Pas de répit dans la lutte contre la mondialisation néolibérale

Par le conseil d’administration d’ATTAC-Québec

Analyse de la conjoncture 2020-2021 présentée à l’Assemblée générale d’ATTAC-Québec, le 21 novembre 2020

Crises sanitaire, économique et environnementale, Pas de répit dans la lutte contre la mondialisation néolibérale

Pour plusieurs d’entre nous, l’année en cours sera l’une de celles que nous souhaitons oublier. La COVID-19 a frappé durement. Elle nous a menacé.e.s, nous a forcé.e.s à changer nos habitudes de travail et à nous replier sur nous-mêmes, non sans détresse parfois. De plus, même si nous nous réjouissons de la défaite électorale de Donald Trump aux dernières élections étatsuniennes, sa surprenante popularité, envers et malgré tout, est un dur coup pour nos idées : le plus tonitruant de nos adversaires bénéficie toujours d’un grand appui parmi de vastes pans de la population américaine, notamment dans les classes populaires auxquelles le Parti démocrate n’a pas prêté suffisamment attention pendant des années.

La pandémie de la COVID-19 a révélé de grandes vulnérabilités causées par les mutations de l’économie des dernières décennies. Alors qu’on croyait l’ère des grandes épidémies révolue (malgré les avertissements de quelques scientifiques éclairés), voilà que se répand cette nouvelle maladie, qui nous questionne plus que jamais sur nos modes de vie, voire sur notre avenir en tant qu’espèce, amplifiant du même coup ces mêmes questions posées par la crise climatique. Car faut-il le rappeler, l’origine même du coronavirus est d’abord une conséquence de la déforestation, de l’exploitation intensive de la terre, de la perte de la biodiversité et de la façon dont on traite les animaux à travers l’élevage industriel. D’une façon générale, tout cela découle de l’absence de respect de nos sociétés envers l’environnement.

La COVID-19 a aussi brisé un grand élan, tant du côté institutionnel que des mouvements sociaux. Le gouvernement du Québec s’apprêtait en effet à se montrer un peu plus généreux envers sa population après des années d’austérité. Le mouvement écologiste, avec ses alliés, avait quant à lui le vent dans les voiles, à la suite d’importantes manifestations partout dans le monde et plus spécifiquement ici, au Québec, avec un demi-million de personnes dans la rue en septembre 2019.

La pandémie, et le confinement qu’elle a entraîné, ont été difficiles pour le militantisme. Ce dernier est maintenant très limité dans ses moyens d’expression, alors que les partis politiques au pouvoir, et cela dans différents pays, profitent d’une exposition médiatique sans pareille qui accroît, dans une majorité de cas, leur popularité. La plus forte opposition vient de groupuscules d’extrême droite, sceptiques devant les vérités scientifiques et alimentés par des théories conspirationnistes. Le débat se retrouve ainsi polarisé entre des gouvernements qui s’appuient sur le ralliement aux mesures de confinement pour consolider leurs assises, et la parole d’extrémistes aux tendances fascisantes. Les médias participent aussi à cette polarisation en relayant les propos de l’extrême droite tout en ne laissant que trop peu de place à une critique pertinente et efficace des mesures des gouvernements. Ainsi, les points de vue et critiques des progressistes n’ont trouvé que trop peu d’échos, même si plusieurs appels à la solidarité et à une reprise axée sur la justice sociale ont été formulés, comme dans l’Appel pour un autre monde d’ATTAC-Québec.

L’Appel pour un autre monde

La crise de la COVID-19 doit attirer davantage notre attention sur la crise écologique, nous forçant à agir plus rapidement contre tout ce qui nous affecte, et plus particulièrement le réchauffement climatique, comme nous l’avons soutenu dans l’Appel pour un autre monde. Pour le moment, le danger immédiat a amené les gouvernements à agir de façon sporadique et sans vue d’ensemble. D’une part, le ralentissement de l’économie a certes permis une petite diminution des émissions de carbone par une utilisation limitée des transports. Mais d’autre part, l’usage de produits jetables et celui de la voiture individuelle ainsi que l’hyperconsommation ont été encouragés.

Répétons-le : les changements significatifs ne se feront que dans la mesure où l’on mettra en place une réelle transition écologique. Or, la COVID-19 semble jouer un rôle de distraction dans le contexte d’urgence climatique actuellement, alors même que nous savons que la pandémie est une conséquence de la destruction de l’environnement ! Nous avons déjà exprimé nos craintes que, dans le seul but de relancer l’économie à la fin de la pandémie, nos gouvernements se jettent tête baissée dans la construction de nouvelles infrastructures sans plan d’ensemble, sans prendre la peine d’examiner les conséquences environnementales de ces choix et sans privilégier la carboneutralité. Le projet de loi 66 du gouvernement Legault va malheureusement dans ce sens.

Tout n’est pas perdu cependant. Le projet Québec ZéN (Québec Zéro Émission Nette) du Front commun pour la transition énergétique prend des moyens inspirants pour favoriser une transition énergétique porteuse de justice sociale : celle-ci n’a plus à attendre tout des gouvernements, mais peut se mettre en place immédiatement dans les communautés, portée par des citoyens et des citoyennes qui agissent concrètement à tous les niveaux possibles, du local à l’international. Il faut aussi espérer que la fragile victoire de Joe Biden à la présidence des États-Unis ne l’empêchera pas de réaliser son Green New Deal, inspiré par le capitalisme vert certes et que nous critiquons à plusieurs égards, mais qui reste beaucoup mieux que les reculs massifs du précédent gouvernement des États-Unis.

La crise qui vient et l’enjeu des finances publiques

La COVID-19 a montré à quel point les mesures d’austérité budgétaire que nous avons si souvent dénoncées ont bel et bien été catastrophiques et nous ont rendu.e.s très vulnérables devant la pandémie. Un pays aussi prospère que le nôtre a laissé mourir ses aîné.e.s dans des CHSLD négligés et en partie privatisés – permettant ainsi à de riches propriétaires d’accumuler d’importants profits aux dépens de leurs bénéficiaires. Notre système de santé, victime de compressions budgétaires majeures et d’une trop grande centralisation du réseau, n’a pas pu bien absorber le choc de l’épidémie et des nombreuses hospitalisations. Le personnel fatigué et débordé qui avait, avant même la pandémie, envoyé tant de signaux d’alarme, a été parmi les grands sacrifiés d’une situation qui aurait pu être beaucoup mieux maitrisée. Pendant ce temps, dans les écoles, on assigne aux enseignantes et aux enseignants les mêmes tâches toujours considérables, sans tenir compte des heures supplémentaires qu’exige un enseignement bousculé et dépendant d’une technologie complexe qu’il faut maitriser et dont les limites sont évidentes.

Nos gouvernements ont cependant eu le mérite d’intervenir efficacement pour soutenir plusieurs des victimes du confinement, notamment par la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et par des mesures de soutien aux locataires ou aux entreprises. Ces choix ont cependant l’effet de creuser toujours plus les déficits budgétaires. Il faudra alors résoudre la quadrature du cercle : autant il est inconcevable de laisser les services publics dans l’état d’avant la pandémie, autant il faudra composer avec des dépenses et une dette en hausse.

ATTAC et bien d’autres groupes, comme la Coalition Main rouge, Échec aux paradis fiscaux ou TaxCOOP, proposent des solutions fiscales qui permettraient de résoudre ce problème. Et la chose est non seulement souhaitable, mais nécessaire. La crise a permis à certaines entreprises d’engranger des profits faramineux, au détriment des travailleurs et des travailleuses : tant les grandes multinationales des technologies de l’information, Amazon en tête, que des chaînes commerciales et des épiceries ont amassé des revenus records. Mais les inégalités se creusent : en témoigne l’hypocrisie des chaînes d’épicerie qui ont cessé d’attribuer la prime salariale de 2$ de l’heure une fois la situation « normalisée » cet été. Nos gouvernements semblent cependant peu à l’écoute et préfèrent se lancer dans un néokeynésianisme aveugle, se contentant de dépenser sans aller chercher de nouveaux revenus, misant sur une croissance économique hautement hypothétique, très risquée et peu souhaitable, étant donné ses effets négatifs potentiels sur l’environnement.

Le déclin de l’empire et du vieux « système-monde »

La mince victoire de Joe Biden vient de mettre un terme à quatre années d’une politique radicale d’un président réactionnaire. Le mandat du 45e président des États-Unis est-il un accident de parcours, comme voudrait nous le faire croire l’establishment démocrate ? Nous ne le pensons pas, malgré les frasques de Donald Trump, du jamais vu de la part d’un président américain.

En 2018, nous disions qu’il était « le chef de file de la radicalisation des politiques néolibérales ». Dans le cadre du cycle réactionnaire global que nous constations à ce moment, les politiques de Donald Trump étaient en tout point conformes aux dégâts que les régimes autoritaires ailleurs ont faits aux principes démocratiques et contre leur population : décrédibilisation des médias et des processus électoraux, piétinement de la science, recours à des mensonges éhontés, appauvrissement des populations, accentuation des inégalités et de l’exclusion, encouragement au racisme et à la xénophobie. À cela s’ajoutent un soutien aux politiques anti-avortement, la nomination de 300 juges fédéraux et de trois juges conservateurs à la Cour suprême et la militarisation croissante de la répression des mouvements sociaux et écologistes.

La rhétorique nationaliste blanche et incendiaire de Trump a répondu à la nécessité de radicaliser les politiques du principal pays impérialiste de la planète, dans un contexte de remise en question de la mondialisation néolibérale et de l’hégémonisme américain dans le monde. Suivant une logique très à court terme, ses orientations témoignaient d’une impatience certaine du capitalisme américain devant le rétrécissement de ses marges bénéficiaires et des obstacles l’empêchant de poursuivre ses politiques traditionnelles de croissance et d’accaparement de richesses. Le protectionnisme économique s’accompagnait ainsi d’une déréglementation accrue associée aux politiques néolibérales.

Malgré une rhétorique d’unité sociale, l’arrivée au pouvoir de Joe Biden ne signifiera pas un changement radical des politiques américaines sur plusieurs plans. L’annonce du plan de relance Made in All of America de Biden converge en ce sens avec celle du Make America Great Again de Trump.

Plusieurs commentateurs se plaisent à dire que les démocrates américains sont traditionnellement protectionnistes, alors que les républicains seraient pour le commerce. En annonçant qu’il ne signera pas d’autres accords de libre-échange, la politique économique de Joe Biden n’en sera pourtant pas moins libre-échangiste. Le capitalisme américain a besoin de réduire les obstacles au commerce mondial, sans toutefois trop s’ouvrir à la déferlante chinoise sur son territoire. La politique démocrate poursuivra en grande partie la logique bilatéraliste, tout comme l’a fait aussi Barack Obama.

La remise en question de l’hégémonisme américain un peu partout dans le monde demeure une réalité liée à la tendance irréversible du déclin de l’empire, et ce, avec les dommages collatéraux qui en résultent. Compte tenu de la position des États-Unis dans le monde, ce déclin est évidemment celui du « système-monde » dans lequel la planète a vécu depuis l’après-guerre. Dans ce contexte, prévoir des bouleversements sur le plan de l’hégémonie mondiale n’est pas une prophétie très risquée, pas plus que d’identifier le renforcement de la position de la Chine dans ce contexte – une perspective qui n’est pas non plus pour nous rassurer.

Or, ce qui importe dans la période qui vient, ce sont les combats liés au climat et à la crise écologique au-delà de la COVID-19 et de la crise économique. Ils se heurteront à la dynamique mondiale de turbulence et de course à la marchandisation accrue de la nature et du vivant au détriment du bien commun. Pour les classes dominantes des États-Unis, la période qui s’ouvre laisse entière la question de la relance du capitalisme américain. Le mandat de Joe Biden se définit beaucoup par son rôle de chevalier d’industrie du nouveau capitalisme vert. Heureusement que cette élection américaine signale aussi le réveil de la mobilisation sociale de la jeunesse et de nombreux groupes issus de la diversité de la population américaine qui luttent pour la justice sociale et environnementale.

Une bonne nouvelle pour Justin Trudeau

L’élection de Joe Biden est une bonne nouvelle pour Justin Trudeau. La position actuelle du gouvernement Trudeau est plutôt fragile depuis son élection l’an dernier. Minoritaire et aux prises avec la pandémie, le Canada trouvera dans la nouvelle administration américaine un nouvel allié, du moins dans la méthode. Car le gouvernement Trudeau fait face à une chute drastique de l’activité économique, sans précédent depuis la crise des années 1930. À l’instar de la plupart des pays occidentaux, il fait marcher la planche à billets pour soutenir la consommation et l’investissement.

Dans un contexte d’accroissement de la dette sans chercher à accroitre significativement les revenus, la pression sur les finances publiques se fera de plus en plus forte pour un retour au contrôle budgétaire. C’est d’ailleurs le principal axe de campagne que retiendront les conservateurs d’Erin O’Toole en vue des élections qui pourraient se tenir avant l’échéance de 2023.

Au Canada, la relance passe par une stratégie économique qui s’est toujours définie par la libéralisation du commerce et le développement du secteur des énergies fossiles. À court terme, le manque de débouché pour le pétrole albertain accentuera la polarisation politique au Canada. Il faudra surveiller comment les perspectives économiques du gouvernement Trudeau évolueront à la faveur de la croissance du capitalisme vert, qui sera mis de l’avant par notre voisin américain.

Si l’opposition aux énergies fossiles est toujours d’actualité, il sera de plus en plus important de faire entendre la critique du capitalisme vert – comme ATTAC le fait, notamment depuis la journée d’étude sur l’économie verte organisée en 2015 – pour défendre une sortie de crise juste et verte, au bénéfice du bien commun et dans le respect de l’environnement.

La position hégémonique de la CAQ au Québec

La domination de la Coalition Avenir Québec (CAQ) dans les intentions de vote au Québec fait des envieux partout au Canada. Pourtant, le Québec est la province canadienne la plus touchée par la pandémie et celle qui, après la première vague, présentait proportionnellement l’un des pires bilans au monde. La contagion observée chez les aînés.es, surtout dans les résidences privées, remet en question les partis-pris pour le privé en santé. Or, les leçons ne sont pas tirées dans la relance annoncée par le gouvernement Legault.

En ce qui concerne l’environnement, le « Plan de mise en ?uvre 2021-2026 » est clairement insuffisant et ne permettra même pas à la CAQ l’atteinte des cibles fixées par son propre gouvernement dans son « Plan pour une économie verte 2030 ». Il montre une fois de plus l’insensibilité de ce gouvernement devant les enjeux écologiques et son manque de volonté pour prendre des mesures fortes et significatives et se lancer dans une véritable transition. Son soutien au projet d’exploitation du gaz de GNL Québec, au Saguenay, est en porte-à-faux avec sa réputation de « bon gouvernement », alors que l’acceptabilité sociale n’est pas au rendez-vous pour ce projet, pas plus qu’elle ne l’est pour les autres projets de pipeline au Canada.

Plus que jamais, l’enjeu de ramener les questions climatiques et le respect de l’environnement comme parties intégrantes de la sortie de crise est donc à l’ordre du jour. Comme nous le disions dans l’Appel pour un autre monde, que nous lancions en mai dernier :

Au Québec, des années d’austérité et de politiques inspirées par le néolibéralisme et les logiques de libre-échange nous ont conduits au désastre qu’on observe en ce moment, notamment dans notre système de santé. [… ] Les marchés financiers ne doivent pas dominer notre avenir et profiter de l’endettement des États en temps de crise. […] Il nous faut prioriser une transition écologique juste et la justice fiscale nécessaire à sa réalisation, l’amélioration de nos services publics et aussi la relocalisation de l’économie. Il faut repenser la consommation, le travail, le logement, l’éducation et l’agriculture.

Cet appel fait écho à d’autres initiatives qui visent à profiter des circonstances particulières créées par la pandémie de COVID-19 et ses conséquences – qui ralentissent l’économie et bouleversent nos habitudes – pour passer de la parole aux actes en matière de transition juste. Une fois la pandémie derrière nous, la tentation du retour à la normale sera grande. Cela, ajouté à la perspective de la rigueur budgétaire, créera un cocktail potentiellement explosif pour les solidarités sociales et l’environnement avec, d’une part, le renforcement du discours croissantiste, impliquant l’augmentation de la pollution et des destructions environnementales et, d’autre part, un cycle de réduction des dépenses publiques et d’accroissement des inégalités sociales. Il ne faudra donc pas céder à la perspective sécurisante du business as usual, doublée d’un repli sur les frontières nationales, mais bien poursuivre la convergence des luttes pour la justice climatique et la justice sociale au Québec et à l’international.

Si la situation climatique et la perte de la biodiversité suscitaient ne serait-ce qu’un dixième de l’attention que suscite la COVID-19 auprès des citoyen.ne.s, des médias, des entreprises et des gouvernements, nous ferions des pas de géant dans la bonne direction ! Heureusement, malgré l’ampleur de la tâche, les feuilles de route sont de plus en plus claires et précises, à l’image de la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité publiée par le Front commun pour la transition énergétique. Celle-ci résulte d’un formidable travail réunissant des personnes appartenant aux milieux communautaires, écologistes, féministes, syndicaux, universitaires et présentant une approche systématique pour chacun des secteurs de la société ainsi que des mesures responsabilisant les acteurs à toutes les échelles ? gouvernementale, entrepreneuriale et citoyenne.

Bien sûr, la perspective de la découverte d’un vaccin contre la COVID-19 donne un certain espoir de retour à la normale. Que cela se produise rapidement ou non, il y aura de nombreuses plaies à panser. Et encore faudra-t-il voir à ce que ce vaccin soit distribué équitablement, à l’intérieur des pays et entre pays du Nord et du Sud.

ATTAC-Québec, comme l’ensemble du mouvement social, devra se relancer après un fonctionnement au ralenti pendant de longs mois, alors qu’il faudra s’assurer que les nombreuses leçons de cette pandémie seront bien retenues. La pandémie nous a empêchés de souligner comme nous l’avions souhaité nos 20 ans d’existence, nous comptons bien y remédier. Par ailleurs, les défis lancés par la défaite de Trump, par les importants enjeux environnementaux et par la post-pandémie, dans l’élaboration d’un monde meilleur, montrent bien qu’une association comme la nôtre a toujours sa place parmi toutes celles qui se consacrent à ces combats importants.