Photographie tirée de la page web de la JEP
Vous appréciez cet article ? Il a été écrit par un.e jeune stagiaire ou correspondant.e du Journal.
Bien que la campagne de financement du Fonds Jeunesse soit terminée, il est toujours possible d’aider la relève du journalisme engagé en cliquant sur le lien ici.
Toute contribution est appréciée !

Isabel Cortés, correspondante

Dans un moment historique pour le système de justice transitionnelle de la Colombie, six anciens commandants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), aujourd’hui dissoutes, ont reconnu leur responsabilité dans le recrutement forcé de plus de 18 000 enfants mineurs pendant le long conflit armé du pays. Cette reconnaissance, présentée devant la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) le 8 juillet 2025, constitue une étape cruciale pour confronter l’un des héritages les plus dévastateurs du conflit. Les ex-commandants ont qualifié le recrutement d’«acte injustifiable» ayant laissé des «cicatrices indélébiles» sur les victimes et la société colombienne. Toutefois, leur reconnaissance partielle des crimes connexes, en particulier les violences sexuelles, a suscité une controverse sur la profondeur de leur reddition de comptes.

Découvrez comment les mères colombiennes luttent contre le recrutement forcé des enfants, des adolescentes et des adolescents en 2025, dans notre article «Mères colombiennes : un courage indomptable contre le recrutement forcé des mineurs».

La JEP et le cas du recrutement forcé

Capture d’écran de la page web de la JEP

La JEP, créée dans le cadre de l’accord de paix de 2016 entre le gouvernement colombien et les FARC, a pour mission d’enquêter et de sanctionner les crimes graves commis pendant le conflit. Le macrodossier 07, l’une des enquêtes les plus importantes du tribunal, se concentre sur le recrutement et l’utilisation de mineurs dans le conflit armé, ainsi que sur les crimes de guerre associés, tels que la torture, l’homicide et les violences sexuelles. Selon la JEP, entre 1971 et 2016, les FARC ont recruté au moins 18 677 filles et garçons, la majorité des cas ayant eu lieu entre 1996 et 2016. Environ 5 600 de ces mineurs avaient 14 ans ou moins, malgré les règles internes des FARC interdisant le recrutement de mineurs de moins de 15 ans. Près de 300 mineurs demeurent portés disparus, selon les données du tribunal.

Les six ex-commandants inculpés dans le macrodossier 07 sont : Rodrigo Londoño, connu sous le nom de Timochenko; Jaime Alberto Parra, alias El Médico; Milton de Jesús Toncel, alias Joaquín Gómez; Pastor Lisandro Alape; Pablo Catatumbo, aujourd’hui sénateur; et Julián Gallo, connu sous le nom de Carlos Antonio Lozada, également sénateur du gouvernement colombien. En novembre 2024, la JEP les a inculpés pour crimes de guerre, y compris le recrutement forcé et d’autres violations graves, sur la base des témoignages de plus de 1 000 victimes. Bien qu’il n’existe aucune preuve que ces dirigeants ont directement ordonné ou perpétré les abus, les magistrats soutiennent qu’ils en étaient conscients.

Modalités de recrutement et violences associées

Le recrutement forcé de mineurs par les FARC a eu lieu dans presque tout le territoire colombien, à l’exception du département insulaire de San Andrés, Providencia et Santa Catalina. La JEP a identifié trois principales modalités : dans 57 % des cas, des menaces ou la force ont été utilisées; dans 28 %, des leurres tels que des promesses d’éducation ou de réunification familiale; et dans 15 %, une persuasion idéologique. Ces pratiques ont laissé de profondes blessures chez les victimes, dont beaucoup ont non seulement subi le traumatisme du recrutement, mais aussi des tortures, des violences sexuelles et des avortements forcés.

Un chapitre spécial du macrodossier 07 aborde les violences reproductives, incluant la contraception et les avortements forcés, ainsi que les mauvais traitements découlant de ces procédures. Cependant, le communiqué des ex-commandants, présenté le 8 juillet 2025, omet toute référence explicite à ces crimes, ce qui a suscité des critiques de la part des victimes et de leurs représentants et représentantes.

Juan Manuel Martínez, avocat principal de l’équipe de représentation judiciaire des victimes auprès de la JEP, a exprimé ses préoccupations : «La reconnaissance de responsabilité est à peine sommaire. Il n’y a pas de contribution complète, détaillée et exhaustive de ce qui s’est passé. Les ex-commandants adoptent une posture litigieuse, plus propre à un processus adversarial qu’à un dialogue restauratif.» Martínez critique le fait que les inculpés qualifient les crimes de violences sexuelles de «faits isolés», alors que les victimes affirment qu’il s’agissait de pratiques massives et connues de tous au sein des FARC.

Voix des victimes : histoires de résistance et de déplacement

Les histoires des victimes illustrent l’impact dévastateur du recrutement forcé. Dans des municipalités comme Lejanías, La Julia et El Triunfo, dans le département du Meta, les FARC ont tenté de recruter des mineurs dès l’âge de 5 ou 6 ans. Une victime, qui a fui avec sa mère en 2001 après l’assassinat de son père pour avoir tenté de protéger ses frères du recrutement, a raconté : «Les guérilleros arrivaient dans les écoles, entraînaient les enfants à marcher et à chanter, et évaluaient leurs capacités physiques pour les intégrer au groupe Los Pioneros.» Une autre victime se souvient comment sa famille a tout abandonné après avoir appris que son frère de 10 ans était dans la mire de la guérilla.

À ce jour, 10 065 victimes ont été accréditées dans le macrodossier 07, dont 8 903 appartiennent à des peuples autochtones tels que les Hitnü, Sikuani, Koreguaje, Bari et Cubeo. Pour garantir leur participation, la JEP a mis en place des mécanismes en personne et numériques.

Le Bureau du Procureur général de la Nation a défendu la reconnaissance de ces personnes comme victimes de recrutement illicite en tentative. Dans un recours en appel, le ministère public a soutenu que leur refuser ce statut contrevient aux principes de la justice transitionnelle et à la définition constitutionnelle de victime. «Il est évident que les personnes requérantes ont subi des violations de leurs droits humains et doivent être reconnus dans le macrodossier 07», a affirmé le Bureau du Procureur, citant le Code pénal colombien et le Statut de Rome.

La réponse des ex-commandants et le chemin vers la justice

Dans leur communiqué, les ex-commandants ont exprimé leur engagement à «contribuer à une vérité qui éclaire ce qui s’est passé, favorise la justice, la réparation et la non-répétition». Ils ont également demandé l’unification des enquêtes de la JEP pour accélérer le processus et garantir une «sécurité juridique» pour ceux qui ont signé l’accord de paix. Cependant, leur absence de mention des violences sexuelles et reproductives a été interprétée comme une limitation dans leur contribution à la vérité.

La JEP évaluera maintenant si le document de 400 pages remis par les ex-commandants constitue une reconnaissance suffisante des faits. Si tel est le cas, le tribunal fixera une audience publique pour l’admission formelle de responsabilité, ce qui pourrait mener à des sanctions restauratives axées sur la réparation des victimes. La JEP a souligné que ni le recrutement ni les violences sexuelles ne sont des crimes amnistiables, mettant en évidence la gravité de ces délits.

Une dénonciation mondiale contre le recrutement forcé en Colombie

La communauté internationale observe attentivement comment la Colombie traite ces blessures collectives. Cependant, il est crucial de dénoncer constamment que, tandis que les ex-commandants font face à la JEP, le recrutement forcé continue de dévaster des communautés, en particulier les enfants autochtones.

Un rapport de l’ONU (2024) a vérifié 450 cas de recrutement à l’échelle nationale, une augmentation de 60 % par rapport à 2023, les enfants autochtones et afrodescendants étant les principales victimes. En juillet 2025, le Bureau du Défenseur du peuple a averti que la moitié des personnes mineures recrutées en Colombie sont autochtones, victimes de groupes armés qui exploitent leur connaissance du territoire.

Découvrez la résistance du Mouvement national des mères et femmes pour la paix et de la Garde interculturelle humanitaire, qui ont sauvé neuf mineurs en 2025, dans notre article «Mères colombiennes : un courage indomptable contre le recrutement forcé des mineurs».

Sources :

  • Juridiction spéciale pour la paix (JEP), communiqués officiels, 2024-2025.
  • Entretien avec Juan Manuel Martínez, avocat des victimes, 8 juillet 2025.
  • Bureau du Procureur général de la Nation, recours en appel, janvier 2022.
  • Rapports des victimes accréditées dans le macrodossier 07, octobre 2024.
Article précédent(Re) penser l’écosocialisme : faire corps avec la crise
Isabel Cortés
Isabel Cortés est journaliste colombienne avec plus de 14 ans d’expérience en journalisme d’investigation et en conseil pour les publications scientifiques. Son parcours s’est concentré sur la défense de la liberté de la presse, des droits humains et la promotion d’un journalisme indépendant et à impact social. Jusqu’en 2023, elle a occupé le poste de Directrice numérique de la Corporation des Journalistes du Valle del Cauca en Colombie, où elle a dirigé des stratégies visant à renforcer la profession journalistique et à promouvoir un environnement informationnel plus juste, libre et sécurisé pour les journalistes et celles et ceux qui défendent les droits humains.