Léa Tsemel, la combattante

André Lavoie, Le Devoir, 14 février 2020

Documentaire de Rachel Leah Jones, Philippe Bellaiche. L’avocate israélienne Lea Tsemel divise l’opinion publique dans son pays, parce qu’elle accepte de défendre des Palestiniens accusés d’activités terroristes. Portrait captivant d’un personnage complexe, révélateur des tensions sociopolitiques de son pays. Construction narrative habile. Approche formelle originale. Témoignages éclairants. (sortie en salle: 14 février 2020 à Cinémathèque de Montréal)

Qualifier ce documentaire d’hommage à une illustre et indécrottable perdante n’offenserait ni les cinéastes ni la principale intéressée, qui se décrit elle-même comme une losing lawyer. Il est vrai que Léa Tsemel n’a jamais emprunté le chemin le plus facile, dès la fin de ses études de droit au lendemain de la guerre des Six Jours, en 1967, celui d’une défense passionnée, sans réserve et sans limites, des Palestiniens.

Ce parti pris, fil d’Ariane de toute son existence, les cinéastes Rachel Leah Jones et Philippe Bellaïche le scrutent à la loupe dans Léa Tsemel, avocate, optant à la fois pour une approche de type biographique, de même qu’une radiographie de deux causes emblématiques de son engagement, et surtout de sa témérité lorsqu’il s’agit de Palestiniens impliqués dans des actes violents ayant causé la mort d’Israéliens. Qu’elle veuille défendre ce type de clients (déjà condamnés au tribunal de l’opinion publique) fait forcément d’elle une complice, voire une traître à la nation, baptisée aussi l’avocate du diable.

Or, cette pasionaria des droits de la personne ne cesse justement de scruter les détails, ceux des lois ou de la jurisprudence. Non pas pour gagner — ses réelles victoires se comptent sur les doigts d’une seule main, dont une en Cour suprême —, mais pour réduire une peine, éliminer des chefs d’accusation, éviter la déportation. Dans le contexte sociopolitique qui est le sien, à l’heure de la radicalisation des deux camps où plus personne ne s’écoute, sa seule présence dans les cours de justice, à la télévision, sur la place publique, constitue une anomalie pour certains, une nécessité pour d’autres.

Sa farouche détermination étonne sans cesse ses compatriotes, et rend parfois perplexes les Palestiniens, mais ceux qu’elle défend trouvent en elle une alliée indéfectible. C’est ce qu’elle démontre auprès d’Ahmad, 13 ans, un des deux assaillants d’une attaque au couteau, et d’une femme accusée d’attentat-suicide s’époumonant à clamer son innocence, deux destins dont l’issue semble dictée d’avance par un système dont Tsemel se dit partie prenante en tant qu’occupante d’un territoire qu’elle considère urgent de partager.

Le système judiciaire impose ses propres règles, dont parfois celles de la confidentialité et de l’anonymat. Jamais les deux cinéastes n’ont accès aux salles de tribunal, pratiquement toujours confinés dans les corridors, mais ce qui s’y passe relève parfois du Grand-Guignol, parfois de la tragédie grecque, ou encore de l’affrontement direct avec la meute journalistique. Les deux clients de la célèbre avocate seront à la fois présents à l’écran, mais à l’identité masquée, grâce à deux techniques : la rotoscopie et l’écran divisé. Une partie de l’image est ainsi recomposée sous forme animée, tandis que l’autre se présente en prises de vues réelles, stratagème évitant la cascade de visages embrouillés pour des raisons légales.

La caméra est toujours au plus près de cette héroïne dont on soupçonne qu’il est ardu de travailler à ses côtés, mais les séquences d’entrevues sont rares, la montrant plutôt en action, en colère, au pas de course, ou pleine d’empathie devant des familles éplorées. Qu’en est-il de la sienne ? C’est sans aucun doute l’aspect le moins spectaculaire de ce documentaire jamais avare de prises de position politiques, nettement moins fracassant lorsqu’il s’agit de son intimité.

Nissan, son fils, s’exprime peu sur cette mère aussi connue, et aussi détestée, mais ses silences embarrassés en disent long. Sa sœur cadette Talila reconnaît la lourdeur de l’héritage, avouant que le courage lui manque pour lui ressembler, un constat que partage Michel Warschawski, leur père, conjoint de Léa, et son client à une certaine époque. Lorsqu’il fut pris dans les filets des services secrets israéliens, cette crise mettra leur couple à dure épreuve, l’avocate n’ayant guère le temps et l’envie de jouer à l’épouse éplorée. Le quasi-mutisme de Léa Tsemel sur cet épisode témoigne de sa force de caractère, mais aussi de son intransigeance. Aujourd’hui comme hier, ses ennemis n’ont qu’à bien se tenir.

À la cinémathèque

vendredi 14 février, 18 h 30

samedi 15 février, 17 h

dimanche 16 février, 17 h 30

lundi 17 février, 16 h

mardi 18 février, 15 h

mercredi 19 février, 18 h

jeudi 20 février, 19 h