir : les moustiques sont déjà là et ont les compétences pour transmettre la maladie », dit le chercheur pour qui une telle épidémie aurait des conséquences « dramatiques car, comme pour le Covid-19, il n’existe pas de vaccin adapté contre les quatre souches virales de la dengue et les tests sérologiques ne sont pas opérationnels ».

Dans les départements français d’outre-mer, la dengue est déjà une réalité. Une épidémie fait actuellement des ravages sur les îles françaises de La Réunion et de Mayotte, dont l’hôpital ne possède que seize lits en réanimation. « Avec le Covid-19, je crains un mauvais cocktail pour les services de réanimation là-bas », s’inquiète Emmanuel Drouet.

L’expansion des insectes vecteurs de maladies comme les moustiques s’observe dans l’espace, mais aussi dans le temps. « La hausse des températures hivernales augmente leur période d’activité et de reproduction », explique Emmanuel Drouet. Les maladies dont ils sont vecteurs pourraient ainsi être « transmises de façon quasiment continue ».

C’est également le cas pour les tiques, des acariens se nourissant de sang. Certaines tiques, les Ixodes ricinus, sont vectrices de la maladie de Lyme, qui peut entraîner de graves complications pour le système neurologique, le cœur et les articulations. « L’activité des tiques du genre Ixodes bat son plein à des températures douces, elles sont présentes plus longtemps dans l’année avec le changement climatique », explique Karine Chalvet-Monfray, épidémiologiste des maladies animales et zoonotiques.

Depuis les années 1980, les Ixodes ricinus sont présentes en plus forte densité et ont gagné des latitudes et altitudes plus élevées en Europe. En revanche, « leur prévalence diminue dans les zones plus chaudes et plus sèches, comme le pourtour méditerranéen », poursuit Karine Chalvet-Monfray.

Une autre tique originaire de zones plus chaudes, Hyalomma marginatum, est arrivée dans le sud de la France jusqu’à la vallée du Rhône. L’augmentation de l’aire de cette espèce préoccupe les épidémiologistes car elle peut transmettre la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Cette maladie, dont le taux de létalité peut atteindre 40 %, n’est jamais apparue en France mais, pour Karine Chalvet-Monfray, « dans un contexte de changement climatique, c’est la candidate idéale, il faut la prendre très au sérieux ».

Autre effet du réchauffement climatique : dans les régions arctiques, le pergélisol — le sol gelé en permanence pendant au moins deux ans — se dégèle. D’après le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur les océans et la cryosphère, il pourrait perdre 70 % de sa surface d’ici 2100. Ce phénomène menace de libérer de puissants gaz à effet de serre, comme le méthane, mais pourrait aussi réveiller des bactéries et des virus inconnus ou oubliés.

La fonte du pergélisol fait en effet ressurgir des restes d’humains, d’animaux et de végétaux conservés depuis des centaines de milliers d’années. Les bactéries et les virus qu’ils contiennent ne sont pas toujours morts. « Froid, à l’abri de la lumière et de l’acidité : sur Terre, le pergélisol est le médium le plus adéquat à la conservation, sur de très longues périodes, du matériel vivant », explique Jean-Michel Claverie, directeur de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée. Lors de l’été 2016, un enfant de douze ans était mort de la maladie du charbon, ou fièvre charbonneuse, jamais observée depuis 1941. Bacillus anthracis, la bactérie mortelle, avait été libérée par le dégel d’un cadavre de renne vieux de 70 ans, lequel avait ré-infecté des troupeaux entiers de rennes.

Ces dernières années, des chercheurs ont découvert des virus et des bactéries enfouies dans le pergélisol de Sibérie depuis des millénaires. « Des virus comme la variole, que l’on pensait éradiqués, risquent de se réveiller avec l’exploitation des ressources minières et gazières ces régions, rendues accessibles par le changement climatique », alertent Chantal Abergel et Jean-Michel Claverie, de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée. Leur équipe de recherche était parvenue à identifier deux virus géants conservés dans le pergélisol depuis 30.000 ans. « Quelques particules virales, encore infectieuses, peuvent être suffisantes pour contaminer un hôte sensible », prévient Jean-Michel Claverie. « Si des ouvriers remuent des tonnes de pergélisol pour exploiter les ressources qu’il contient, ils risquent de faire remonter des pathogènes très anciens, poursuit Chantal Abergel, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). S’ils se retrouvaient malades, ce ne serait peut-être pas une bonne idée de les rapatrier dans les hôpitaux de Moscou, où ils pourraient provoquer une épidémie. »

 

Autre question : l’expansion actuelle du coronavirus est-il lié aux dérèglements climatiques ? La climatologue Katharine Hayhoe a tenté d’y répondre dans un thread Twitter. Première conclusion : « le changement climatique n’a pas d’incidence significative sur la propagation de la maladie ».

Elle s’est néanmoins essayée à un état de l’art des connaissances montrant comment le changement climatique peut affecter les grippes. « Avec le changement climatique, les hivers sont de plus en plus chauds, écrit-elle en citant une étude publiée en 2013 dans la revue scientifique PLOS CurrentsLes saisons grippales sont plus douces lors des hivers plus chauds. Mais une saison plus douce rend les gens plus vulnérables et moins enclins à se faire vacciner. La saison suivante peut donc commencer plus tôt et être beaucoup plus virulente. »

S’appuyant sur un article de Nexus Media News, elle note aussi que, la grippe étant saisonnière, « avec le réchauffement de la planète, la saison de la grippe pourrait bien se prolonger toute l’année, comme c’est déjà le cas sous les tropiques ». De surcroît, « cela lui donnera plus de temps pour muter en souches plus dangereuses ». Enfin, faisant référence à un article publié en 2019 dans The Scientist, elle observe aussi qu’un climat plus chaud pourrait « diminuer la réponse immunitaire » des humains, « ce qui nous rend plus vulnérables à des virus comme la grippe ».

Le rôle joué par le climat dans tous ces fléaux est complexe et n’explique pas tout. Il nourrit parfois les controverses. En 2010, une épidémie de choléra avait fait des dizaines de milliers de morts en Haïti. La communauté scientifique était alors partagée sur ses causes. Comme le montre la bactériologiste américaine Rita Cowell depuis les années 1970, le réchauffement de l’eau de mer provoque une prolifération du zooplancton favorable à l’émergence des bactéries responsables du choléra. Mais dans le cas de l’épidémie haïtienne, le médecin Renaud Piarroux, de l’hôpital La Pitié-Salpêtrière, a montré que le choléra avait été importé sur l’île par des casques bleus venus du Népal.

« Le changement climatique est, comme le nomme l’armée étasunienne, un multiplicateur de menaces, résume Katharine Hayhoe. Il nous prend ce dont nous nous soucions déjà — quoi davantage que de notre santé ? — et aggrave les menaces qui pèsent sur elle. »