Publié sur le site le 28 mars, – mis à jour le 30 mars 2023
Nous sommes les soulèvements de la terre ici.
Depuis les événements du dernier weekend de mars, plusieurs initiatives et déclarations de solidarité ont été rendues publiques sur le site du réseau Les soulèvements de la Terre. On peut accéder à la tribune la plus importante d’entre ellesLa rédaction JdA-PA
Alors que deux manifestants se trouvent dans le coma, l’activiste Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre, revient sur la répression de la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), ce samedi. Entretien.
Rapports de Force : Quelles nouvelles avez-vous des blessés ?
Léna Lazare : On compte aujourd’hui deux blessés dont le pronostic vital est engagé. En plus de l’homme qui s’est pris un tir de grenade dans la tête et se trouve dans le coma, on a appris qu’une deuxième personne, qui était dans le bloc opératoire, est désormais elle aussi dans le coma. Au cours de la manifestation, 200 blessés sont allés voir notre équipe, avec des blessures moyennement graves à graves. On a dénombré une quarantaine de blessés graves. Depuis, dix ont eut leur pronostic vital engagé à un moment ou à un autre.
On essaie de rassembler le plus de preuves possibles sur le fait que la prise en charge ne s’est pas faite correctement, avec la Ligue des droits de l’homme et les informations de médecins. On a reconstitué un déroulé assez clair : il y a eu une entrave à la circulation des secours. [La LDH constate en effet « plusieurs cas d’entraves par les forces de l’ordre à l’intervention des secours, tant Samu que pompiers », ndlr]
Enfin, il y a une stratégie de répression des personnes qui ont été blessées. Il y a des réquisitions, la police récupère les affaires de personnes à l’hôpital pour leurs enquêtes…. On surveille aussi les gardes à vue : lors de la dernière mobilisation à Sainte-Soline, en octobre, un ami à moi avait été emmené à l’hôpital de Poitiers à cause d’un tir de LBD dans la tête. Les médecins nous avaient dit « demain il pourra sortir », sauf qu’en fait, la police était venue le chercher une minute après son scanner pour le placer en garde à vue. C’était un cas marquant parmi tant d’autres.
Aviez-vous anticipé un tel nombre de blessés ?
On avait une équipe médicale en base arrière. Après un diagnostic des blessés, les médecins nous disaient s’il l’on pouvait les prendre en charge à notre infirmerie, ou s’il était nécessaire que le FMUR intervienne. Nous avions aussi notre propre ambulance et quelques voitures pour faire des trajets si besoin.
Je suis restée avec les blessés pendant toute la manifestation, ce qui n’était pas prévu initialement. Dès que je suis arrivée sur place, en fin de cortège, il y a eu de premiers blessés. J’ai appelé la coordination pour avoir tout de suite notre ambulance.
Des blessés graves, j’en ai vu pendant les Gilets Jaunes par exemple : souvent, on en a un, et on est tous autour de lui, à attendre les secours… Mais là, on a commencé à avoir un espace médical avec des dizaines de blessés tout autour de nous. C’était du jamais vu.
Comment analysez-vous la stratégie de déploiement des forces de l’ordre, dont les 3 200 agents étaient principalement concentrés autour de la mégabassine ?
On a comparé le temps passé sur le terrain et les chiffres du ministère : une grenade a été tirée toutes les deux secondes. Il y avait aussi des blindés Centaure, qui peuvent tirer des grenades très rapidement. Pour moi, c’est une politique qui vise à blesser les gens, les effrayer et les traumatiser. Ils avaient totalement conscience de la possibilité qu’une personne soit tuée.
Ils voulaient protéger la bassine coûte que coûte. Dès qu’on a commencé à approcher, ils ont tiré les grenades. Après bien entendu, ça a créé des tensions entre gendarmes et manifestants. Pendant deux heures, la répression était hyper intense. [La LDH recense des tirs de grenade « de type GM2L et GENL », ainsi que de LBD 40. Elle décrit « un usage immodéré et indiscriminé de la force (…) avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain », ndlr]
Nous avions pourtant décidé de ne pas entrer dans la bassine : on voulait l’encadrer, symboliquement. Et puis c’est absurde : ils protégeaient un cratère rempli d’eau, même pas bâché… On aurait rien pu faire sur ce tas de cailloux ! Si la police n’avait pas été là, on aurait marché pendant 6 kilomètres, encerclé la bassine pour faire une image symbolique, et le site aurait été exactement pareil.
Alors pourquoi, à votre avis, cette réplique des forces de l’ordre ?
Il y a une dynamique écocidaire en cours, dont le déploiement est coordonné par l’Etat, qui passe en force. Cela part d’un territoire bien ancré, mais prend de l’ampleur. On sait que le déploiement des mégabassines qui vont servir à l’agro-industrie nous mène droit dans le mur, a des répercussions sur les sols qui nous nourrissent et sur la ressource vitale en eau. Avec les épisodes de sécheresse que l’on constate déjà, beaucoup de personnes ont envie de se mobiliser. Mais le gouvernement ne veut pas lâcher.
Tout cela s’inscrit aussi dans une séquence de répression, avec ce que l’on voit au niveau des mobilisations contre la réforme des retraites. Un syndicaliste a perdu un œil il y a quelques jours : on est face aux mêmes blessures atroces. Pour moi, si ça a été aussi rude ce week-end, c’est aussi parce que depuis le passage du 49-3, c’est de pire en pire.
Je pense que notre stratégie fait peur. On voit bien que les militants écologistes ont envie de passer la vitesse supérieure : des projets écocidaires se font partout, on a très peu de prise sur nos vies… On se rend compte qu’il va falloir faire advenir les choses par nous-mêmes, et que cela passe par des actions de désarmement et de sabotage. Là, on a démonté une pompe et des tuyaux sur le chantier. Mais on a surtout gagné en nombre.
En effet, près de 30 000 personnes ont pris part à la manifestation selon votre décompte (6 000 selon la préfecture), soit presque quatre fois plus que lors de la dernière manifestation à Sainte-Soline, fin octobre. Comment l’expliquer ?
La marche était très diversifiée : habitants locaux, grosses organisations légalistes, petits collectifs… Le discours de Gérald Darmanin nous qualifiant d’« éco-terroristes », mine de rien, a scandalisé et rendu le mouvement d’autant plus massif. Après ça, on a reçu des invitations venues d’Italie, de Suisse, d’Allemagne. Des liens se sont créés avec des luttes fortes de pays voisins.
On avait aussi invité, ce week-end, une délégation internationale avec entre autres une Chilienne, une Kurde, un activiste du Bénin… L’accaparement de l’eau prend des formes différentes partout. Au Chili par exemple, cela fait 35 ans que les mégabassines se déploient.
Enfin, partout en France, des collectifs Bassines non-merci sont en veille ou en lutte sur des projets de mégabassines,. C’est le cas en particulier dans la Vienne, où un protocole de trente nouvelles bassines est en cours de mise en place, bien qu’il soit déjà très critiqué, y compris par la Chambre d’Agriculture.