Chili : le racisme contre les Mapuche et la pandémie

Patricia Parga-Vega, Intal, août 2020

 

De graves incidents racistes contre des membres de la communauté mapuche ont été enregistrés dans le sud du Chili. Le tout en plein milieu du couvre-feu et sous le regard patient de la police qui n’est pas intervenue. Les événements se sont produits après le soutien du Ministre de l’intérieur Victor Pérez à des groupes anti-mapuche pendant qu’il a visité la région. La crise de la pandémie a violemment affecté les modes de vie des peuples indigènes du monde entier, exacerbant leurs inégalités et dévoilant sa véritable force motrice : la marchandisation totale de la vie sociale.

Crise sociale et pandémie

La révolte sociale qui a débuté en octobre dernier au Chili exigeait un nouveau projet de société, juste et égalitaire, qui garantisse les droits sociaux essentiels, tels que le droit à la santé, à l’éducation, au travail et à la sécurité sociale. Mais la seule réponse du gouvernement à cette demande a été une forte répression policière et militaire, qui s’est traduite par une violation massive, grave et systématique des droits humains. Cela a été établi dans les quatre rapports préparés par quatre organismes internationaux après leur visite sur place (Amnesty, HRW, CIDH, HCDH).

Malgré l’engagement du gouvernement du président Piñera, le représentant régional pour l’Amérique du Sud du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains (HCDH), Jan Jarab, le 12 mars, a publiquement exprimé sa consternation face au mépris du gouvernement pour les 21 recommandations formulées dans le rapport de la plus haute instance spécialisée des Nations unies. En outre, les violations des droits humains se poursuivent et les procédures légales continuent d’être violées par les forces de police.

Pendant cette période de pandémie, le devoir de protéger correctement la vie et la santé des chiliens et chiliennes a été largement ignoré par le gouvernement. A la mi-juin, le ministre de la Santé Jaime Mañalich démissionna après une controverse qui a révélé qu’il remettait, sans le déclarer ouvertement, à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) un nombre de morts du Covid-19 bien supérieur au dernier bulletin officiel. Officiellement, le Chili comptait à ce moment-là 167.355 contaminations et 3.101 décès depuis l’apparition du premier cas le 3 mars. Mais un média d’investigation chilien a révélé que les chiffres transmis à l’OMS étaient bien plus importants, près de 5000 décès.

Un nouveau ministre de la santé a été désigné : Enrique Paris. Après cela, la population a compris que le plus difficile était encore à venir. Le gouvernement, pariant sur une stratégie d’immunité collective, s’était en effet contenté, dans un premier temps, d’un confinement obligatoire ciblé, concernant quelques communes uniquement, alors que de nombreux professionnels de santé l’exhortaient à étendre la mesure à toute la région de Santiago, qui concentre 7,5 des 18 millions d’habitants du Chili. Enfermement sélectif, erreurs dans le traitement, consolidation et présentation des informations des chiffres en général, où les personnes décédées étaient incluses parmi celles guéries parce qu’elles “ne sont pas contagieuses”. Une méthode qui s’est révélée totalement inefficace dans les quartiers pauvres. Les travailleurs qui n’avaient pas d’autre choix ont continué à travailler, parfois jusqu’à la mi-mai, les aides promises par le gouvernement tardant à venir. Mais une réelle explosion du nombre de cas et la manifestation sociale qui a été réinventée ont mis en évidence que le problème sous-jacent est toujours le système économique. Au Chili, il existe « une santé pour les riches, et une santé pour les pauvres ». Cette « fracture » remonte à l’époque de Pinochet et sa série de réformes néolibérales, imposées dans un pays bâillonné par la répression.

Depuis octobre 2019, les chiliens et les chiliennes manifestent face à l’accroissement des inégalités, lié au manque de réponse gouvernementale face aux demandes des citoyens en matière de santé, d’éducation et d’économie. En temps de pandémie, les manifestations se sont poursuivies via les réseaux sociaux et les fenêtres des citoyens. Le référendum du 26 avril sur la rédaction d’une nouvelle Constitution, pour remplacer celle datant de la dictature militaire d’Augusto Pinochet, a quant à lui été reporté au mois d’octobre.

Le 19 juillet, sous le nom de Plan “Paso a paso” (Un pas après l’autre), le ministre de la Santé tente d’imposer une nouvelle stratégie de déconfinement pour relancer l’économie, mais sans consultation préalable du conseil d’experts et qui n’est pas non plus conforme aux directives de l’OMS ou des Nations unies. Cette stratégie a été désapprouvée par l’Association médicale et par la plupart des spécialistes scientifiques, ceux qui mettent en garde de la menace qui pèse sur le droit à la vie et à la santé des chiliens et chiliennes. En effet, à cette date, le taux d’incidence (proportion) était de 1.959,2 cas pour 100 000 habitants.

Prisonniers politiques mapuche* et grève de la faim

C’est dans ce contexte que depuis le lundi 4 mai, huit prisonniers politiques mapuche de la prison d’Angol, ainsi que le Machi Celestino Cordova –une autorité spirituelle détenue dans la prison de Temuco– ont entamé une grève de la faim pour exiger le respect de la Convention 169 de l’OIT, qui établit dans ses articles 8, 9 et 10 le respect de l’identité culturelle des peuples indigènes, même dans les situations pénales impliquant leurs membres, en donnant la préférence à des sanctions alternatives à l’emprisonnement. Cependant, les revendications des grévistes n’impliquent pas seulement la situation des prisonniers mapuches, mais demandaient également la libération des prisonniers politiques de la révolte d’octobre, dont beaucoup sont des mineurs. Il faut rappeler que lors des manifestations de révolte d’octobre, seuls les drapeaux mapuche et chilien étaient les principaux symboles des revendications du peuple.

En outre, les grévistes affirment être victimes d’une discrimination judiciaire de la part de l’État chilien. Depuis, d’autres prisonniers mapuches des prisons de Lemu et Temuco se sont joints à cette action, ce qui porte à 20 le nombre total de grévistes.

Selon les données officielles, entre mars et mai, 20% des détenus (13 000) ont été libérés à la suite des recommandations de l’OMS dans le contexte de la pandémie. Cependant, dans une action de discrimination évidente et en violation flagrante du principe d’égalité devant la loi, aucune de ces mesures n’a été appliquée aux prisonniers politiques mapuche.

Cette grève de la faim a donc un fondement légitime dans le droit international des droits humains que l’État chilien a signé et ratifié.

Un ministre pas comme les autres

Le 28 juillet, le président Piñera a procédé à son cinquième changement de cabinet au cours de son mandat. Le changement le plus profond concerne l’arrivée de Víctor Pérez au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité nationale, en remplacement de Gonzalo Blummel.

Quelques minutes après sa nomination, les réseaux sociaux brûlaient de plaintes pour dénoncer le passé de cet ancien maire nommé par le dictateur Pinochet lui-même. Ainsi qu’avec une organisation sectaire gérée par un vétéran nazi au sud du Chili, “Colonie de la Dignité”, endroit qui a également servi de centre clandestin de détention et de torture sous la dictature du général Pinochet.

Les craintes des secteurs alertés se sont rapidement confirmées. Le vendredi 31 juillet, le nouveau Ministre s’est rendu à Temuco, où il a rencontré des représentants de la police et a réaffirmé son discours “dur”, pour lequel il était connu au Sénat. Se référant aux Maisons communales occupées par des membres de la communauté mapuche, M. Pérez a exhorté les maires à “les expulser” et a soutenu qu’au Chili “il n’y a pas de prisonniers politiques”. Mais ce n’était pas une visite facile. Les communautés mapuche sont allées manifester au Bureau de l’intendant régional de l’Araucanie et ont été lourdement réprimés par la police qui les a empêchés de rentrer.

Au cours de la nuit du samedi 1 août, lors du couvre-feu instauré dans tout le pays –comme mesure préventive contre la propagation du COVID-19– des groupes d’extrême-droite ont attaqué les manifestants mapuche dans les localités de Curacautín, Victoria et Traiguén. Les émeutiers ont agi armés et ont mis le feu à des véhicules et à des drapeaux du peuple mapuche. La police et les autorités militaires ont laissé agir ces groupes fascistes sans intervenir ni procéder à des arrestations.

Le discours agressif du ministre de l’intérieur, Victor Pérez, lors de sa récente visite dans la région, fut renforcé par les déclarations d’un important homme d’affaires, Andrónico Luksic, qui, par le biais d’un tweet, a justifié la violence des particuliers en déclarant que “les citoyens ont pris en main la nécessité de rétablir l’ordre face au débordement de violence et à l’incapacité des autorités locales en Araucanie”. Cela montre que le fascisme qui germe sous l’individualisme et les inégalités sociales promues par le néo-libéralisme mondial ont enlevé leur masque.

Le peuple mapuche dénonce depuis des décennies les méfaits du modèle capitaliste sous sa forme néolibérale. Non seulement sur le plan matériel, où les conséquences de la dépossession sur leurs terres sont alarmantes, mais aussi autour des différentes parcelles spirituelles, culturelles et politiques qui soutiennent leur mode de vie et que la logique coloniale du capitalisme a historiquement étouffé. Ces assauts ont provoqué de multiples transformations dans le territoire et dans les formes de liens humains qui y ont lieu, obligeant les populations locales à perturber les cycles de production, à faire face aux sécheresses, aux fléaux, aux maladies et aux autres adversités découlant de l’expansion des modèles forestiers, énergétiques et miniers des multinationales dans les territoires mapuches.

La priorité de l’État chilien est de protéger les intérêts du capital, c’est pourquoi une grande partie du territoire en conflit est militarisée. Les communautés doivent faire face à des raids systématiques, des barrages routiers et une série de harcèlements récurrents, y compris des opérations avec des crimes mis en scène pour piéger leurs dirigeants, organisées par les services de renseignements.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur le terrorisme et le système démocratique, Ben Emersson, qui a été invité au Chili par le premier gouvernement de Piñera (2014), a recommandé une série de 32 mesures, dont aucune n’a été appliquée à ce jour.

Non au discours suprémaciste et raciste

Les revendications sociales qui ont explosé lors de la révolte d’octobre ont permis d’obtenir ce que les partis traditionnels n’ont jamais pu atteindre en 30 ans : l’unité des peuples du Chili. Des artistes, des défenseurs des droits humains, des associations professionnelles, des syndicats et des organisations internationales ont dénoncé et rejeté les actions du gouvernement. Ils ont également demandé le départ du ministre de l’intérieur et la visite des rapporteurs des droits humains de l’ONU.

D’autre part, Amnesty International a appelé à la condamnation de la violence à connotation raciste en Araucanie en précisant “qu’elle n’est acceptable en aucun cas”.

Le projet de réforme de la constitution chilienne, prévu pour le 25 octobre prochain, est une opportunité d’avancer dans le changement du régime politique et du système de propriété, ainsi que la reconnaissance du pays comme un État plurinational, à la condition que des secteurs organisés du peuple tels que travailleurs, mouvements sociaux, féminins, écologistes, étudiants,, peuple mapuche assument le pouvoir constituant et imposent une Assemblée Souveraine Constituante.