Mexique : la victoire d’AMLO est possible

Thomas Cantaloube, Médiapart, 24 juin 2018

Candidat pour la troisième fois, Andrés Manuel López Obrador est bien parti pour devenir le nouveau président mexicain le 1er juillet. Même s’il a adopté des positions plus centristes qu’auparavant, il entend néanmoins changer la façon de gouverner le pays.

La troisième fois s’annonce comme la bonne pour Andrés Manuel López Obrador. Après deux candidatures infructueuses en 2006 et 2012, le perpétuel espoir de la gauche mexicaine semble bien placé pour remporter l’élection présidentielle du 1er juillet 2018. AMLO, comme il est surnommé, a certes mis un peu d’eau dans sa tequila en matière de propositions politiques, mais son discours rencontre désormais les aspirations des Mexicains lassés d’un système gangrené par la corruption et la violence, qu’aucun président ne parvient à ou n’essaye d’enrayer.

López Obrador met régulièrement en avant ses trois vertus lors de ses meetings électoraux : « Je ne mens jamais, je ne vole jamais, je ne trahis jamais. » Cela ressemble à un cliché de campagne, mais l’homme de 64 ans n’a jamais été pris la main dans la valise à billets, ce qui est rare au Mexique, et il a toujours affiché clairement ses idées progressistes, même s’il s’est beaucoup rapproché du centre durant ces dernières semaines, ce qui lui a permis de maintenir une avance confortable d’une quinzaine de points dans les sondages (le scrutin présidentiel mexicain n’a qu’un seul tour : celui qui arrive en tête est élu, même s’il ne dépasse pas 50 % des suffrages).

AMLO n’hésite pas à se promener dans les rues et à laisser les électeurs s’approcher et discuter avec lui. Il habite toujours une vieille maison à la périphérie de Mexico et se rendait au travail dans une voiture japonaise ordinaire à l’époque où il était maire de la capitale. Il a promis qu’en cas de victoire, il n’occuperait pas le palais présidentiel et revendrait (« à Donald Trump » !) la flotte d’avions et d’hélicoptères du chef de l’État. Il s’en prend aussi régulièrement à « la mafia du pouvoir », ce mélange incestueux de responsables politiques et de businessmen qui gouvernent le pays depuis plusieurs décennies.

Ces déclarations ont conduit la plupart de ses adversaires et nombre d’observateurs a lui coller l’étiquette de « populiste », voire de « Trump mexicain ». En 2006, alors qu’il avait dirigé la mairie de Mexico pendant cinq années avec un certain succès et un franc appui populaire (il a terminé son mandat avec un taux d’approbation de 80 %), l’historien mexicain Enrique Krauze l’avait qualifié de « messie tropical ». À l’époque, Chavez dirigeait le Venezuela, Lula le Brésil, Morales la Bolivie, Néstor Kirchner l’Argentine et Fidel Castro Cuba. Même s’il s’en défendait, Obrador avait donc été associé à cette vague de gauche sud-américaine qui effrayait beaucoup les bourgeoisies locales et les États-Unis.

Aujourd’hui, il n’y a plus grand monde dans les Amériques pour se réclamer du chavisme ou du castrisme, et les autres expériences de gauche se sont avérées bien moins révolutionnaires que leurs détracteurs ne l’annonçaient. « Même si Obrador a toujours revendiqué son ancrage à gauche et qu’il manie régulièrement la rhétorique des ouvriers et paysans contre les patrons, il est au fond beaucoup plus proche de quelqu’un comme Lula que d’un gauchiste dogmatique, estime un ancien ambassadeur européen en poste au Mexique dans les années 2000. Il est parfaitement capable de passer des compromis avec la droite ou les milieux d’affaires pour pouvoir mener à bien certaines politiques sociales qui lui tiennent à cœur. »

Ainsi, lorsqu’il était maire de Mexico, il avait établi un système d’assurance-retraite et entrepris de construire des infrastructures pour désengorger la ville. Dans le même temps, il avait passé un accord avec le milliardaire Carlos Slim, un des hommes les plus riches au monde, pour rénover le centre-ville de la capitale en mélangeant investissements publics et privés. Il a adopté le même type de pragmatisme durant l’actuelle campagne présidentielle. Alors qu’il y a quelques mois, il annonçait vouloir annuler la construction d’un nouvel aéroport à Mexico (« un projet source d’une corruption immense », selon lui), il défend désormais le seul investissement privé dans ce projet.

Il est également revenu en arrière sur sa volonté de démanteler l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA), estimant désormais qu’il faut simplement le réviser. Il maintient sa volonté de revenir en arrière sur l’ouverture aux investissements étrangers dans l’industrie pétrolière, mais il a assuré qu’il ne renationaliserait pas et qu’il ne spolierait pas non plus les actionnaires extérieurs. Quant aux personnes qui l’entourent durant sa campagne et qui risquent de faire partie de son gouvernement, elles possèdent un profil « très internationalisé », comme le souligne la chercheuse Hélène Combes, qui ajoute : « Il a choisi de s’entourer de gens très reconnus pour leur expertise. Plusieurs ont travaillé pour le FMI ou pour des organismes régionaux. Ils ont donc des profils très sociaux-démocrates. »

Malgré ce « recentrage », Andrés Manuel López Obrador représente une réelle alternative. Après 70 ans de domination sans partage du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), quasi-parti unique attrape-tout, le Mexique a connu un basculement en 2000 avec l’élection de Vicente Fox, un businessman conservateur issu du PAN (Parti action nationale). Lui ont ensuite succédé Felipe Calderón (PAN), puis Enrique Peña Nieto (PRI), permettant au Mexique de véritablement entrer dans une ère démocratique. Mais, malgré cela, le pays reste prisonnier de deux maux principaux : la corruption et le narcotrafic.

Le PRI comme le PAN sont remplis d’élus locaux corrompus, dont les dérives font régulièrement la une de la presse, sans que rien ne change pour autant. Peña Nieto, censé représenter une nouvelle génération et qui avait promis d’endiguer la corruption au sein de son parti et de l’État, a lui aussi été rattrapé par les affaires. Surtout, il n’a pas permis au Mexique, deuxième puissance économique sud-américaine derrière le Brésil, de réduire la pauvreté (la moitié des Mexicains vivent en dessous du seuil de pauvreté) ni de dynamiser une économie languissante.

De surcroît, la politique de « guerre contre la drogue » qui dure depuis une vingtaine d’années et est encouragée par les États-Unis n’a produit qu’une hausse dramatique de la violence. Il y a eu près de 30 000 assassinats et 34 000 disparitions en 2017, un record depuis que ces statistiques existent au Mexique. Les principales victimes en sont les citoyens ordinaires et tous ceux qui osent dénoncer les narcos et leurs connivences politiques.

Face à cette situation, López Obrador a le courage de se démarquer de ces prédécesseurs, qui n’ont su jouer que la carte répressive et sécuritaire. AMLO laisse entendre qu’il pourrait légaliser certaines drogues et accorder l’amnistie aux petits trafiquants. « Ce qui était autrefois un anathème devient désormais audible, puisque tout le reste a échoué, remarque l’ancien ambassadeur. Le discours d’AMLO en matière de lutte contre le trafic de drogue, mais aussi en matière de redistribution et de politiques sociales, entre en résonance avec la population mexicaine, qui en a ras-le-bol des dirigeants qui appliquent toujours les mêmes recettes, sans succès. »

Lors du débat présidentiel du 20 mai, face à ses quatre autres adversaires, Obrador a eu beau jeu de se moquer d’eux : « Les stratégies des gouvernements du PRI et du PAN ont échoué. Il ne devrait plus y avoir de voleurs dans ce pays. Et je ne parle pas seulement de ceux dans la rue. Les voleurs qui font le plus de dégâts sont ceux en col blanc, les politiciens corrompus. Ils sont la pire maladie de ce pays ! » Ce genre de sortie hérisse le poil des élites politico-financières mexicaines, mais il fait un tabac auprès de la population.

Il souligne également la position curieuse occupée par López Obrador sur l’échiquier politique mexicain. Membre du PRI au début de sa carrière, il le quitte pour rejoindre le Parti de la révolution démocratique (PRD), qui se positionne à gauche, puis, en 2012, il crée sa propre formation, le Mouvement de régénération nationale (MORENA). Ce parcours témoigne de son ambition farouche d’accéder à la présidence, quitte à sortir du cadre des partis traditionnels.

En 2006, alors qu’il arrive second avec 0,5 % de moins que Calderón, il refuse d’accepter sa défaite, s’estime victime de fraudes et entreprend d’occuper pendant un mois et demi la plus grande place et l’artère principale de Mexico. Il organise même une cérémonie d’inauguration factice. Cette obstination divisera ses supporters et nourrira sa réputation de politicien ayant peu de respect pour le processus démocratique.

Aujourd’hui, c’est un autre grand écart qui interpelle la gauche mexicaine. Si AMLO promet bien des politiques sociales à destination des pauvres, une augmentation des retraites et des bourses pour les étudiants, il a également passé une alliance électorale avec un petit parti évangéliste, marqué à droite, opposé au mariage homosexuel et à l’avortement. Pour Hélène Combes, « Obrador incarne une gauche très conventionnelle, de type nationaliste, qui insiste sur le rôle de l’État dans l’économie. Les questions sociétales ne sont pas le cœur de ses préoccupations. » Dans un pays très catholique, ce n’est pas nécessairement un handicap pour le candidat, mais cela l’éloigne quelque peu d’une partie de la gauche mexicaine, qui aimerait se débarrasser de tous les conservatismes, sociétaux comme politiques ou économiques, du pays.

Aujourd’hui, à moins d’un renversement spectaculaire de l’opinion, Andrés Manuel López Obrador est bien parti pour s’installer à la présidence. Il le dit lui-même : « Le riz est cuit. » Néanmoins, une fois élu, sa tâche risque de s’annoncer fort difficile. Il sera l’un des rares gouvernements de gauche en Amérique latine, alors qu’il y en avait une majorité il y a moins de dix ans, et ne pourra donc pas compter sur la solidarité de ses voisins. Surtout, il aura affaire à Donald Trump aux États-Unis, dont les décisions politiques, qu’elles soient migratoires ou commerciales, se font principalement au détriment du Mexique.

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