Liban : renaissance du Parti communiste libanais

Jad Kabbanji, janvier 2021

 

Un an est passé depuis le soulèvement du 17 octobre 2019 au Liban, un événement historique qui a durablement marqué le pays. Si on assiste à un certain essoufflement de la rue, depuis quelques mois, l’éveil collectif est indéniable. Il s’agit d’une prise de consciences des limites du système socio-économico-politique dont les racines remontent à la fin du XIXe siècle. Ce système se caractérise par un confessionnalisme politique qui protège un système économique néo-libéral. La crise économique qui frappe le pays depuis plusieurs mois a accéléré le dysfonctionnement de ce système. Le soulèvement d’octobre 2019 a montré l’existence de forces progressistes au Liban parmi lesquelles le Parti communiste libanais occupe une place de premier plan. Quel est le rôle et quels sont les défis que rencontre le PCL depuis le 17 octobre ?

PCL: une histoire mouvementée

L’État libanais se caractérise depuis le début de sa fondation contemporaine à la fin du XIXe siècle par son libéralisme économique. La Moutassarifat du Mont-Liban qui voit le jour en 1861 suite à l’intervention française se distingue par son ouverture vers l’extérieur. Les dirigeants des différentes confessions du pays sont soumis aux puissances étrangères qui, pour leurs parts, fournissent leur protection en échange de la vassalité des élites confessionnelles. Ce système colonial puis néocolonial à partir de l’indépendance officielle du Liban en 1943 se perpétue. Seuls les puissances mandataires et les dirigeants confessionnels changent selon le rapport de force local et international.

La gauche au Liban a été partie prenante de toutes les luttes émancipatrices du XXe siècle. Ainsi, le PCL qui est né en 1924 durant la période du mandat français (1920-1943) fut à l’avant-garde du combat pour l’indépendance nationale. Une fois l’indépendance obtenue, il fut parmi les plus farouches opposants au libéralisme économique en menant une campagne soutenue grâce à son influence dans les syndicats. Ainsi, il lutte pour la sécurité sociale et pour que l’État joue un plus grand rôle dans le développement économique du pays. Dans les années 1960 et 1970, la gauche fut l’alliée par excellence du mouvement national palestinien alors en pleine effervescence. De même, après le départ des combattants palestiniens en 1982, elle fut à l’origine de la résistance nationale contre l’occupation israélienne. Dès lors, durant les années 1980, le Lebanese National Resistance Front, une alliance créée par la gauche pour lutter contre l’occupation israélienne fut à l’origine de la libération de la majeure partie du territoire national.

Les attaques contre la gauche dont l’assassinat ciblé de plusieurs dirigeants et militants du PCL débutent à la même époque, c’est-à-dire à partir des années 1980, et coïncident avec l’affaiblissement du mouvement ouvrier international et l’effervescence de l’islam politique dans la région. Alors que la guerre civile prend fin en 1990, la gauche se retrouve marginalisée dans un contexte mondial d’éclatement du bloc de l’Est. C’est justement au début des années 1990 que les réformes néo-libérales sont mises en place et que tous les partis politiques confessionnels vont participer au pillage du pays.

La place du Parti dans le soulèvement du 17 octobre 2019

Quand éclate le soulèvement du 17 octobre, ce sont ces élites et ces partis confessionnels qui sont pointés du doigt par une population exacerbée par 30 ans de corruption et de politiques néo-libérales. Alors que le pays vit une crise économique structurelle, les revendications concernent avant tout les besoins de base jamais satisfaits par cet État néo-libéral : accès à l’électricité 24 heures sur 24, à une assurance maladie universelle, à une éducation publique de qualité, etc. S’ajoute une revendication politique révolutionnaire pour le Liban : la mise en place d’un État déconfessionnalisé, c’est-à-dire la séparation de la religion et de l’État. Ces revendications qui font partie du programme depuis des dizaines d’années du Parti communiste sont finalement reprises par une partie grandissante de la population, rappelant le rôle d’avant-garde que ce dernier a joué.

Par ailleurs, le rôle du Parti depuis le début du 17 octobre est central. Il s’agit sans aucun doute de la force organisée la plus importante au sein du soulèvement. De par sa dimension multiconfessionnelle, le parti est présent sur tout le territoire national. Ainsi, le Parti est présent dans la grande majorité des places fortes, que ce soit à Beyrouth ou dans les régions. C’est un avantage certain, alors que ce soulèvement est avant tout un soulèvement patriotique, d’unité nationale contre les oligarchies confessionnelles corrompues. En effet, la tendance du parti était de créer des places permanentes dans les régions, d’organiser des comités de terrain issus des soulèvements et de créer un réseau entre les principaux camarades présents sur les places. Le Parti a donc privilégié l’organisation de terrain dans les places sans se limiter à des déclarations émises par des organes centraux.

En outre, c’est la jeunesse libanaise qui est au cœur du mouvement du 17 octobre. Et, le Parti est très bien implanté dans cette frange de la population à travers son organisation de jeunesse qui a joué un rôle pionnier à plusieurs moments du soulèvement. Elle fut à l’origine des occupations de banques, de l’occupation du siège de la Confédération Général du Travail Libanaise[1] et des luttes au sein des campus de la plus importante université au Liban, l’Université libanaise.  Des figures emblématiques de jeunes étudiants charismatiques maitrisant l’art de la rhétorique ont donc émergé dans la rue et sur les réseaux sociaux rendant plus accessibles et plus populaires les idées du Parti.

En somme, le parti a su depuis le début se fondre dans les masses sans vouloir s’imposer comme force hégémonique et sans vision paternaliste. Il a su en temps et lieu faire face aux différentes milices confessionnelles venues intimider les manifestants autant à Beyrouth que dans les régions, ce qui a augmenté davantage sa légitimité aux yeux des Libanais.

De l’union de la rue à la réappropriation de la CGTL

Depuis plusieurs mois, le soulèvement connait une baisse d’intensité. Si la pandémie et l’amplification de la crise notamment suite à l’explosion du 4 août 2020 représentent un frein aux rassemblements populaires, le manque de perspectives d’avenir explique également cette situation. L’effervescence des premiers mois n’est plus et les groupes d’activistes indépendants qui formaient un autre noyau dur de ce soulèvement ont de plus en plus de difficulté à mobiliser. La fatigue, le désespoir et les luttes intestines ont fini par gagner une bonne partie de ces groupes d’activistes.

Ce soulèvement se caractérise par l’absence d’un représentant qui parle en son nom, ce qui est à la fois une force et une faiblesse. Si cette forme de décentralisation a réussi à rassembler le plus grand nombre de mécontents du système libanais sans distinction politique, elle s’avère une faiblesse sur le moyen et long terme, puisqu’il n’y a pas un programme officiel auquel s’identifie le soulèvement.

Justement, depuis plusieurs mois, la gauche et le Parti travaillent au rassemblement des différentes composantes réunies autour de quelques idées phares : justice sociale, déconfessionnalisation du régime, indépendance de la justice, égalité des sexes, etc. Plusieurs initiatives sont en cours à l’exemple de Drabzeen et de l’Alliance sociale (Al ta7alouf al ijtima3i) qui rassemblent des dizaines de groupes d’activistes indépendants, des syndicats indépendants des partis de pouvoirs et de partis politiques non confessionnels, dont le PCL. Il est à noter que la CGTL est absente depuis le début du soulèvement et ne participe à aucune initiative de ce genre.

Cette confédération était pourtant jusqu’à la fin des années 1990 un des fers de lance de la contestation populaire et représentait un contrepoids de taille au pouvoir néo-libéral qui se mettait en place à l’époque. En 1997, justement pour contrer cette menace, le pouvoir, dans toutes ses composantes, va mener un coup de force contre ce syndicat et placer ses hommes de main aux postes clés. Alors que la gauche et le Parti étaient présents au sein des instances dirigeantes de cette confédération, depuis cette date, ils en sont exclus.

Or, comment un soulèvement peut-il aboutir à une révolution sans la participation active des forces syndicales représentées au sein de la confédération ? Aujourd’hui, il est plus important que jamais que la gauche se réapproprie ses outils de luttes, à commencer par la CGTL.

Les soulèvements régionaux et la menace de l’impérialisme états-unien

On ne peut pas parler du soulèvement au Liban sans évoquer la géopolitique régionale et internationale. Dernièrement, l’actualité régionale est marquée par l’annonce de la signature de plusieurs accords de paix entre Israël et certains pays arabes.

Au Liban, depuis plusieurs semaines se déroulent des négociations sur le tracé des frontières entre l’État libanais et l’État d’Israël sous supervision américaine. Le PCL était l’un des seuls partis à s’être opposé à ces pourparlers en organisant des manifestations à la frontière. Alors que les États-Unis sont plus affaiblis que jamais par la crise économique mondiale, ils tentent par ces accords de perpétuer leur domination sur cette région du monde et de faire face aux soulèvements populaires qui se déroulent simultanément dans plusieurs pays de la région.

La principale nouveauté de cette nouvelle vague de soulèvement est la présence des forces progressistes et l’affaiblissement de l’islam politique qui est sortie vainqueur une décennie plus tôt de ce qu’on a appelé communément le printemps arabe. L’aboutissement de ces différents soulèvements passe entre autres par une solidarité entre leurs forces progressistes pour contrecarrer les plans de l’impérialisme états-uniens et de ses alliés régionaux.

[1] Principale confédération syndicale à la solde des partis confessionnels.