Sabrina Fernandes, Jacobin, 18 janvier 2018
(Traduction :Yazid Benhaimi)
Au moment où la saga judiciaire est passé à autre étape, la gauche brésilienne fait face à plus d’interrogations que jamais.
Lors du dernier vote sur l’appel introduit par Lula, il n’y a eu aucune surprise quant à la confirmation du verdict de l’ancien président du Brésil, alors que les marchés boursiers se réjouissent, à l’instar de la bourse de Sao Paulo, d’avoir atteint des niveaux record jamais égalés. Ce qui était en revanche une surprise, c’est que sa sanction est passé de neuf à douze ans. Toutefois, quel impact aura cette affaire sur la Gauche brésilienne, sur un plan électoral et même au-delà ?
La condamnation de Lula ne signifie pas qu’il sera arrêté dans l’immédiat, étant donné qu’il dispose encore d’une série d’appels dont il pourrait user. Mais, elle jette une ombre sur l’avenir de sa campagne. Dans le cas où tous les appels échoueraient, Lula deviendrait inéligible dans la course à la présidentielle de cette année, et ce grâce à la loi dite Ficha Limpa (table rase). Ce qui impliquerait des tensions au sein du Parti des travailleurs, qui a toujours présenté un candidat aux présidentielles, depuis le début du processus de re-démocratisation d’après dictature, qu’a vécu le pays. En outre, les candidats du PT ont toujours eu une longueur d’avance sur leurs homologues de gauche. Ce qui conférait au parti une hégémonie électorale sur la Gauche.
Pourtant, Lula est plus imposant que le PT, qui fait face actuellement à un manque de personnalités publiques, susceptibles de le propulser au-delà du seuil des 20 à 30% d’électeurs potentiels. D’autre part, le seconde meilleur scénario du PT suggère que Lula doive s’adapter à la situation et désigner un successeur légitime, comme il l’avait déjà fait avec Dilma Rousseff. Sur un plan technique, le PT dispose d’une vingtaine de jours avant l’élection pour trouver un remplaçant à Lula, ce qui signifie qu’il peut prendre part à la campagne jusqu’à la toute dernière minute.
Cette incertitude traduit bien évidemment l’importante dissension au sein de la gauche brésilienne sur le terrain électoral. Ainsi, le Parti communiste du Brésil (PcdoB), l’allié du PT, a désigné son propre candidat à la présidentielle, Manuela D’Avila, tandis que Ciro Gomes du Parti démocratique des travailleurs (PDT) envisage de former une alliance pour consolider le projet centre-gauche contre la Droite. Pourtant, la menace de la droite s’est affaibli en raison de sa propre dissension, avec notamment les luttes intestines qui secouent le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), autour de Geraldo Alckmin et João Doria, et les manœuvres des conservateurs libéraux contre l’extrême droite de Jair Bolsonaro. Le PSDB est l’opposant électoral de toujours du PT. Bien que Alckmin est le choix traditionnel du parti, Doria a mené sa campagne avec succès pour devenir maire de São Paulo en 2016. Ce qui lui a permis d’acquérir une importante visibilité médiatique et politique.
Qu’il puisse réellement ou non remporter les élections, Bolsonaro constitue un problème pour la Gauche. Il déverse sa colère sur la communauté LGBT, voudrait armer les forces de police jusqu’aux dents et leur donner davantage de permis de tuer, parle de protéger la famille traditionnelle, et use d’un discours nationaliste quand il prétend qu’avec lui comme président, le Brésil sera le meilleur ami de Trump. La crainte suscitée par Bolsonaro pousse même les partisans de gauche non affiliés au PT à revenir vers Lula. Ce faisant, ils cherchent une apparence d’unité et une expiation à leur propre culpabilité à l’avance, c’est-à-dire dans le cas où la Gauche s’avèrerait impuissante pour battre la Droite aux urnes.
Cette situation reflète le profond état de mélancolie dans laquelle baigne la Gauche brésilienne. En effet, la Gauche radicale lutte contre son désir de faire revivre le passé comme la clé d’un avenir prometteur – notamment quand il s’agit des occasions ratées du PT – et la gauche modérée est prise dans un scénario récurrent d’autojustification du pourquoi un tel avenir n’est qu’hypothétique. D’autre part, l’autocritique et l’examen de son programme politique fait place au blâme des forces externes – le marché, les affinités politiques, la Droite. La situation de Lula et la menace de l’aile droite ont aggravé cet état de mélancolie et ont brouillé certaines lignes de démarcation entre les différentes visions de ce qui est aujourd’hui possible. La Gauche radicale est en train de perdre le peu de cohésion qui lui reste et la logique du moindre mal regagne du terrain.
À titre d’exemple, le Parti socialisme et liberté (PSOL) fait face à des pressions pour se rapprocher du PT. Ceci est justifié par le fait que le PSOL doit faire davantage pour bâtir sa base afin d’être moins considéré comme un parti de la classe moyenne. Pourtant, il est de notoriété publique que le PT lui-même a depuis longtemps cessé d’œuvrer sérieusement à bâtir sa base en dehors des périodes électorales. Par conséquent, ce qui reste comme base fidèle est habituellement affiliée à d’autres organisations, telles que le Mouvement des Sans Terres et la Centrale unique des travailleurs.
Ce qui a placé le Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), qui s’est développé ces dernières années, au centre d’un conflit. En effet, ses affinités passées avec la PT et son interprétation des poursuites contre Lula comme la seconde phase du coup d’État de 2016, prouve l’étroitesse des liens de ce mouvement avec ce dernier. Au même temps, les groupes et les membres du PSOL se sont montrés solidaires envers le MTST durant des années, organisant avec eux l’occupation des bâtiments et les mouvements de protestation, et cela même durant le règne du PT. Entre-temps, le coordonnateur national du MTST, Guilherme Boulos, est considéré comme le candidat favori du PSOL à la présidentielle. Ce jeu de rejet et attraction entre le PT et le PSOL pourrait néanmoins tendre les relations de ces deux formations avec le Mouvement des travailleurs sans toit, qui détient un important potentiel politique étant donné l’urgence de la crise urbaine au Brésil.
Les énigmes et les contradictions qui découlent de la pensée mélancolique ont mis la Gauche sur la défensive. Aussi, toutes ses actions lui sont imposées par la conjoncture électorale, donnant lieu à une persistante dissension. Pis, la Gauche est paralysée par la question, que même les résultats passés n’ont pas écartée : Lula sera-t-il candidat à la présidentielle de 2018 ?