Le brutal assassinat de George Floyd aux États-Unis mais aussi celui de Breonna Taylor, sont l’expression la plus violente du racisme, structurel et institutionnel aux États-Unis où la police joue son rôle répressif. Les femmes, en particulier chez les personnes racisées ont été les premières au front pendant la pandémie, et aujourd’hui, les images de femmes dans les révoltes en cours, sont difficiles à ignorer.
Il y a quelques jours à Minneapolis, aux États-Unis, au milieu de la crise sanitaire et économique que nous traversons, George Floyd, 46 ans, a été brutalement assassiné par la police. Le 13 mars dernier, Breonna Taylor, une ambulancière paramédicale de 26 ans, était elle aussi assassinée par la police à Kentucky. La police s’est introduite de force en pleine nuit, avec un mandat de perquisition, chez elle alors qu’elle dormait. Son compagnon, s’est défendu avec une arme, ce qui est légal aux États-Unis, et la police a répliqué en tirant plus de 20 balles sur le couple. Breonna T. a été atteinte d’au moins huit balles. Son compagnon a été arrêté pour tentative de meurtre (alors qu’il se défendait). Les policiers qui ont tué Breonna jouissent depuis d’une totale impunité.
Les violences policières racistes touchent majoritairement les hommes, mais le racisme institutionnel, inscrit dans l’ADN des États, touche aussi les femmes noires qui souffrent d’inégalités et d’oppressions « croisées » de part leur sexe, leur race et aussi pour nombre d’entre elles de part leur classe sociale. #SayHerName, est un hashtag qui est apparu sur les réseaux sociaux en lien avec les assassinats de femmes noires aux États-Unis afin de signifier qu’elles sont importantes aussi. La première fois c’était en 2015 suite à l’assassinat de Sandra Bland après son arrestation. Il a été lancé par des membres de la communauté noire et par des organisations féministes pour pallier à l’absence du nom de ces femmes dans les grands médias. Aujourd’hui, #SayHerName est repris pour que justice soit rendue à à Breonna Taylor. Ce 5 juin, jour de son anniversaire, les habitants de Kentucky ont envoyé des lettres d’anniversaire avec le nom de Breonna au juge en charge de l’affaire.
Ce morts ont ravivé la question explosive des violences policières racistes à l’encontre des afro-américains, et plus généralement celle de la profondeur du racisme aujourd’hui aux Etats-Unis qui affecte les afro-américains dans tous les aspects de leur vie. C’est d’ailleurs la persistance de ces inégalités, renforcées par la pandémie de coronavirus qui a tué particulièrement les noirs américains et les a exposé violemment au chômage, aux licenciements, qui pourrait être l’une des causes de la massivité de la mobilisation ainsi que de la présence de nombreux jeunes, et jeunes femmes dans les manifestations. Ces derniers et dernières sont discriminés dans leur parcours scolaires, leurs études, leur accès à l’emploi et forment une part importante des jeunes travailleurs précaires. Particulièrement sensibilisés à la question des violences policières, du racisme ainsi que du sexisme, ces jeunes et notamment de nombreuses jeunes femmes sont descendus massivement dans la rue depuis la mort de George Floyd pour exprimer leur colère contre les violences policières mais aussi contre Trump. Plusieurs éléments peuvent nous aider à comprendre les racines de ces révoltes et leurs visages féminisés.
“Premières lignes” racisées et féminisées
Aux États-Unis, comme en France et partout dans le monde, ceux qui ont été en « première ligne » du Covid, parmi lesquels on trouve une majorité de femmes et de personnes immigrées et racisées, ont été les plus touchés par les conséquences, sanitaires et économiques de cette crise. Aux États-Unis, la majorité des victimes mortelles du COVID 19 sont noires et pauvres : à Chicago, les noirs représentent le tiers de la population mais 73% des morts de la pandémie. À Milwaukee, au nord, les noirs représentent 26% de la population mais 81% des morts. Ces chiffres sont dus, d’une part, au difficile accès à la santé pour les personnes afro-américaines mais aussi au fait que, 40% des noirs non pas de domicile fixe et 21% vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ils sont une partie importante des travailleurs au front et sont aussi très nombreux parmi les 40 millions de chômeurs supplémentaires, chiffre qui ne cesse d’augmenter. Les femmes, elles, de part leur surreprésentation dans les secteurs des services, représentent près de 60% des postes perdus depuis début avril.
Ce sont aussi eux qui ont risqué leurs vies pour nettoyer les hôpitaux, les EHPADS, les transports publics. Ces « premières lignes » sont celles qui font tourner, aux côtés du personnel soignant, les hôpitaux, principaux lieux de bataille contre la pandémie. Selon une étude du CEPR sur la composition démographique des premières lignes aux États-Unis, 54% des travailleurs du transport public ne sont pas blancs. Dans le secteur de la grande distribution, ils sont près de 40%, et les femmes, autour de 50%. Chez les travailleurs du nettoyage, les populations “non-blanches”, représentent 60% du personnel. Dans le secteur de la santé, où les femmes sont plus de 70%, les “non-blancs” sont aux alentours de 40%. Concernant les chiffres du chômage, même si les femmes ont un taux de chômage plus faible du fait de chercher moins fréquemment un travail rémunéré en dehors du foyer, il existe une différence importante entre les femmes blanches et noires : les premières ont un taux de chômage de 2,8% et les secondes de 5,5% (données de State of Working America).
L’oppression patriarcale est décuplée pour les femmes migrantes qui subissent les lois xénophobes, la persécution et les violences policières ainsi qu’une exploitation plus importante. Selon des données de State of Working America, l’écart de salaire entre les sexes (20,3%), s’additionne à l’écart de salaire entre les personnes racisées et non racisées. Les femmes noires gagnent moins que leurs collègues blanches mais aussi moins que leurs collègues hommes noirs. D’ailleurs, l’écart est plus important entre femmes de différentes ethnies (18,45%) qu’entre personnes noires de sexes différents (8,64%), ce qui montre la profondeur du racisme. Près de 60% des femmes noires participent de la main d’oeuvre américaine, mais seulement 50% de ces travailleuses ont un accès à la couverture de santé au travail. De plus, aux États-Unis, dans la moitié des foyers avec des enfants de moins de 18 ans, le seul ou le principal revenu provient du salaire d’une femme. Ceci est d’autant plus fréquent chez les travailleuses noires qui, dans 79% de leurs foyers, sont les principales à faire rentrer des revenus. Ce à quoi s’ajoute, tout le travail domestique non-rémunéré, souvent réalisé par les filles ou autres membres féminins de la famille. Cette « double peine » fait que les femmes sont les grandes perdantes dans la sécurité sociale. Au moment de leur retraite, elles recevront le montant mensuel égale à un tiers de la retraite totale d’un homme blanc. Comme le dit l’activiste afro-américaine et féministe Angela Davis, “être femme est un désavantage dans cette société machiste, mais imaginez être femme et en plus noire”.
Les jeunes femmes noires sous les projecteurs dans la lutte contre le racisme et les violences policières
Aux Etats-Unis, coeur de l’impérialisme, et malgré les couvres-feux et les intimidations policières, de nombreuses villes continuent d’être secouées par des révoltes, reprenant le mouvement des Black Lives Matter pour que justice soit rendue à George Floyd et tous les Noirs-américains assassinés par la police ces derniers mois. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont celles et ceux qui font entendre le combat au-delà des rues. Les contestations ont d’ores et déjà dépassé les frontières américaines. Nombreux ont été les rassemblements en Europe, dans des villes comme Paris, où la manifestation du 2 juin a réuni 40 000 personnes.
Les femmes afro-américaines ont toujours été au devant de la scène dans la lutte contre le racisme tout au long du XXème siècle, dans l’historique mouvement pour les droits civiques des afro-américains jusqu’au mouvement Black Lives Matter de nos jours. Les femmes, principalement les femmes jeunes et racisées, sont aujourd’hui en première ligne de ces révoltes. Les violences policières, les taux élevés de chômage, la précarité ou les difficultés pour accéder au logement, et même à la santé, spécialement aux États-Unis, mais aussi les violences sexistes et sexuelles, poussent toute une jeune génération à prendre les rues. Une génération qui se méfie, de plus en plus, du système capitaliste et du monde qui nous promet et qui crie l’envie d’un autre monde, ne veut plus rester silencieuse. « I’m done being silent » (Je ne serai plus silencieuse) ou « I’m part of history » (je fait partie de l’Histoire) déclarent dans ce sens des jeunes femmes aux médias. A ce titre, Tamika Mallory, l’une des figures des révoltes en cours, dont le discours prononcé à Minneapolis a fait le tour du monde, a un parcours militant qui témoigne de la politisation de cette jeune génération. Militante anti-raciste, elle a fait partie des organisatrices de la marche des femmes en 2017 contre l’investiture de Trump, pour les droits des femmes, les droits LGBT ou encore pour la question migratoire et contre le racisme. Elle symbolise, d’une certaine manière, la colère profonde de toute une génération, et la rupture qui est entrain de s’opérer avec les partis institutionnels jusqu’aux démocrates, sans qu’il y ait encore une alternative à l’extrême gauche.
Ainsi, le racisme institutionnel, ancré dans l’histoire de l’esclavage et du pillage des terres indigènes, et les crimes policiers racistes ont été le détonateur d’une colère profonde contre tout ce que représentent Donald Trump et ses prédécesseurs qui, malgré les promesses dont celles d’Obama, n’ont jamais mis fin au racisme, ni aux inégalités de genre et y ont plutôt contribué. Ces révoltes contre le meurtre de George Floyd pourrait s’étendre à une rébellion contre les inégalités, les violences, les oppressions qui se reproduisent continuellement et quotidiennement. Et alors même que le rejet du capitalisme est grandissant depuis 2008 et que idées socialistes sont de retour aux Etats-Unis notamment dans la jeunesse, il est possible que dans un contexte de crise sociale et économique, de chômage massif, mais aussi de perte de confiance dans les institutions et les partis politiques, y compris les démocrates, qu’une partie du mouvement contre les violences racistes se radicalise et se détourne des voies institutionnelles ou encore commence à se lier aux mobilisations du monde du travail. Une perspective qui dans le contexte actuel effraie Trump, Joe Biden ainsi que la scène politique internationale qui ont les yeux rivés sur le pays du néolibéralisme et des Chicago Boys.