Les conséquences du coup d’État espagnol

Josep Maria Antentas est membre du comité de rédaction de la revue Viento Sur et professeur de sociologie à l’Universitat Autònoma de Barcelona. Son texte complet est sur le site de Contretemps : https://www.contretemps.eu/catalogne-coup-detat/

Actuellement, le pouvoir viole ses propres normes en recourant à la force et en créant une situation d’exception. Il actionne les valves de sécurité dont il dispose pour se protéger dans les moments difficiles et changer les règles du jeu, en arguant de la légitimité des anciennes règles et en prétendant les défendre. Dans un climat d’exception sont mises en œuvre des mesures qui en elles-mêmes supposent la subversion de l’ordre existant, mais en s’en réclamant et en s’en légitimant. Il s’agit de manœuvrer pour contrer la dynamique politique et sociale catalane et rétablir une nouvelle normalité aux contours plus favorables. Tout cela, loin d’être une anomalie étrange, est une illustration claire de la nature de la Loi et de l’État capitaliste en général (et du régime politique espagnol de 1978 en particulier) qui raye d’un trait de plume les visions fétichistes et simplistes de la loi, de la légalité et des instituions qui ont suscité une telle adhésion en ces temps de normalité routinière.

L’impasse des « socialistes »

La nouvelle équipe de Sánchez, le chef récemment intronisé du PSOE, n’a jamais eu de projet conséquent de rupture avec le social-libéralisme, même s’il bénéficiait d’une autonomie relative vis-à-vis du pouvoir économique et médiatique et de l’appareil d’État. Le PSOE s’est enchaîné à un bloc réactionnaire en tant qu’allié subalterne, sans pouvoir en rien le contrôler. Sánchez s’est probablement libéré de la pression médiatique et financière qu’il aurait subie à la moindre tergiversation, mais ce répit à court terme peut se changer en un problème à plus long terme. Vouloir rivaliser avec la droite en matière de politique autoritaire ne l’est pas davantage.

La solitude démocratique de Podemos

Même si elle souffre de limitations et n’est pas exempte d’erreurs (en particulier la tiédeur affichée avant le 1er octobre), la politique de Podemos représente quoi qu’il en soit une exception démocratique aussi digne que remarquable. La dynamique interne de ce parti met cependant en évidence un fait qui mérite d’être relevé : ses structures intermédiaires, régionales et locales (à l’exception de sa direction catalane) semblent avoir moins bien résisté à la pression régnante et s’être davantage adaptées à l’espagnolisme dominant, que le noyau central de direction, avec Pablo Iglesias à sa tête. Les militants et les cadres intermédiaires n’ont pas bénéficié d’une formation politique sur la question nationale et sur son rapport à la crise du régime, si ce n’est quelques proclamations génériques en faveur d’un État plurinational, très abstraites et sans aucune insertion dans la tradition historique et théorique. Alors que la tension montait et que se précipitait la crise catalane, de nombreux dirigeants intermédiaires et militants de base du parti se sont trouvés désarmés et politiquement confrontés à des difficultés à suivre la ligne ou la défendre activement en public. La politique électorale communicationnelle, pourtant défendue courageusement par la direction, se bute par sa superficialité sur les complexités de la politique réelle.

L’attaque contre les institutions catalanes annoncée par Rajoy constitue indiscutablement une escalade répressive sans précédent. Si l’État espagnol en sort victorieux, cela aura des implications sur le modèle politique de l’ensemble de l’État espagnol et, de façon plus indirecte, des autres pays européens. Sa victoire élargirait alors le champ du possible pour le pouvoir, de ce qui est officiellement tolérable dans le contexte européen, de ce qui est réalisable dans des circonstances extrêmes. Cela ouvrirait le chemin à un nouveau tour d’écrou autoritaire à l’avenir et faciliterait davantage l’implosion des mécanismes démocratiques institutionnels qui voleraient en éclats à l’échelle continentale, en particulier à la périphérie méditerranéenne. Si l’Octobre catalan se résout par la voix de l’autorité et la répression, d’autres crises politiques, quelle qu’en soit la nature, seront traitées de la même façon.

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