Lénine à La Paz

Alvaro Garcia Linera est vice-président de la Bolivie. Le texte est extrait d’une présentation faite le 6 mai 2016 au Ministère du Travail de Bolivie. Traduit de l’espagnol par Yves Laneuville.

Alvaro Garcia Linera

Dans la vision de Marx dont s’inspire Lénine, l’État est le produit des contradictions de classe. L’État n’est pas « au-dessus » de la société, il n’est pas autonome. L’État n’est pas « au-dessus » de la société, mais il doit feindre de l’être, comme s’il parlait au nom du général, de l’universel. L’État est « réel ». Il a des structures, il produit des idées, il mène des forces armées et de police, des tribunaux, une administration publique.

L’État n’est pas seulement un fait purement virtuel, il a une structure réelle. L’État est l’instrument d’une classe, en l’occurrence celle qui est la plus forte. En dernière instance, l’État exerce le pouvoir par le monopole de la coercition. Certes, l’État est aussi un projet, une organisation, une culture. L’État repose sur des principes, des schèmes mentaux, mais en dernier recours, le facteur dominant, c’est la coercition. L’État, c’est la capacité de dominer, d’imposer un critère par l’usage monopolistique de la force.

La guerre

Il faut donc prendre le pouvoir de l’État. Mais attention ! Le travail ne s’arrête pas là. Non seulement il faut s’emparer de la machine de l’État, mais il faut en reconstruire une autre. Il y a les pistes identifiées par Marx, qui ressortent de La guerre civile en France : suppression de l’armée régulière, élection des fonctionnaires avec la possibilité de les révoquer, imposition de salaires ouvriers pour tout le monde, fusion du pouvoir législatif avec le pouvoir exécutif. Lénine, il explique que la révolution doit aller dans ce sens. Mais ce n’est pas cela qui se passe. En effet, la réalité rattrape le rêve. Des armées de sept pays envahissent la Russie. Trotski met sa fameuse veste de cuir et embarque dans son train blindé pour reconstruire une armée disciplinée. Il recrute les anciens commandants de l’armée tsariste, qu’il fait « surveiller » par des commissaires rouges. Certes, il y a les soviets armés. Mais à eux seuls estime Lénine, on ne peut résister à vaincre l’armée contre-révolutionnaire. Parallèlement, le pouvoir soviétique met en place le « communisme de guerre ». Tous les excédents alimentaires sont réquisitionnés par l’État. On supprime le commerce agricole. L’État étatise les syndicats. Mais rapidement en 1918, la production chute dramatiquement sous le seuil de 1900. La famine tue des millions de personnes. C’est une débandade catastrophique.

L’autocritique

Alors devant cela, Lénine fait son autocritique : nous avons manqué notre coup en voulant implanter les principes socialistes de production et distribution de façon trop directe. Nous réalisons maintenant que nous devons y aller graduellement en faisant des détours au besoin. Lénine frappe fort. Ce n’est pas du socialisme que de nationaliser la banque, les industries, le commerce extérieur, de fixer un salaire uniforme. Les usines, sans les spécialistes, cessent de fonctionner. En fin de compte, on s’aperçoit qu’on ne peut pas décréter l’abolition de l’État si facilement. L’État moderne, explique Lénine, c’est un système intimement imbriqué avec les banques et les entreprises. C’est un système qui effectue un travail de programmation et de contrôle, et qui ne peut pas être détruit. Dis autrement, l’abolition de l’État ne peut se faire par décret. La lutte pour arriver à son extinction sera étalée sur plusieurs générations, affirme Lénine.

Le chemin est sinueux

Quelque temps avant sa mort, Lénine modifie encore une fois ses perspectives. Tout en continuant d’accepter comme un mal nécessaire l’expansion du capitalisme d’État, il préconise un certain tassement de l’activité de l’État au profit des coopératives : Plus que le capitalisme d’État, le portique du socialisme est la coopération, le travail associé, le travail coopératif. Il admet qu’il s’agit d’un changement radical dans la façon de voir le socialisme. Ce travail coopératif doit être mis de l’avant par la société elle-même, par l’action volontaire des ouvriers et des paysans. L’État peut aider à ce que la communauté progresse, mais ce n’est pas l’État qui crée la communauté.

Dans le processus de transformation en Amérique latine, la clé des processus progressifs, c’est l’économie. Il faut assurer le développement économique ; créer les bases matérielles du développement technologique : garantir que le commandement et le pouvoir soient aux mains des secteurs révolutionnaires, ouvriers, paysans et avancer dans le processus de socialisation de la production. C’est tout un défi ! Pour y arriver, il faut se sortir d’une conception étatisante du socialisme. L’étatisation, ce n’est pas du socialisme. Ça aide à centraliser, à améliorer la distribution de la richesse, mais ce n’est pas du socialisme. Le socialisme, c’est l’action associative, communautaire, pour les travailleurs et les travailleuses de la production, du commerce, du transport, de l’agriculture. L’État peut ouvrir le chemin, améliorer, appuyer, mais il ne crée pas la communauté.

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