Les migrants saisonniers au Québec : exploitation et prédation

Mostafa Henaway et Amélie Nguyen

Malgré leur fonction essentielle pour les communautés, pour l’économie et pour la souveraineté alimentaire, les travailleuses et travailleurs migrants temporaires subissent une discrimination systémique qui mène trop souvent à des violations importantes de leurs droits. Dans le système capitaliste global, le travail migrant représente en quelque sorte une manière de maintenir des conditions de travail moindres que celles des travailleurs locaux, au bénéfice des entreprises québécoises.

La principale cause : leur statut migratoire, et notamment le fait que leur permis de travail soit fermé, c’est-à-dire lié à un seul employeur, et qu’ils ou elles doivent trouver un nouvel employeur avant de quitter le premier. Sans mobilité en emploi, ces travailleuses et travailleurs sont placés dans une relation de pouvoir où ils et elles acceptent un degré important de contrôle de leur employeur sur leur vie. Ces personnes ont aussi de la difficulté à revendiquer leurs droits, faute de les connaître, vu leur méconnaissance de la langue, mais surtout, parce que leur employeur est garant de leur capacité à continuer à travailler au Québec. La menace de déportation plane sur elles au moindre écart ou si elles ne font plus l’affaire pour leurs employeurs.

Cette relation inégale survient dans un contexte où, en vertu de sa nouvelle politique migratoire, le gouvernement québécois a réduit le nombre de migrant·e·s permanent·e·s pour augmenter celui des migrant·e·s temporaires.

L’État fait de plus en plus une distinction entre de «bons migrant·e·s» qualifiés qui auront accès à la résidence permanente et de «mauvais migrant·e·s» non qualifiés, une main-d’œuvre exploitable à merci, qui n’aura pas accès à l’ensemble de ses droits.

Le travail difficile des TMT est pourtant essentiel à l’agriculture québécoise, mais aussi, plus largement, au bon fonctionnement de l’économie. Ces violations de droits ne sont donc pas à prendre à la légère, puisqu’elles représentent une précarisation plus générale du travail et s’insèrent dans des dynamiques coloniales historiques entre le «Nord global» et le «Sud global».

Parmi les violations de droits observées, la confiscation du passeport et le paiement de frais exorbitants aux agences de recrutement pèsent sur la capacité des TMT de quitter leur emploi. Par exemple, au Guatemala, il est courant que les recruteurs demandent entre 4000 $ et 10000 $ en frais aux familles de TMT restées au pays, sous menace de violence en cas de non-paiement. On observe également de grandes inégalités de salaire au sein du secteur agricole du Québec. Contrairement aux autres cueilleurs, les migrant·e·s sont souvent payés au rendement, par exemple pour la cueillette de fraises, à 99 sous le kilo, ce qui rend difficile l’atteinte du salaire minimum.

Selon les résultats d’une récente enquête présentée dans Le Devoir, les TMT risquaient deux fois plus d’avoir un accident  ou de décéder au travail. Cela équivalait à «un ratio de 6,5 blessures pour 1000 travailleurs (6 pour les décès), alors que la moyenne pour tous les travailleurs est de 2,6 par 1000 (2 pour les décès)». Il est pourtant rare que les TMT portent plainte, car ils n’ont souvent pas accès à l’information de base dans leur langue, ou par crainte de représailles ou d’être déporté·e·s.

Le système discriminatoire des permis fermés mine aussi l’accès des TMT à l’assurance emploi et aux pensions de vieillesse, bien qu’ils y cotisent. Comme ces derniers n’ont pas le droit de trouver un nouvel emploi à la fin de leur permis de travail, le gouvernement québécois considère qu’ils ne peuvent être à la recherche d’un emploi, ce qui bloque de facto leur accès à l’assurance emploi. C’est aussi le cas pour la pension de vieillesse, à laquelle on leur refuse souvent accès comme travailleurs temporaires. En 2014, la Loi 8 a été adoptée, restreignant de façon ordinaire et continue la syndicalisation dans le secteur agricole aux exploitations comptant plus de 3 salarié·e·s, soit une violation évidente de leur droit d’association.

Le Centre des travailleurs immigrants (CTI) appuie en ce moment 16 travailleurs guatémaltèques qui avaient quitté leur emploi comme attrapeurs de poulets en raison de faibles salaires, inférieurs au salaire minimum, et de mauvaises conditions de travail. Ils ont ensuite été recrutés par une agence de placement qui a omis de faire la  demande de nouveaux permis de travail, les plaçant dans l’illégalité. Ils ont alors été arrêtés lors d’un raid et risquent la déportation depuis 2016. Encore une fois, ce sont les travailleurs qui ont été victimes et non l’agence de recrutement, contre laquelle le gouvernement aurait dû agir.

Les TMT au Québec et au Canada s’organisent depuis des années pour obtenir les mêmes droits que les autres travailleuses et travailleurs, ce qui a récemment engendré des changements à la loi fédérale et à la loi du Québec. Au niveau fédéral, le règlement 50 devrait permettre aux personnes qui sont dans une situation de crise auprès de leur employeur d’ouvrir leur permis de travail, c’est-à-dire de mettre fin à ce lien d’emploi sans pour autant perdre leur permis. Le projet de loi 176 a modifié les Normes du travail du Québec en forçant les recruteurs à s’enregistrer auprès de la CNESST pour obtenir le permis nécessaire à faire venir des TMT. Les employeurs et les recruteurs doivent informer la CNESST de la date d’arrivée de la travailleuse ou du travailleur et de son lieu de travail.

Comment être solidaire de ces travailleuses et travailleurs?

D’abord, en s’assurant que leur voix soit entendue, notamment en appuyant les organisations qui leur viennent directement en aide avec très peu de moyens, comme le Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ) et le CTI. En luttant avec elles et eux pour garantir l’accès à leurs droits. Par exemple, l’Association des travailleuses et travailleurs migrants du Québec (ATTMQ) a été créée par le CTI en 2013 en appui à la mobilisation de ces derniers pour l’abolition du permis de travail fermé et en faveur de l’accès à la résidence permanente. Aujourd’hui, cela peut aussi signifier d’appuyer la campagne des travailleuses domestiques québécoises qui dénoncent le projet de loi 9 du gouvernement Legault. En suspendant 18000 dossiers d’immigration, celui-ci a changé les règles du jeu en leur retirant l’accès à la résidence permanente promise et pour laquelle elles ont fait tant de sacrifices. Dans une perspective plus globale, on peut également lutter contre le travail forcé à l’échelle planétaire, par exemple en demandant aux distributeurs alimentaires québécois de lutter contre les pires formes d’exploitation dans le monde, qui affectent souvent des travailleuses et travailleurs migrants.