Venezuela : Maduro réprime et résiste

Jean-Baptiste Mouttet, Médiapart, 25 février 2019

Devant un gouvernement inflexible, l’opposition n’est pas parvenue samedi à briser le pouvoir maduriste, mais les fissures se multiplient. Le bilan fait déjà état de plusieurs morts et de nombreux blessés.

Caracas (Venezuela), de notre envoyé spécial.- Deux camions brûlent sur l’un des ponts qui relient la Colombie au Venezuela ce samedi 23 février. Les images des journalistes sur place s’arrêtent sur l’épaisse fumée noire qui se dégage de l’un d’entre eux. Un véhicule est complètement détruit. L’aide humanitaire qu’il transportait est partie en fumée alors que des gaz lacrymogènes sont lancés à destination des manifestants. L’opposition y voit le symbole de l’égoïsme du gouvernement vénézuélien et tient pour responsables les forces de l’ordre. Les médias proches du gouvernement de Nicolás Maduro développent, eux, une tout autre version : ce serait des « groupes violents de l’opposition qui ont incendié les camions avec des cocktails Molotov » afin de pouvoir accuser le pouvoir chaviste.

Tout au long de la journée, la tension était à son maximum aux frontières terrestres que le Venezuela partage avec la Colombie et le Brésil. Juan Guaidó, le président de l’Assemblée nationale gagnée par l’opposition, mais privée de pouvoir, avait assuré que les médicaments et les aliments envoyés en particulier par les États-Unis, passeraient « si o si » (quoi qu’il arrive) ce jour-là. Nicolás Maduro considère lui que cette aide cache une intervention militaire étrangère.

À la frontière colombienne, la journée de samedi a rapidement effacé le souvenir de la confrontation musicale de la veille quand deux concerts entre Cúcuta (Colombie) et San Antonio étaient organisés. Le « Venezuela Aid Live » porté par le milliardaire et patron de Virgin Galactic, Richard Branson, réunissait plusieurs dizaines de milliers de personnes favorables à Juan Guaidó. Quelques centaines de personnes assistaient, à moins de 300 mètres de là, au concert chaviste « Para la guerra, nada » ( « Rien pour la guerre » ).

Le 23 février a fait place à la confrontation. Les camions d’aliments et de médicaments devaient s’arrêter à la limite de la frontière puis être transportés par des volontaires. Les forces de l’ordre vénézuéliennes ont empêché le déroulement d’un tel scénario.

À coups de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc, les militaires ont fait reculer les opposants qui répondaient en leur jetant des pierres. Plusieurs journalistes ont rapporté la présence de bandes armées soutenant le régime, les « colectivos » , qui n’hésitent pas à utiliser leurs armes à feu.

À la frontière brésilienne, la confrontation a débuté dès le 22 février. Un barrage d’une communauté amérindienne Pemon à 70 kilomètres de la frontière a fini dans le sang. L’armée a tiré, faisant au moins deux morts et une dizaine de blessés. Plusieurs membres de la Garde nationale ont été retenus prisonniers. Parmi eux, la lieutenant Grecia Roque est filmée en larmes alors, qu’elle demande pardon aux Pemons et implore « son » général, le ministre de la défense, Vladimir Padrino López, de ne pas agir de manière violente contre l’ethnie.

La violence n’a pas pour autant cessé. Samedi à 21 h, l’organisation vénézuélienne de défense des droits de l’homme, Foro Penal, la mort de deux personnes, dont un mineur, et de 59 blessés par balles. Les décès se situent tous dans l’État de Bolivar, limitrophe du Brésil.

En fin de journée, le bilan est lourd et le résultat de l’opération peu probant. En Colombie, aucun camion n’est passé. Le navire parti de Porto Rico a dû rebrousser chemin après la menace de la marine vénézuélienne d’ouvrir le feu. L’opposition affirme qu’un véhicule est parvenu à se rendre au Brésil. Le président par intérim fait peut-être allusion à des vidéos partagées sur Twitter par des journalistes où l’on voit un pick-up accueilli par des Vénézuéliens. Mais selon RFI , « les deux camions chargés d’aide humanitaire envoyée par le Brésil au Venezuela ont regagné samedi la ville brésilienne de Pacaraima » .

Dans le reste du pays, les opposants ont aussi vécu la journée au rythme des événements aux frontières. Lorsque Hasler Iglesias, dirigeant du mouvement des jeunesses de Voluntad Popular, parti anti-chaviste, informe du passage de l’aide à la frontière brésilienne, des cris de joie retentissent dans la foule réunie devant la base aérienne de La Carlota, à Caracas.

Des milliers de personnes vêtues de blanc en signe de paix se sont alors dirigées vers cet aéroport militaire. À travers les grilles, les manifestants crient : « Soldat écoute et rejoins la lutte ! » dans l’espoir que les forces armées abandonnent leurs postes, facilitent l’entrée de l’aide et précipitent ainsi la chute de Nicolás Maduro.

Cette base aérienne rappelle de tristes souvenirs aux Vénézuéliens. C’est là que, le 22 juin 2017 , David Vallenilla, âgé de 22 ans fut mortellement blessé au thorax par un tir à bout portant de chevrotines, en marge de manifestations antigouvernementales qui avaient fait 125 morts.

« Le pouvoir chaviste tue tous les jours des civils innocents à cause du manque de médicaments »

Cette fois, il n’y a pas eu de réaction des forces de l’ordre dans la capitale. Mais les événements de la veille ont marqué les esprits. Les murs qui longent le cortège se recouvrent de tags « Nous sommes tous Pemon » . Lorsque nous faisons remarquer à Frank Martinez, ancien secouriste, que faire entrer l’aide contre la volonté du gouvernement c’est aussi exposer les civils aux réponses de l’armée, il répond que « le pouvoir chaviste tue tous les jours des civils innocents à cause du manque de médicaments » .

Les manifestants sont déterminés et croient à une chute proche de Nicolás Maduro : « Je suis une opposante de toujours , note Maria Victoria, graphiste de 55 ans, je suis allée de déception en déception, mais aujourd’hui c’est possible grâce au courage de Juan Guaidó. » Son amie qui marche à ses côtés poursuit : « Il a pris beaucoup de risques pour se rendre en Colombie. »

Juan Guaidó a en effet traversé la frontière malgré l’interdiction de sortie décrétée par une justice fidèle à Nicolás Maduro, donnant à ce dernier un nouveau motif pour le faire arrêter.

Les appels de l’opposition ont été partiellement entendus par les forces armées. Selon le ministre des affaires étrangères colombien, Carlos Holmes Trujillo, plus de soixante militaires ont rejoint la Colombie ce samedi. Il s’agit dans la très grande majorité de militaires peu ou pas gradés qui sont eux aussi victimes de la crise économique.

Juan Guaidó a promis l’amnistie à tous les déserteurs. Au micro des journalistes, Williams Cancino, membre de la redoutée Force d’action spéciale de la police nationale (Faes), assure que la grande majorité de ses collègues « sont contre » le président en exercice. Il explique son choix par le fait que des «  » colectivos  » ont sali son institution » .

Différentes ONG, comme L’Observatoire vénézuélien du conflit social (OVCS) rapporte que des membres de ces bandes armées ont intégré la Faes. Mal à l’aise avec ces abandons de postes, le gouvernement propose une tout autre version. « Le protecteur » de l’État de Tachira, Freddy Bernal, qui a en charge le déploiement de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) et du Faes voit dans les désertions des « faux positifs » , des faux déserteurs au service de l’opposition.

Dans les rangs des chavistes qui se mobilisaient sur l’avenue Urdaneta de Caracas, l’heure était au contraire à démontrer son appui à Nicolás Maduro. L’importance de la foule rivalisait avec l’opposition. « Nous sommes ici pour montrer à notre président qu’il peut compter sur nous dans ces moments difficiles » , assure Omar Evariste, responsable régional de l’entreprise d’État Lactos Los Andes (produits laitiers les Andes.) Comme d’autres manifestants, il porte une chemise rouge siglée de son entreprise publique. « Oui j’ai peur que cela se termine dans un bain de sang, dit-il. Mais cette situation c’est l’opposition qui l’a voulue. »

Devant ses partisans réunis, Nicolás Maduro se montre serein, à dessein. Il improvise quelques pas de danse avec son épouse Cilia. L’image est perçue comme une preuve de son irresponsabilité par ses adversaires. À la tribune, la gravité reprend le dessus. Le successeur d’Hugo Chávez annonce « rompre toutes les relations politiques et diplomatiques avec le gouvernement fasciste de Colombie » . La vice-présidente colombienne, Martha Lucía Ramírez, lui répond peu de temps après qu’il ne peut pas « rompre des relations diplomatiques que la Colombie n’a pas avec lui » .

En fin de journée, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo déclarait sur Twitter que « les États-Unis vont passer aux actes contre ceux qui s’opposent à la restauration pacifique de la démocratie » . De son côté, s Juan Guaidó appelle la communauté internationale à envisager « toutes les éventualités » . Il participera lundi à la réunion du groupe de Lima , à Bogotà. Le bras de fer se poursuit. Le spectre de la guerre se rapproche toujours un peu plus. Ni les craintes ni les doutes ne sont levés.

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