Appel publié dans Médiapart, 7 mai 2020
Josu Urrutikoetxea, membre historique de l’ETA et ancien député du Parlement basque, a été un acteur majeur du processus unilatéral qui a abouti à la fin de la violence armée au Pays basque et au désarmement puis à la dissolution de l’organisation séparatiste par sa voix le 3 mai 2018. Il a été arrêté en France le 16 mai 2019 et il est depuis lors détenu à la prison de la Santé. Aujourd’hui âgé et malade, il a fait l’objet d’une demande de mise en liberté déposée par ses avocats pour raison médicale compte tenu des risques sanitaires liés au Covid-19. Lors de l’audience du 29 avril 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté cette demande. C’est pourtant une situation prévue par le code de procédure pénale lorsque l’état de santé d’une personne est incompatible avec sa détention.
La chambre d’instruction a donc passé outre à l’avis explicite du médecin-chef de la maison d’arrêt de la Santé, dont le certificat médical signale que Josu Urrutikoetxea présente « des pathologies chroniques qui sont des facteurs de mauvais pronostic en cas de contamination » par le Covid-19 et préconise expressément la « suspension » de sa détention.
Cette décision est d’autant plus incompréhensible que la demande de mise en liberté laissait la possibilité d’ordonner la réincarcération une fois la crise sanitaire passée. Les avocats proposaient par ailleurs un hébergement dans un studio mis à disposition à Paris et la mise en place d’un dispositif de surveillance électronique, comme le permet la loi dans ce cas.
Les magistrats avaient le pouvoir et le devoir de protéger Josu Urrutikoetxea en le libérant, comme l’avait fait la cour d’appel de Paris le 19 juin dernier avant que le parquet général n’inverse cette décision, conduisant à sa réincarcération quelques heures plus tard. L’appareil judiciaire a néanmoins décidé de le maintenir dans une situation d’extrême vulnérabilité au regard de l’épidémie. Cette décision a été rendue alors que deux détenus incarcérés dans le même bâtiment que lui, dont l’un assurait la distribution des repas, ont été placés en isolement en raison d’une suspicion de contamination par le coronavirus. Aujourd’hui, ce sont huit détenus, de ce deuxième étage du quartier QH5, qui sont placés pour les mêmes raisons en isolement.
Refuser une protection à Josu Urrutikoetxea et le mettre ainsi délibérément en danger, c’est vouloir amputer l’histoire récente de l’Europe en occultant l’implication de celles et ceux qui ont œuvré au prix de leur vie pour mettre fin à plus d’un demi-siècle de violences sur ce territoire. Face à la vigoureuse protestation internationale contre le traitement indigne réservé à Josu Urrutikoetxea, L’État français répond par le silence, l’indifférence et l’obstination, faisant comme si les mobilisations passées autour des processus de paix en Afrique du Sud ou en Irlande du Nord n’avaient pas contribué à changer heureusement le cours de l’histoire… Et c’est le pire des messages adressé par les États français et espagnol à l’ensemble des acteurs des négociations de paix de par le monde.
Josu Urrutikoetxea est un prisonnier d’État. Son sort est aujourd’hui scellé non pour des raisons de justice mais, in fine, parce que l’alliance des gouvernements français et espagnol, empêtrée dans le passé, n’ose regarder l’avenir. Tous deux butent sur la plus haute marche du courage politique qui se résume parfois à un acte éthique simple et nécessaire. Ces derniers jours, deux personnalités politiques se sont exprimées en ce sens. José Luis Rodríguez Zapatero, ancien chef du gouvernement espagnol, vient de déclarer que la démocratie doit maintenant se montrer « généreuse et inclusive [1] » et Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux de la France, affirme qu’il est temps de « reconnaître la force morale des figures particulièrement méritantes dans la contribution à la résolution de ce conflit, afin d’ouvrir un espace pour de tels gestes [2] ».
Une large communauté internationale se mobilise aujourd’hui. Elle en appelle à l’État français pour qu’en respect des principes humanitaires, il garantisse l’intégrité physique et morale et libère l’homme qui a été, de l’avis de l’ensemble des acteurs diplomatiques qui ont accompagné ce long processus, l’un des plus importants artisans de la construction de la paix au Pays basque.