La face cachée de l’antisémitisme

 

Amira Hass, Haaretz, 4 octobre 2009

 

Tout Juif ou toute Juive, citoyen de n’importe quel pays, a potentiellement davantage de droits en Israël qu’un Arabe né en Israël et citoyen d’Israël. Davantage de chances dans la recherche d’un emploi, dans la recherche d’un logement convenable, dans l’obtention d’une aide pour les études supérieures, dans l’avancement personnel. Tout Juif citoyen d’un pays étranger a, théoriquement, davantage de droits dans les territoires de Cisjordanie et de la Bande de Gaza (sous réserve de la décision des membres de la base du Likoud [qui doivent se prononcer sur le plan de Sharon de « désengagement unilatéral de Gaza »]) que les Palestiniens.

On peut douter que ces faits soient clairs pour les agresseurs antisémites d’aujourd’hui, en Europe. Et même alors, ce ne serait pas une justification pour redonner vie à des préjugés diaboliques à l’encontre des Juifs en tant que Juifs, pour profaner des cimetières, menacer des Juifs, les frapper, publier des caricatures à la manière du « Stürmer », pour voir en chaque Juif, parce qu’il est Juif, un représentant de l’occupation israélienne, pour condamner l’occupation israélienne dans des termes qui démontrent que l’injustice n’intéresse pas tant les manifestants que le fait que les auteurs de l’injustice se définissent eux-mêmes comme Juifs. Un fait qui soulage apparemment quelques membres de cette civilisation chrétienne occidentale qui aspire à ôter d’elle-même le joug du souvenir de l’entreprise meurtrière allemande-européenne qui a surgi au milieu d’elle.

Tout Juif dans le monde peut, à tout instant, déménager en Israël et bénéficier de la totalité des droits civils à Tel Aviv ou Haïfa, et même plus: s’il choisit d’aller vivre à Maale Adoumim ou dans la vieille ville de Jérusalem ou de Hébron. Mais un citoyen d’Oum al-Fahm ne peut pas aller habiter à Efrata, par exemple. S’il choisissait de se marier et d’habiter à Bethléem, il serait susceptible de perdre ses droits civils en Israël. Sa conjointe ou son conjoint ne serait pas autorisé à vivre avec lui en Israël et il aurait des difficultés à enregistrer ses enfants comme israéliens.

Un Palestinien de Hébron ou du camp de réfugiés de Dheisheh n’est pas libre de faire le chemin inverse de celui d’un natif de Raanana ou de Ramat Gan, et de fonder un quartier palestinien au cœur d’une ville juive sur la côte. En fait, même des Arabes citoyens d’Israël et nés dans ce pays n’ont aucune chance de pouvoir fonder un tel quartier. Quelque 80% des terres d’État, dont une part importante était propriété privée palestinienne en 1948, leur sont, de par la Loi, rendus inaccessibles au fermage, à la culture, à la construction.

Ces finesses de la démocratie israélienne sont-elles connues des Arabes et musulmans d’Europe – populations d’où partiraient aujourd’hui, selon ce que soutiennent les représentants des communautés juives, la majorité des agressions antisémites? On peut en douter. Et cela ne change d’ailleurs rien. Celui qui crie « Mort à Israël » ou « Mort aux Juifs » ne crie pas « Mort au Soudan » dont le gouvernement arabe expulse et massacre les Noirs non musulmans, et il ne crie pas « Mort à la Corée du Nord » pour l’auto-génocide perpétré par ses dirigeants, ni « Mort aux Chinois » pour l’oppression du Tibet.

Règle absolue dans la lutte contre l’oppression et le racisme: les critères pour condamner et pour exiger le changement doivent impérativement être universels. Car comment peut-on se plaindre d’une discrimination et, dans le même temps, « regarder d’un bon œil » un régime d’oppression? Comment peut-on se plaindre de racisme et en même temps tenir un groupe national ou religieux pour le responsable absolu, éternel, des actes perpétrés par des régimes surgis en son sein?

Philosophiquement, l’assertion est juste, qui veut que le racisme et l’antisémitisme révèlent avant tout un problème de la société qui les alimente. Pour généraliser grossièrement, ils révèlent de l’ignorance et de la stupidité, une capacité de manipulation des centres de pouvoir qui cherchent à détourner l’attention de leurs privilèges, ils révèlent d’anciens sédiments et des peurs irrationnels, et un effort concentré pour ne pas reconnaître les changements sociaux et mondiaux, afin de préserver la position archaïque d’un groupe déterminé. Il n’empêche que, concrètement, le racisme porte atteinte avant tout à ses cibles directes.

L’antisémitisme européen d’aujourd’hui n’est pas institutionnel et il ne menace pas le statut civil, économique, politique ni professionnel des Juifs. Un Juif a de meilleures chances d’avancement et de développement personnel qu’un Noir ou un Indien aux États-Unis ou qu’un Nord-africain en France. En Allemagne, un danger plane sur la vie des gens d’origine africaine ou asiatique davantage que sur celle d’un immigrant juif de Russie. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut traiter à la légère les rapports portant sur une augmentation des sentiments antisémites – et même, en certains endroits, d’une impression de menace physique.

Il ne faut pas les prendre à la légère, même si ces rapports, que les institutions juives et israéliennes s’appliquent à diffuser jour après jour, servent d’instrument entre les mains du gouvernement israélien et de ses porte-parole de par le monde pour taxer et souiller d’« antisémitisme » toute critique et toute condamnation de l’occupation israélienne. Il ne faut pas dédaigner ces rapports même si ceux qui les diffusent en Israël – dont des chercheurs du monde académique et d’autres institutions – violent la règle absolue de la lutte contre le racisme en ne faisant pas entendre la moindre voix de protestation, interne à Israël, et en ne trouvant peut-être simplement rien à redire à la discrimination institutionnelle des Arabes citoyens d’Israël, ni au régime de colonies avec sa logique de discrimination, qui impose aux Palestiniens et aux Israéliens ce cycle sanglant.

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