Mexique : quelle démocratie ?

 

Eduardo Nava Hernández, Rebelion, 22 novembre 2018

 

En 1965, le sociologue Pablo González Casanova publia un petit volume qui allait devenir un classique des études politiques mexicaines. Dans De la démocratie au Mexique, l’universitaire a procédé à une dissection du système politique de notre pays qui, malgré tout ce qui s’est passé au cours des 53 dernières années, conserve une grande validité. Dans une partie de son analyse, González Casanova, démantèle les prétendus facteurs du pouvoir qui, au-delà des postulats constitutionnels et des structures formelles, ont la capacité d’imposer leurs intérêts particuliers.

Pour l’auteur, dans un Mexique plus rural qu’aujourd’hui, ces facteurs de pouvoir étaient: a) les caudillos et les caciques régionaux et locaux; b) l’armée; c) le clergé; et d) les grands propriétaires terriens et les entrepreneurs nationaux et étrangers. Si quelque chose doit être modifié dans ce schéma d’exposition, c’est la quasi-disparition des propriétaires fonciers en tant que groupe d’intérêt résultant de l’urbanisation croissante et de la perte de l’importance économique du secteur rural face à la tertiarisation du secteur rural. Les hommes d’affaires nationaux les plus puissants ont également fusionné avec des capitaux étrangers, formant un seul écheveau d’intérêts sans qu’il soit facile de les différencier. Cependant, dans une large mesure, le diagnostic de ce travail novateur s’appliquerait à la réalité du XXIe siècle.

Le fait est que les premiers pas hésitants du projet d’une « quatrième transformation » qu’évoque AMLO montrent simplement à quel point cette relation a peu changé entre pouvoirs formels et pouvoirs réels. En particulier, l’armée et les grandes villes continuent d’être, comme par le passé, les forces dominantes. Les récentes mesures annoncées Andrés Manuel López Obrador, ne font que le confirmer.

La guerre contre le trafic de drogue déclarée par Felipe Calderón à la fin de 2006 a conduit à une renaissance militaire qui s’est poursuivie avec Peña Nieto et, apparemment, sera accentuée avec l’initiative de López Obrador de faire graviter la sécurité publique vers une nouvelle garde nationale. militarisée, entraînée par l’armée et placée sous le commandement opérationnel du secrétariat de la défense nationale.

La militarisation de la sécurité publique sera encore plus radicale que dans les gouvernements de Calderón et de Peña, dans lequel l’armée et la marine se sont vus attribuer un rôle complémentaire à celui de la police, tandis que pour le prochain gouvernement, cette garde nationale militarisée constituera la base de la sécurité intérieure et de la sécurité publique.

En outre, il faut noter la formation au cours des derniers jours d’une « équipe consultative » autour du nouveau président composée de sept grands entrepreneurs parmi lesquels se distinguent Ricardo Salinas Pliego de TV Azteca et Elektra, Bernardo Gómez de Televisa, Olegario Vázquez Aldir, de Grupo Imagen, hôpitaux Ángeles et Grupo Financiero Multiva, Carlos Hank González, propriétaire des groupes Banorte et Maseca, et Miguel Alemán Magnani, propriétaire d’Interjet. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une relation de soutien pour la future présidence, mais d’un pacte avec un secteur du capital financier.

Par ailleurs, López Obrador a affirmé que son gouvernement ne prévoyait aucune réforme du système financier au cours des trois premières années, tentant de calmer la panique des marchés monétaires. Les véritables facteurs du pouvoir sont donc plus réels que jamais, car, comme l’a dit Juan Carlos Monedero, López Obrador a remporté le gouvernement, mais pas le pouvoir.

Bien entendu, il est positif et souhaitable de renforcer les mécanismes de démocratie directe tels que la consultation et le plébiscite, auxquels les gouvernements précédents n’ont jamais eu recours, même dans des domaines extrêmement controversés. Mais ils ne sont pas nécessaires pour traiter de questions qui n’impliquent pas directement la société ou qui ne suscitent pas de débats. Dans ce cas, plusieurs des points à consulter sont, avant le 1er juillet, des engagements assumés par López Obrador, qui figurent à maintes reprises dans sa plate-forme de campagne, largement diffusée sous la forme d’un livre intitulé 2018 La salida .

L’expression populaire directe est une ressource valable lorsque la société est polarisée autour d’un problème qui doit être résolu à la fin, tel que la décriminalisation ou non de l’avortement, par exemple. Il est utilisé après de longs débats dans lesquels la société elle-même est impliquée et qui se déroulent à tous les niveaux: parlement, médias, universités, etc. Le référendum vient généralement résoudre des problèmes de nature constitutionnelle ou normative (comme dans l’Union européenne, celle de la constitution commune il y a un peu plus d’une décennie, ou la plus récente sur le Brexit) qui ont déjà fait l’objet de débats au parlement mais qui, par leur transcendance pour la société, exigent l’expression directe des citoyens. Les questions de la soi-disant quatrième transformation, par contre, semblent viser à inhiber prématurément le débat au Congrès et, dans tous les cas, à limiter et à déterminer l’action des législateurs et à résoudre les problèmes de débat en faveur de parti, profitant de la force inhabituelle que l’électorat lui a donnée le 1 er juillet dernier.

Il y a un siècle, Max Weber avait émis l’hypothèse que « la » démocratie plébiscitaire « – le type le plus important de démocratie des chefs – est, dans son sens véritable, une sorte de domination charismatique cachée sous la forme d’une légitimité dérivée de la volonté du dominé et seulement pour elle durable. Le chef (démagogue) domine en effet en raison du dévouement et de la confiance personnelle de son entourage politique. En premier lieu, les adeptes ont gagné à sa personne, quand ils, au sein de l’association, lui cherchent la domination « .

Il ne fait aucun doute que l’engagement envers le plébiscite implique à l’avance un soutien populaire qui sanctionne et légitime l’action du dirigeant avec des traces charismatiques. Dans ce cas, il imprimera le présidentialisme mexicain usé, une nouvelle modalité qui dépasse la simple rationalité du droit qui caractérise l’État moderne. Le dirigeant charismatique exerce son pouvoir directement en s’appuyant sur l’expression populaire et en laissant de côté les instances de délibération telles que le Congrès et même le pouvoir judiciaire lorsque la Constitution peut être modifiée avec une relative facilité à la convenance du pouvoir exécutif.

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