Charmain Lévy
(extrait de Enjeux et défis du développement international, PUO, 2014)
L’étiquette « ONG » remonte à la formation de l’ONU après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Mandaté par l’Assemblée générale, un Conseil économique et social de l’ONU créée un statut institutionnel non étatique pour des organisations religieuses ou philanthropiques. Aujourd’hui, les ONG se sont décuplées, mais on les trouve surtout au Sud où il en existe des centaines de milliers. Elles fonctionnent souvent comme des courtiers ou des intermédiaires entre les détenteurs de ressources — gouvernements du Sud ou du Nord et agences non gouvernementales ou multilatérales — et les populations ou communautés bénéficiaires — les pauvres, les minorités, ainsi que leurs communautés et organisations.
Les ONG véhiculent le désir de contribuer à sauver les populations de la misère; leur vision sociale de convivialité et de rapports harmonieux. Elles insistent sur l’importance d’intégrer les personnes visées dans les objectifs à atteindre, sur le rôle de l’individu dans l’action et sur la non-violence active comme moyen de changer les sociétés. On pourrait décrire les ONG comme une forme d’organisation « hybride », dans la mesure où elles combinent divers aspects qu’elles empruntent à la bureaucratie gouvernementale (sélection des cadres d’après des critères techniques), à l’économie informelle (flexibilité, nombre réduit des niveaux hiérarchiques, précarité des relations de travail), aux centres de recherche (interventions fondées sur des outils méthodologiques), aux partis politiques et aux médias (agitation et propagande), et au monde de l’entreprise (rationalisation, focalisation des énergies, contrôle des résultats).
La fonction d’intermédiaire et de représentation qu’exercent les ONG est beaucoup moins évidente que celle des organisations qui plaident pour leurs membres. En effet, les ONG défendent un intérêt général à partir d’une position particulière. Cela signifie que leur légitimité ne découle pas de leur nature : elle est censée provenir de la réalité de leur proximité avec la base ou le terrain et/ou de leur envergure internationale et de leur réputation en raison de leurs compétences techniques ou scientifiques. Cette légitimité se construit à travers leurs pratiques de terrain et leur capacité à assurer un lien entre les réalités des acteurs avec lesquels elles travaillent et les débats plus larges.
Diverses ONG poursuivent des objectifs qui ne se limitent pas aux intérêts de leurs membres, en voici quelques exemples : les ONG d’interpellation ou de plaidoyer qui s’inspirent d’une conception du bien public et de l’intérêt général pour défendre une ou plusieurs causes; les ONG d’intervention qui se donnent pour objectif d’assurer la prestation de services aux populations, en particulier les groupes considérés comme défavorisés. Ces ONG sont plus ou moins professionnalisées. Par exemple, le Comité de l’Avancement du Bangladesh Rural (BRAC) qui intervient en l’aide au développement économique et social, en éducation primaire en santé. Il compte 18000 employés et 1.8 million de membres dans 54000 villages. En 1996, il a emprunté 5 milliards de takas (128 millions $US), un million de femmes sont engagées dans des projets ruraux; 12 millions de cahiers et 21 millions de livres ont été achetés avec le fond d’éducation primaire de BRAC qui a aussi servi à un million de décrocheurs; dans la même année, BRAC a acheté 42 tonnes de semence de maïs et 120 motos; au total 12 millions de personnes sont couvertes par les programmes de santé et d’éducation de BRAC. En principe, elles devraient être une entité à part entière de l’État; elles demandent et utilisent les principes de l’aide internationale comme base de leur existence; elles sont fondamentalement à but non lucratif; elles fonctionnent à tous les niveaux sociopolitiques (individuel, familial, local, national et transnational); et elles sont non partisanes.
Beaucoup d’ONG agissent dans des lieux géographiques ou des champs thématiques similaires, ce qui exige des efforts de concertation pour assurer la coordination de leurs activités et de leurs projets. Le réseautage permet de maximiser leurs ressources, de consolider leur présence dans la société, d’augmenter l’impact social de leur travail et de les transformer en un véritable secteur social. Quelques exemples sont le Réseau Climat & Développement qui représente plus de 70 ONG francophones basées en Europe et en Afrique et se mobilise par le biais des projets locaux et des actions de plaidoyer – nationales et internationales; et le Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN) qui est un réseau de féministes du Sud qui lutte pour la justice économique et genrée ainsi que le développement durable et démocratique.
Philippe Ryfman propose de donner le nom d’ONG aux entités réunissant un éventail de cinq caractéristiques :
- La notion d’association (le regroupement d’individus) en vue d’un projet non lucratif au bénéfice d’autrui.
- La forme juridique d’association à but non lucratif, selon les règles du droit national.
- Le fait d’être un espace autonome face à l’État ou à des puissances privées. L’État ne doit pas être à l’origine de la création de l’ONG, même si celle-ci peut avoir des liens avec lui. L’ONG doit avoir la même autonomie face à l’économie privée, à l’Église, à des sectes ou à des groupes criminels.
- « La référence à des valeurs impliquant, en même temps qu’un engagement librement consenti, la volonté affichée d’inscrire l’action associative dans une dimension citoyenne insérée dans un cadre démocratique. » L’ONG devient ainsi un des segments de ce que l’on appelle la « société civile ».
- Le caractère transnational de l’action qui est menée dans un autre pays (que le pays d’origine) où l’ONG cherche à défendre les droits humains ou à intervenir pour la protection de l’environnement et du développement durable.
Jusque dans les années 1990, les ONG sont considérées comme une alternative au paradigme dominant du développement de l’État. Dans les pays du Sud, elles conçoivent des pratiques communautaires et dans les pays du Nord, elles proposent une approche de justice sociale axée sur les personnes et les communautés. Elles élaborent une perspective et des théories différentes du développement et du changement social basées sur la solidarité internationale. Elles s’inspirent de la théorie de la dépendance pour comprendre les causes du sous-développement et pour trouver des solutions.
Il faut souligner que les liens entre le Nord et le Sud émergent à l’intérieur des Églises et de leurs réseaux, à travers les relations entre les militants du Sud (souvent en exil) dans le Nord, mais aussi grâce aux militants tiers-mondistes du Nord qui, de retour de leurs séjours dans le Sud, pensent que le tiers-monde doit s’émanciper. Dans les années 1970, cette nouvelle solidarité s’exprime par rapport aux luttes de libération nationale et anti-dictatoriales dans le Sud. Dans les années 1980, l’accent se déplace sur les impacts de la crise économique et de l’endettement qui frappent durement plusieurs pays. Les ONG sont à la fois des réponses contestataires à la réalité sociale, des intermédiaires qui font participer les bénéficiaires aux projets à la recherche d’alternatives à la pauvreté et qui permettent également de développer les capacités de réflexion et la production de connaissances, de technologies et de ressources.
À partir de là, les ONG s’impliquent dans l’étude, la planification, l’exécution et l’évaluation de programmes et de projets de développement, en relation directe avec les groupes et les organisations sociales. Elles insistent sur la nécessité d’utiliser les moyens matériels et sociaux pour arriver à une meilleure participation communautaire et d’exercer des pressions pour améliorer les conditions de vie des communautés. Elles contestent la réalité sociale dominante et elles contribuent à changer les structures qui engendrent la pauvreté en offrant des alternatives technologiques, méthodologiques, pédagogiques, institutionnelles, de recherche et de promotion. Les participants aux programmes des ONG sont les secteurs et les groupes qui souffrent des conséquences négatives de l’application des politiques sociales et économiques. Leur champ d’action couvre divers aspects : la prestation de services (santé, habitation, éducation); la mise en œuvre d’activités productives (agricoles, artisanales, technologies appropriées, conseils de gestion) ou l’appui à ces activités; la formation civique, la prise de conscience des problèmes et des possibilités de solution; l’appui à l’organisation et à la consolidation des secteurs sociaux. Par exemple, l’ONG paraguayenne Base-Ecta travaille avec des paysans en organisant des coopératives de production, la formation technique et politique et des ateliers d’artisanat pour les femmes.
Certes, il existe une grande diversité d’ONG dont la composition, la mission, les activités, les membres et le financement varient. Dans certains cas, les ONG se substituent à l’État pour d’assurer des services que celui-ci abandonne. Le Bangladesh compte le plus grand nombre d’ONG au monde (20 000). Ces ONG tentent de pallier le fait que le gouvernement de ce pays ne fournit pas des biens et services publics et ne s’occupe pas des plus pauvres, mais aussi que le secteur privé n’offre pas des possibilités d’emplois. Des ONG assument assumé un rôle très important dans l’éducation, la santé, l’agriculture et le microcrédit, soit des fonctions qui, en général, reviennent à l’État. Les résultats de cette ongisation du secteur social sont incertains. Pour certains, le taux de pauvreté au Bangladesh est tombé (de 70 % en 1971 à 43 % en 200) grâce au travail des ONG. Pour d’autres, le délestage par l’État de nombreux secteurs dans la santé, l’éducation et l’aide sociale ne peut être remplacé par une myriade d’ONG qui de surcroit ne sont pas imputables devant la population. On critique les ONG qui interviennent de façon ponctuelle, voire sous la forme d’une espèce d’échantillonnage social, sans pouvoir garantir la continuité ou l’universalité des activités qu’elles entreprennent, qu’elles aient ou non la prétention de remplacer celles de l’État.
Durant la période d’application des programmes d’ajustement structurel qui ont jeté dans la pauvreté des parties importantes des populations du Sud, des populations se sont révoltées contre le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Ces agences se sont parfois tournées vers les ONG. La restructuration de l’État et les réformes des politiques sociales inspirées de l’idéologie néolibérale introduisent des programmes ciblés de réduction de la pauvreté dont la mise en œuvre est confiée à des ONG. Dès lors, un bon nombre d’ONG alignent leurs profils aux tendances économiques et aux réformes de l’État dans les pays du Sud, ce qui, par conséquent, génère des contradictions qui ne sont pas encore résolues.
Contraintes et perspectives
Cette situation créée une nouvelle relation entre bailleurs de fonds et ONG au tournant des années 1990. De nouvelles ONG apparaissent et recrutent des professionnels urbains, scolarisés, de classe moyenne qui n’ont avaient la possibilité de travailler dans la fonction publique. Les bailleurs de fonds valorisent les ONG comme canaux de développement et de programme anti-pauvreté; ils reconnaissent leurs connaissances, leurs liens avec les communautés pauvres et leurs modes d’organisation. Simultanément, par le rapprochement des grandes sociétés avec les ONG, plusieurs activités se retrouvent conditionnées par le financement des ressources de marketing corporatif.
Durant ces années, les ONG vivent une période grasse avec une forte augmentation des ressources, d’où leur croissance en nombre, en taille et en territoire d’action. Dans plusieurs cas, elles adoptent un mode d’organisation et des activités qui correspondent aux modèles des bailleurs de fonds du Nord, tout en essayant parfois de les adapter selon les normes et les pratiques locales. Entre-temps, les agences multilatérales mettent en route des programmes de coopération avec les ONG de pays ayant développé la société civile au niveau local. Divers pays donateurs établissent des programmes de coopération directe avec les ONG, sans passer par les gouvernements des pays en question. Au fil des années, diverses contradictions apparaissent. Les pouvoirs publics ont recours aux ONG pour leur efficacité sur le terrain, mais en même temps, ils leur imposent des lourdeurs administratives. Les contradictions deviennent plus évidentes quand les entreprises ont recours aux ONG pour profiter des opportunités lucratives dans le « Tiers Secteur », qu’elles envisagent aussi comme un espace lucratif. Il devient monnaie courante que les grandes entreprises et multinationales investissent une partie de leur budget dans le marketing de « projets sociaux » qui deviennent une partie intégrale d’une marque de responsabilité sociale. De cette manière, les projets sociaux des partenariats ONG – entreprises risquent d’être moins un moyen d’arriver à la justice économique devant l’accumulation capitaliste qui génère l’inégalité et se transformant en un mécanisme qui avance cette accumulation.
Durant la dernière décennie, le secteur des ONG joue un rôle ambigu, des deux côtés de l’équateur. Elles s’activent dans les stratégies de contestation de l’hégémonie de développement, mais en même temps, elles consolident celles-ci ! De plus en plus d’ONG sont financées par des bailleurs de fonds conservateurs, tandis que d’autres reçoivent un financement d’organismes progressistes ou même radicaux. Ce phénomène fragmente les différents réseaux d’ONG qui se retrouvent en compétition les unes contre les autres pour dominer la sphère de la société civile. Des ONG n’ont pas de distance critique par rapport à la logique fondamentale du système de développement, tandis que d’autres optent pour une lutte contre le néolibéralisme, la recherche d’alternatives et le soutien aux luttes sociales. Entre ces deux pôles, la majorité des ONG maintient un discours de changement social, mais adopte des pratiques qui se limitent généralement aux conséquences de la pauvreté et renforcent l’agenda des acteurs institutionnels du développement.
Les divers rôles des ONG
· Entreprendre les fonctions du gouvernement en l’absence de l’autorité de l’État; · Recueillir et diffuser de l’information; · Démocratisation des médias et des outils de communication; · Créer et mobiliser des réseaux; · Encadrer des questions pour le public; · Promouvoir de nouveaux comportements; · Revendiquer des changements de politique et de gouvernance; · Surveiller le respect des droits humains et des normes environnementales; · Participer à des conférences mondiales (soulever des questions, soumettre des positions, faire du lobbysme pour soutenir leur point de vue, établir des liens entre les acteurs); · Encourager la participation publique; · Distribuer l’aide humanitaire; · Mettre en œuvre des projets de développement. |
Perspectives et contraintes
Pendant cette dernière décennie, on observe également une prolifération quantitative des ONG dans des domaines comme les droits humains, le développement durable, l’aide humanitaire, la prévention et la résolution des conflits, et la démocratisation. Cette s’étend géographiquement en touchant de nouvelles régions comme le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale. Parallèlement, les ONG se multiplient en Afrique, en Amérique latine et en Asie où elles accroissent leur influence sur les gouvernements et les agences multilatérales.
Par exemple, dans un effort visant à renouveler et à relégitimer le développement dans le contexte des réformes néolibérales et d’ajustement structurel, les grands bailleurs de fonds comme la Banque mondiale ont approprié des concepts et des pratiques qu’employaient les ONG et les mouvements sociaux. Dorénavant, des concepts comme l’appropriation (empowerment), la participation, le partenariat, la gouvernance, la solidarité et le développement communautaire intégral font partie du lexique du développement. Cela ne veut pas dire pour autant que les bailleurs de fonds ont appliqué l’esprit original de ces concepts, mais simplement qu’ils ont intégré ces derniers dans la définition du « bon » développement qui servaient leur mission générale. On crée aussi des programmes et divisions qui attaquent à la question des femmes de l’environnement, de la société civile, de la participation et du capital social, pour apaiser les critiques des ONG sans questionner le modèle économique et les causes de la pauvreté.
Au cours de la vague de démocratisation en Europe de l’Est) et en Afrique) dans les années 1990, les pays donateurs mettent l’accent sur le rôle des ONG comme intermédiaires pour l’affectation des ressources en vue de renforcer la démocratie et la société civile. Dans ces ONG se trouvent des cadres en réorientation professionnelle qui se découvrent une vocation pour le social, des jeunes universitaires et des intellectuels ou des notables (juristes, avocats). Afin de démontrer l’avancée de la démocratie dans les pays visés, des centres de recherche mesurent la vitalité de la société civile d’après le nombre d’ONG et le poids économique de celles-ci en termes de revenus en circulation, de dépenses ou d’emplois créés ce qui créée l’image de sociétés civiles fortes dans des pays en fait dépourvus d’organisations civiles enracinées et englobantes.
Depuis, une autre tendance apparaît : l’émergence de programmes de plaidoyer au sein des ONG de développement, qui se rapprochent alors rapprochées d’autres organisations de la société civile plus habituées à assumer ce rôle. En effet, le plaidoyer est une fonction éminemment politique, à la fois en elle-même et en termes d’objectifs, car il comprend un ensemble d’actions, de techniques, d’informations et de communications en vue d’orienter une décision dans un sens favorable à l’intérêt défendu et représenté. Les ONG engagées dans le plaidoyer sont plus visibles que celles qui travaillent strictement dans le domaine du développement. Elles s’occupent d’une grande variété de dossiers : les droits humains, la paix, les questions de genre, les mines, la globalisation, etc. Malgré leurs différences, elles partagent diverses caractéristiques : le rôle central accordé aux valeurs ou aux idées, la croyance que les individus peuvent faire une différence, l’utilisation créative de l’information et l’emploi de stratégies politiques sophistiquées dans leurs campagnes. Elles veulent souvent changer les politiques et les comportements des gouvernements et des organisations internationales. Les actions de plaidoyer des ONG prennent différentes formes. D’un côté, elle inclut les voies institutionnelles du lobbyisme auprès des gouvernements et des agences de l’ONU au cours de différentes conférences et de l’autre, des campagnes internationales de protestation auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du FMI, mais aussi lors des rencontres des États membres du G8 ou contre les ententes de commerce (Zone de libre-échange des Amériques -ZLEA). Les ONG entreprennent cette forme d’actions de plaidoyer avec différents mouvements sociaux qui partagent les mêmes objectifs.
Dans ce cas, les ONG prennent place au sein de mouvements sociaux transnationaux qui développent les problématiques, font de l’éducation publique, mobilisent des structures et des ressources et cherchent à ouvrir des structures politiques pour faire progresser leurs propositions de changement et dégager un consensus autour de solutions faisables et ambitieuses. À titre d’agentes du changement transnational, les ONG fournissent divers éléments utiles : des réseaux de relations sociales, des ressources, de l’information et des idées pour mobiliser les individus autour des objectifs des mouvements sociaux mais aussi des valeurs et des comportements favorisant la participation à la sphère politique et l’application de politiques publiques pour des gens, partout dans le monde, qui auparavant ne croyaient pas qu’ils pouvaient faire une différence.
Les mouvements sociaux transnationaux quant à eux travaillent à plusieurs niveaux : ils essaient d’influencer les organisations internationales, les gouvernements, le public et les élites dans des pays clés. Comme les réseaux de plaidoyer, ils mobilisent un appui pour le changement, augmentent la participation du public aux processus internationaux de politique, attirent l’attention sur des problèmes internationaux, encadrent des questions et élaborent des plans d’action. Ils visent à recruter des masses d’individus et des groupes qui ne sont habituellement pas engagés dans leur cause. Leurs structures varient et vont des réseaux d’activistes jusqu’aux organisations nationales et transnationales. Par exemple, l’organisation Via Campesina composée d’organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs agricoles, de femmes rurales, de communautés indigènes d’Asie, des Amériques, d’Europe et d’Afrique, milite pour le droit à la souveraineté alimentaire et pour le respect des petites et moyennes structures paysannes. Slum dwellers international (SDI) est né d’une rencontre entre des organisations d’habitants de bidonvilles sud-africaines et indiens, en 1996. SDI regroupe désormais des fédérations municipales ou nationales, directement issues d’organisations locales dans 28 pays du Sud. Ce mouvement se veut une réponse organisationnelle concrète aux politiques internationales et à leurs conséquences sur les populations urbaines les plus pauvres.
L’autre côté du miroir
L’expansion de la coopération internationale avec l’aide des ONG et le renforcement des liens entre ces dernières et leurs bailleurs de fonds institutionnels ont fait en sorte que les ONG assurent souvent aux pays occidentaux une présence informelle dans des pays et qu’elles servent, sans nécessairement le vouloir, l’agenda géopolitique des pays occidentaux va même plus loin en disant que, dans le contexte africain, les ONG expriment une logique de captation de la rente du développement dans un contexte d’appauvrissement des réseaux clientélistes post-coloniaux. critiquent les ONG africaines pour leur dépendance envers l’aide internationale, leurs faibles rapports avec la société civile locale et même leur tendance à exclure les associations rurales locales. Par exemple, à l’heure actuelle, ce sont les représentants les plus actifs des grandes ONG brésiliennes qui occupent les places réservées à la société civile dans les conseils consultatifs fédéraux chargés des thèmes les plus divers : urbanisme, jeunesse, sécurité alimentaire, développement social et économique. Ceux qui n’étaient que de modestes « consultants » dans les années 1980 sont devenus aux côtés des organisations de la coopération internationale, des interlocuteurs privilégiés du gouvernement et des acteurs d’envergure nationale ayant un ample accès aux organismes chargés de mettre en œuvre les politiques publiques. Malgré ces critiques, certaines ONG entretiennent encore des relations de collaboration avec les mouvements sociaux qui poursuivent les mêmes objectifs.
Transformations dans le monde de la coopération internationale
Depuis quelques années et ce pour diverses raisons, l’appui aux ONG du Sud diminue. Les bailleurs de fonds (États et agences multilatérales) mettent l’accent sur les grandes campagnes internationales (les OMD par exemple). On privilégie aussi l’État comme acteur principal et les bailleurs de fonds du Nord ont remis en question l’efficacité des ONG. Cette situation crée de nouvelles contraintes pour les ONG qui doivent dorénavant s’aligner vers des priorités sur lesquelles elles ont peu à dire et livrer des résultats mesurables en fonction des critères déterminés. Cette évolution limite les activités des ONG et dépolitise les stratégies dont les ONG disposent pour faire la promotion du développement.
En effet, depuis 15 ans, cette conjoncture a divers impacts sur les ONG. Elle influence par exemple les types d’organisations de base avec lesquelles les ONG travaillent (souvent par rapport au microcrédit), les types d’interventions menées pour réduire les effets de la pauvreté (mais ce souvent sans toucher aux causes de la pauvreté). Les régions du monde où elles arrivent à mobiliser des ressources et le langage et le discours adoptés dans les débats sur le développement. Aujourd’hui, les ONG font face à une dépendance envers les priorités institutionnelles de l’aide au développement et elles subissent des pressions pour satisfaire les attentes des bailleurs de fonds.
Une autre tendance actuelle est le retour de l’État comme acteur clé du développement et le choix des bailleurs de fonds de réduire la pauvreté à grande échelle. Par conséquent, il y a moins de financement pour les ONG, mais plus pour la gestion et l’administration des programmes de l’État. En outre, les ONG entrent de plus en plus en compétition avec le secteur privé et celui des fondations philanthropiques qui préfèrent gérer leurs propres projets ou participer à des partenariats avec différents niveaux de gouvernement. Cette nouvelle conjoncture crée une situation darwinienne de lutte pour la survie où les ONG les plus fortes éliminent les petites et moyennes ONG incapables de s’adapter. Il en résulte souvent une concentration des ONG à l’échelle nationale qui arrive à capter les fonds internationaux et nationaux.
Les ONG sont aussi affectées, depuis les événements du 11 septembre 2001, par le redéploiement de l’aide aux pays du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud et on observe que les donateurs alignent cette aide sur les efforts de défense et de diplomatie. Par exemple, pendant les années 2000 plusieurs ONG de la coopération nord-américaine et européenne sont intégrées dans la stratégie militaire des interventions en Irak et en Afghanistan même si elles n’ont jamais travaillé dans ces régions du monde.
Depuis peu, les ONG locales doivent faire face aux nouveaux bailleurs de fonds, notamment les pays dits « émergents » (les BRIC) et les diasporas. En général, ces nouveaux acteurs préfèrent éviter les ONG. Ils établissent des partenariats avec les gouvernements (dans le cas des BRICS), avec les communautés (dans le cas des diasporas) ou d’autres acteurs comme les entreprises ou les universités. Pour obtenir du financement, les ONG se trouvent donc en compétition entre elles mais aussi avec de nouveaux acteurs du développement et leurs projets particuliers.