Le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au cœur de Beyrouth, ressemble plutôt à un abri : des ouvriers journaliers égyptiens, soudanais, éthiopiens, et, évidemment, l’ajout important des déplacés, que ce soient des palestiniens de Syrie ayant fui les camps du pays dans lequel ils vivaient avant la crise, ou, simplement, des syriens pauvres.
Doha Chams, publié dans Assafir al Arabi, 28-03-2019
«Il y a longtemps, nous habitions cette rue
Chaque jour, elle rétrécissait un peu plus
Aujourd’hui nous sommes trop grands pour elle
Et comme le ventre d’une mère,
Nous n’y avons plus notre place»
Il n’y a sans doute pas plus sincère que ces vers du poème populaire de l’égyptien Salah Jahine pour décrire le camp de Chatila qui «était» aux réfugiés palestiniens avant qu’il ne devienne un mélange de nationalités, de murs et de câbles auxquels s’ajoutent, pour plus de confusion, le vacarme des lieux exigus, le cri des gens fatigués et en colère, et ce qu’aucune photo ne peut capturer d’odeurs de poubelles, de grondements de mobylettes qui traversent les ruelles étroites qui étaient des rues avant d’être rongées par des immeubles contraints à l’élargissement par le gonflement de la population.
Aujourd’hui, le camp ressemble plutôt à un abri : des ouvriers journaliers égyptiens, soudanais, éthiopiens, et, évidemment, l’ajout important des déplacés, qu’ils soient des palestiniens de Syrie ayant fui les camps du pays dans lequel ils vivaient, ou, simplement, des syriens pauvres.
Ainsi, le nombre des habitants de Chatila, si l’on peut qualifier «d’habitants» ceux contraints à y rester, est estimé à 22 ou 25 mille êtres humains qui, dans une superficie ne dépassant pas le kilomètre carré, vivent dans des conditions inhumaines. Il se disait du camp qu’il était surpeuplé lorsqu’il n’abritait que 6 mille réfugiés. Que peut-on en dire aujourd’hui? J’ignore s’il existe un mot capable de signifier ce degré de surpeuplement.
Mon hôte désigne un point, à quelques 200 mètres d’une «rue» principale au milieu de laquelle nous nous tenons et dit «le camp commence là-bas» puis il montre un autre endroit, également à quelques 200 mètres de distance, et continue «et il se termine là-bas». «C’est tout?» je demande, stupéfaite, «Mais comment cet espace restreint peut-il contenir tout ce monde?». Jamal Al-Hendaoui, le chef des scouts de «Yaabad», esquisse un sourire cynique et pointe vers le haut. En suivant le mouvement de son doigt, on découvre, à travers un réseau dense et entremêlé de câbles électriques, cordes à linge et autres tuyauteries, des étages superposés qui se frôlent et dont les balcons s’entremêlent presque aux fenêtres de l’immeuble d’en face. Le camp a gonflé horizontalement ce qui a provoqué une explosion verticale. Ce sont les lois de la physique!
Je suis mon hôte à travers les allées, les yeux comme une caméra qui enregistre tout ce que laissent entrevoir les portes ouvertes des maisons. Il fait sombre dans les ruelles, bien que nous soyons en plein jour. A la lumière blanche des «néons» on aperçoit, à l’intérieur des appartements, des femmes rendues presque floues par le brouillard de la vapeur des cuisines, occupées à crier sur leurs enfants. On découvre des bizarreries architecturales comme ce balcon qui s’élève à quelques centimètres du sol inondé d’eau. On ne comprend pas s’il s’agit de la pluie, qui, en tombant, a dû mouiller d’abord le réseau de câbles électriques au-dessus de nos têtes, ou si l’eau qui coule sous nos pieds et dans laquelle pataugent des enfants chaussés de souliers en plastique à la poursuite d’un chat, vient en fait, de la bouche d’un égout. Des mobylettes roulant à toute vitesse, sans prendre la peine de ralentir pour éviter les gens, poussent les enfants et nous poussent.
«Comment s’appelle cette rue?» je demande à Jamal, tout en me collant au mur pour laisser passer la mobylette à l’entrée du camp, du côté de «Ard Jaloul». «Elle n’a pas de nom» me répond-il avec assurance. Même pas un nom comme ça, juste pour indiquer l’endroit? «Alors oui, on peut l’appeler le quartier des libanais ou du studio moderne»… Studio?! Il rigole et raconte qu’il y a longtemps il y avait là un studio où ont été produits les plus grands films de cinéma. Et, effectivement, on découvre que le film ds frères Rahbani et de la grande Fairuz, «le vendeur de bagues», a été enregistré dans ce studio qui a été détruit par le bombardement israélien de 1973, alors qu’il servait de locaux à l’organisation «Assaïqa» (proche du régime syrien) Aujourd’hui, l’école technique de Hariri occupe l’endroit, au côté d’un marché en plein air et de quelques immeubles.
Il y a un mode spécial d’acquisition foncière dans le camp qui repose sur l’enregistrement du propriétaire ou du locataire auprès du Comité Populaire du camp. Dans de nombreuses circonstances, ce Comité est considéré par l’Etat Libanais lui-même comme la référence, puisque les palestiniens n’ont pas le droit de devenir propriétaires au Liban(1).
Ziad Hamou, le Secrétaire du Comité Populaire de l’OLP, explique la cartographie surréaliste du camp comme étant la conséquence de «l’exploitation de l’augmentation de la population par les commerçants des bâtiments» et rajoute «ils se sont mis à construire des immeubles de 10 étages alors que le maximum autorisé était de 3. Il n’est pas possible pour nous de s’étendre en dehors du camp puisqu’il est entouré par des propriétés privées».
D’après Hamou, le camp de Chatila compte environ 5 mille unités d’habitation, ce qui représente à peu près 25 mille personnes «si l’on considère que la famille moyenne est constituée de 5 individus seulement. De ces 25 mille, moins de 8 mille sont palestiniens – libanais(2)!» Et il rajoute «cette proportion change selon les fluctuations du coût de la vie qui pousse de plus en plus de pauvres à venir vivre dans le camp. C’est pour ça que tu trouves ici des libanais, des syriens, des palestiniens – syriens, des palestiniens – libanais, il y a ceux du camp de Tal al Zaatar(3) qui ont trouvé refuge ici, ceux du camp de Nabatiyeh(4) et de Jisr el Bacha(5), et une partie des habitants du camp de Nahr el Bared(6) qui n’ont pas encore récupéré leurs logements». Puis il dit, «selon les dernières statistiques, publiées par le Comité de dialogue libano-palestinien – qui a recensé 174 mille palestiniens au Liban – chiffre avec lequel nous ne sommes pas d’accord, le nombre de palestiniens à Chatila est aujourd’hui de 4 mille. Mais l’organisme de l’UNRWA dit qu’il y a 8 mille palestiniens inscrits chez eux. Nous estimons qu’ils sont moins nombreux parce que beaucoup d’inscrits ont quitté le camp à cause du surpeuplement et de la dégradation des services, louant leurs appartements aux nouveaux venus».
Mais comment fonctionne le marché qui a conduit à cette construction chaotique, dangereuse pour la sécurité publique? Il répond «il y a plusieurs façons de vendre. Il y a la vente du plafond et son air, qui permet de construire un seul étage, ou la vente de tout l’air qui t’autorise à construire autant d’étages que tu veux!», «et combien coute le mètre d’air?» Je demande, sur un ton amusé. Il répond, en riant «entre 3 et 5 mille dollars».
Ce changement démographique n’a pas commencé avec le déplacement des syriens en 2011 mais « après la guerre des camps», dit Jamal Al-Hendaoui: « à ce moment-là, beaucoup d’habitants du camp sont partis et de nouveaux gens sont venus à leur place, la plupart des palestiniens – syriens ou des syriens qui sont devenus propriétaires à l’intérieur ». Al-Hendaoui donne un exemple, « Dans le quartier Ouest du camp et dans le quartier du Horsh, au sud, il y avait parmi les habitants une grande densité de palestiniens, à peu près 70%, mais après l’invasion israélienne, le massacre (de Sabra et Chatila en 1982) et la guerre des camps (1985-1988), la proportion de palestiniens dans ces endroits est descendue à 50%!».
Jamal explique la prolifération de la construction illégale par un pouvoir de fait sur les décisions du camp, «il y a le camp, et il y a ses environs ou certains des nôtres ont construit profitant d’opportunités politiques, comme par exemple la présence syrienne (1976 – 2005) qui a soutenu et couvert certains groupes. Ils ont donc construit, soit sur le domaine public soit sur des terrains autour du camp après avoir supposément obtenu l’autorisation de leurs propriétaires».
Pour comprendre le degré de gravité de la construction illégale et l’absence de règles de sécurité, Jamal nous raconte qu’il y a 40 ans il a bâti sa maison sous la supervision d’ingénieurs de l’UNRWA (organisme des Nations Unies créé en 1949 pour gérer la situation des réfugiés palestiniens), et que les fondations ont été posées conformément à un plan. Il rajoute qu’entre 1975 et 1980, «l’immeuble le plus haut dans le camp était la maison de Abou Kassem Al Hajj qui ne faisait que 3 étages, en plus d’une pièce en étain sur le toit, où ses jeunes fils passaient leurs soirées. Debout sur le toit d’Abou Kassem, on pouvait voir toute la montagne. Aujourd’hui pour voir la montagne, il faudrait monter au huitième étage. 70% des maisons du camp faisaient un seul étage. Il y avait des rues dans le camp, aujourd’hui il n’y a que des ruelles. Dans notre rue, une voiture pouvait passer… Et, la rue par laquelle nous sommes entrés, du côté de Ard Jalloul, pouvait accueillir deux voitures, en aller-retour, en plus des deux trottoirs… elle faisait 12 mètres. Aujourd’hui, elle fait à peine 4 mètres».
Comment cela s’est-il passé? Par la loi du grignotage lent, par l’absence de surveillance et de répression des infractions. Al-Hendaoui donne un exemple « En face de chez nous, la voisine avait un rez-de-chaussée, elle a construit une pièce sur le toit à laquelle elle accédait par un escalier en bois… Dieu lui a donné les moyens, alors elle a construit un escalier qui part de la rue ! Evidemment, mon père s’est fâché, a contesté… mais tous les voisins se sont ligués contre lui sous prétexte que c’était une pauvre femme ». L’histoire ne s’arrête pas là, « après la guerre des camps, elle a mangé un mètre supplémentaire de la rue pour agrandir sa maison et un autre pour construire un nouvel escalier! A ce moment-là, mon père aussi a pris 80 cm de la rue, qui est devenue une ruelle» puis il dit «un scenario similaire s’est répété dans tout le camp».
Majida Jawad, coordinatrice du programme des droits des femmes dans l’association Najdeh, qui a quitté les lieux après la «guerre des camps» (1985–1988), assure qu’il «y a des immeubles voués à l’effondrement à Chatila ». Elle rajoute que « pendant cette guerre entre nous et nos frères chiites (ndlr. Le mouvement «Amal» soutenu alors par l’armée syrienne) on a construit des remblais de terre autour du camp puisqu’il était exposé de tous les côtés aux snipers basés dans les immeubles en hauteur. Après la guerre, quand les gens ont voulu reconstruire leurs maisons détruites en bordure du camp, notre association a supervisé l’opération et nous avons distribué du métal pour assurer des fondations solides, nous avons aussi voulu que les immeubles fassent 4 étages, donc plus hauts, en « prévention » d’autre guerres et snipers ! Mais, après cela, il y a eu un désordre qui a été exploité par les comités populaires. Ils se sont mis à vendre des autorisations à 100 dollars à quiconque voulait ajouter des étages, sans prendre en considération la capacité de support des fondations. Puis, il y a même eu des immeubles sans fondations, qui sont aujourd’hui voués à l’effondrement ». Oum Nader rajoute « par ailleurs, à cause de leur hauteur, ces immeubles ont bloqué le soleil de tous les côtés, alors l’humidité s’est infiltrée dans les appartements à tel point qu’il goutte à l’intérieur et lorsqu’on soulève le matelas du sol, il est imbibé d’eau… tu imagines ! C’est pour ça que l’asthme s’est proliféré chez les résidents. Et, à cause de l’absence de soleil et de l’exiguïté du lieu, la dépression, l’hypertension et le diabète se sont aussi répandus ». Puis, elle donne un exemple, «lorsque je suis au bureau dans le camp, j’ai toujours l’impression qu’il pleut dehors mais quand je sors, je suis surprise par un temps ensoleillé… Il «pleut» uniquement à l’intérieur des immeubles du camp».
Les bidonvilles ont d’autres «inconvénients» traditionnels comme l’entassement des ordures, l’infestation des insectes, auxquels s’ajoutent des fléaux sociaux tels que le chômage, la violence, les drogues et, probablement, la prostitution… alors, lequel de ces problèmes est le plus urgent ? Ziad Hamou répond vite, «le chômage» avant d’expliquer, «quelqu’un qui n’a pas de travail va chercher n’importe quelle source d’argent. Par extension, il est possible que cette source soit n’importe quoi». Jamal Al-Hendaoui insiste sur le même point. Il dit, «il y a un peu de racisme traditionnel, lié au chômage grandissant, à la forte concurrence et à l’accès limité aux emplois. Avant la crise, il y avait peu de travail dans mon domaine en tant que polisseur de sols, à cause de la forte concurrence des syriens dans le secteur du bâtiment. Mais, depuis la crise syrienne, il n’y a plus de travail du tout. Moi par exemple, je n’ai pas travaillé une seule fois depuis 5 ans. Aujourd’hui, il y a même une forte concurrence entre les syriens qui sont au Liban depuis longtemps et leurs frères récemment déplacés, à tel point que les anciens ont commencé à se plaindre que les nouveaux venus «leur ont pris tout leur travail» … Beaucoup de gens ont dû changer de métier à cause de ça».
Le chômage, le manque de perspective et une vie dans l’obscurité ne rendent-ils pas évidente la question de la drogue ? Hamou ne nie pas que ce problème est « bien présent mais pas dans les proportions que présentent les médias ». Je lui réponds qu’il avait fait la même déclaration il y a deux ans dans une interview, est-ce que cela veut dire que les choses n’ont pas changé? Il dit «il y a un problème, cela ne fait pas de doute, mais les grosses têtes se sont liquidées entre elles». Et donc, personne ne leur a succédé? «Si, il y a un type, par exemple, qui deal même des cigarettes, il possède aujourd’hui trois appartements dans le camp parce qu’il était couvert par l’une des organisations. Mais j’en ai parlé hier avec un des responsables de la sécurité et son cas va être bientôt traité».
Cependant en parlant avec certains des habitants du camp, il semble que le problème soit bien plus important. Une femme que nous avons rencontrée affirme que la vente et la consommation de drogues sont devenues se pratiquent publiquement à Chatila. Elle parle en connaissance de cause, puisque son mari consommait. «Dans la rue d’Ariha, ils fument du cannabis en public et ils vendent de la drogue en public. Je les ai vus de mes propres yeux. Je n’habite pas loin d’eux. On voit des voitures étrangères au camp qui viennent, se garent au bout de la ruelle et disent «donnes-moi pour 10 mille ou 20 mille livres». Le soir tu ne peux pas traverser la ruelle, à cause de l’odeur. Avant, il y avait une certaine pudeur, aujourd’hui ils n’ont même plus honte. Même mon mari fumait dehors parce qu’il était gêné de le faire devant moi. Tu trouves des bouteilles cassées de « Simo » (un sirop contre la toux utilisé comme stupéfiant) dans la ruelle. Une fois, j’ai trouvé des pilules de «Tramadol» (un opioïde) dans les affaires de mon mari. Il y a beaucoup de variétés différentes, en plus de la cocaïne et de l’héroïne ». De la cocaïne et de l’héroïne ? Ce sont pourtant des drogues chères ! Elle répond, « On entendait les cris du fils de nos voisins lorsqu’il était en manque, son hurlement devenait semblable aux cris des animaux et faisait peur aux enfants. Tout son salaire passait dans la cocaïne».
«Notre camp n’est pas fermé » dit Ziad Hamou et il rajoute, «on peut en sortir et y entrer librement. Aucune des entrées n’est gardée : ni celle de Sabri Hamadeh, ni du côté de la station Mokdad, ni celle d’Ard Jaloul, ni l’entrée de l’UNRWA, ni celle du dépotoir principal en direction de la fosse commune»(7).
L’entrée du dépotoir principal ! Mon Dieu! Il y a donc une entrée du nom d’une déchèterie ! Sur place, nous découvrons que c’est bien pire. Il s’agit en fait d’un centre énorme de tri de déchets. Ici, ceux que nous rencontrons dans les rues de Beyrouth en train de fouiller les poubelles, se retrouvent pour décharger leurs trouvailles. L’espace est très grand, rempli d’odeurs, de saleté et de ferrailles. Il pleut des cordes, des canaux de «jus de poubelle» coulent en direction du camp qui se trouve en contrebas. Peut-être que la présence d’un endroit comme celui-ci, collé au camp, a désespéré les gens de la propreté et les a poussés à négliger les tas d’ordures entassés dans leurs ruelles et sous leurs fenêtres? Je demande à Jamal: «l’UNRWA n’est pas censé ramasser les poubelles?» Il répond que le problème de l’UNRWA c’est qu’il travaille «sur des normes unifiées dans tous les endroits, indépendamment des spécificités de certains lieux, par exemple, selon leurs critères, pour chaque mille personnes, il doit y avoir un médecin et sept éboueurs… Evidemment, leur recensement se base sur les réfugiés inscrits chez eux. Pour Chatila, ils estiment le nombre de palestiniens – libanais à environ 6 mille. Les services de l’UNRWA ne concernent donc que ces 6 mille, et pourtant, il y a bien 25 mille habitants qui jettent leurs déchets dans le camp. Il faut ajouter à cela le non-respect des horaires de ramassage. L’état des ordures a conduit à une infestation sans précédent de nouveaux genres d’insectes d’intérieur, tels que les gros cafards, les rats et les essaims de mouches ou de moustiques».
Les «invités» n’ont pas de chefs – se plaint Jamal – contrairement aux palestiniens originaires de l’endroit ». Et les comités populaires? Ils ne peuvent pas imposer un système ? Il répond, «ni les comités, ni le Liban. Personne ne peut imposer quoi que ce soit. On fait partie de cette société. Je suis né et j’ai grandi ici. J’ai fini par me comporter comme cet endroit».
Est-ce que cela résume tous les problèmes des habitants des lieux informels? Evidemment, non. Il y a également le harcèlement et la violence. Hier, un palestinien – syrien a été tué dans le camp par un coup de poignard, après un désaccord autour de la fermeture d’une fenêtre pour faire passer des câbles électriques. Le syrien a mal parlé au palestinien qui lui a sauté dessus pour se battre, le syrien lui a porté deux coups de poignard, le palestinien, poignardé, a alors saisi l’arme des mains de son agresseur pour lui porter un coup fatal. Ce qui est étonnant est que tous deux étaient, d’après les témoins de la scène, sous l’emprise de la drogue. C’est un exemple parmi tant d’autres.
Les femmes et les enfants, étant le maillon faible, sont les premières victimes de la violence dans le camp, en plus de celle, morale, que les conditions de vie inhumaines font subir à tous les habitants. Mais les femmes, comme le dit Majida Jawad, «se taisent généralement par compassion pour leurs maris et par peur que leurs enfants ne terminent dans la rue terrifiante».
A propos de la violence et la drogue, Ziad Hamou, le responsable du Comité Populaire de Chatila, assure que leur présence reste inférieure aux autres camps. J’ignore si cette déclaration, après tout ce que nous avons vu dans le camp véritablement meurtri de Chatila, était une invitation à la détente. Mais, une proche de l’assassin du syrien nous a dit que les agents de police du commissariat ou son proche a été arrêté lui ont déclaré, «Le camp de Ain el Hilweh a la réputation d’être le plus dangereux du Liban mais, en réalité, c’est Chatila le pire».
Dans tous les cas, il est impossible de ne pas être en colère face à l’état du camp qui est victime aujourd’hui d’un massacre sans doute plus horrible encore que celui qui a été commis sur sa population par Israël et ses milices en 1982.
________________
1. Les palestiniens pouvaient devenir propriétaires au Liban d’après un décret émis en 1969 qui a été modifié en 2001. La nouvelle Loi 296, promulgue désormais que « Il n’est accordé aucun droit des droits de propriété immobilière a une personne ne portant pas une nationalité issue d’un pays reconnu, ou à la Constitution qui interdit la naturalisation des Palestiniens ».
2. Les palestiniens sont répartis selon le pays d’accueil. Ce terme désigne donc les palestiniens enregistrés au Liban et portant carte de séjour spéciale.
3. Le camp de Tal al Zaatar était situé au Nord-Est de la capitale Beyrouth. Il a été détruit en 1976 lors d’un massacre, après 52 jours de siège par les milices chrétiennes libanaises de droite et les forces du régime syrien qui les soutenaient. Il se dit que les habitants du camp ont mangé de la viande de chien et de chat, et que certains sont morts de soif. Le massacre de Tal al Zaatar a fait près de mille victimes.
4. Le camp de Nabatiyeh, situé au Sud du Liban, a été détruit par le bombardement israélien de 1974.
5. Détruit par les milices chrétiennes libanaises de droite qui y ont commis, au début de la guerre civile, un massacre qui a fait plus de 200 victimes.
6. Bien que 12 années se soient écoulées depuis les affrontements entre l’armée libanaise et « Fatah al-Islam » qui ont détruit le camp le plus connu du Nord du Liban, en 2007, beaucoup d’habitants de Nahr el Bared, toujours « en exil » en dehors du camp, attendent la reconstruction de leurs habitations.
7. La fosse commune du massacre de Sabra et Chatila qu’ont commis les milices chrétiennes libanaises de droite sous la supervision de l’armée d’occupation israélienne, en 1982.