En l’espace de cinq jours, l’armée française a perdu cinq soldats au Mali. Ils sont cinquante à avoir été tués depuis janvier 2013. Ces dernières victimes appellent à questionner la stratégie de la France au Mali et au Sahel
L’entame de 2021 sera donc aussi triste que les derniers jours de 2020 pour l’armée française, en particulier pour les soldats présents au Mali. Cinq des leurs sont tombés dans deux différentes attaques.
La première a fait trois morts le 28 décembre 2020 : le véhicule blindé des militaires a été atteint par un engin explosif improvisé pendant une mission d’escorte dans la région de Hombori, dans le Gourma malien, zone frontalière avec le Niger et le Burkina Faso.
La deuxième, qui a fait deux morts, a eu lieu le 2 janvier 2021. Le véhicule des soldats a été l’objet d’une attaque à l’engin explosif improvisé lors d’une mission de renseignement dans la région de Ménaka.
Parmi les victimes, Yvonne Huynh, 33 ans, est la première femme de l’armée française tuée au Sahel depuis l’intervention Serval en 2013. Ces deux attaques ont été revendiquées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale alliance d’islamistes extrémistes au Sahel.
Au soir de cette dernière attaque, la ministre française des Armées, Florence Parly, déclarait pourtant : « Les forces armées françaises continuent leur lutte acharnée contre les groupes terroristes tout en accompagnant au combat les forces armées sahéliennes afin que celles-ci puissent assurer la protection de leurs concitoyens et territoires. »
Les soldats français ne sont par ailleurs pas les seuls à tomber en ce début d’année.
Ce même 2 janvier, 100 Nigériens étaient massacrés à la frontière nigéro-malienne dans deux attaques différentes mais simultanées. La première attaque a eu lieu au village de Tchombangou, où il aurait été dénombré plus de 70 morts et de nombreux blessés graves. L’attaque de Zarmou Darey s’est soldée par la mort d’une trentaine de personnes.
Si à ce stade, aucune source officielle n’a encore confirmé ces attaques, celles-ci interviennent dans un contexte tendu dans la zone où depuis plusieurs jours, il y aurait eu des règlements de compte au sein des communautés vivant dans cette partie du territoire nigérien.
Genèse d’un enlisement annoncé
En janvier 2013, François Hollande annonçait que l’opération Serval serait de courte durée.
Pour l’anecdote, lorsqu’il s’était envolé pour Tombouctou et Bamako le 2 février afin de superviser cette opération militaire, les foules l’avaient accueilli comme leur sauveur, scandant son nom et agitant les drapeaux français qui avaient été largement distribués.
Si l’intervention militaire française a peut-être contribué à empêcher la scission du Mali en deux – nous ne saurons jamais ce qu’il serait advenu du Mali sans cette intervention militaire – et à reconquérir les villes de Gao, Kidal, Tombouctou et le nord du Mali des mains des groupes extrémistes, y compris affiliés au groupe État islamique – la situation sécuritaire ne s’est cependant guère améliorée depuis, voire s’est même gravement détériorée.
Plus encore, depuis que Barkhane – qui officiellement étend son quadrillage à la Mauritanie, au Niger, au Burkina Faso et au Tchad mais déborde officieusement au sud de la Libye et dans le nord du Nigeria – a succédé à Serval en 2014, accompagnée ensuite par la création du G5 Sahel, ses résultats demeurent, eux aussi, plus que mitigés.
La tentaculaire nébuleuse islamiste armée demeure bien vivante, menant une guérilla asymétrique difficile, pour ne pas dire, impossible, à battre.
En effet, malgré la présence de 5 100 militaires français, 13 000 de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et de la Force conjointe du G5 Sahel, les pays sahéliens subissent des attaques fréquentes et meurtrières et contrairement aux différents propos français, le bilan global de la France au Mali demeure déplorable voire même inquiétant.
S’agissant des pays formant le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), une question géostratégique demeure.
En effet, d’un point de vue sécuritaire, le G5 Sahel et ses alliés divisent de facto la région géographique et politique qui s’étend du golfe de Guinée à l’Afrique du Nord en trois sous-régions différentes : le Maghreb, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, ignorant ainsi leurs profondes interdépendances politiques, géographiques et sécuritaires.
Pour rappel, le Sahara est le trait d’union et la prolongation géographique et topographique naturelle entre le Sahel et le Maghreb. C’est aussi une immense région que les hommes et leurs bêtes traversent depuis des siècles, ignorant toute frontière balisée.
Vers une réduction des effectifs
Dans son format actuel, la logique horizontale (est-ouest) du G5 Sahel ignore les dynamiques nord-sud et interrégionales alors même que la contagion des crises aujourd’hui se fait suivant des dynamiques verticales, du Mali au Burkina Faso ou au Nigéria.
Les extrémistes ont bien compris cela et ne comptent surement pas se cantonner aux seuls Mali et Niger.
Au contraire, ces derniers ambitionnent, sinon de contrôler l’Afrique de l’Ouest dans sa globalité, tout au moins d’embraser toute la région. Suivant cette macabre logique, il ne fait donc aucun doute que des pays comme le Togo et le Bénin feront bientôt régulièrement la une des journaux.
Depuis 2013, 50 militaires français sont donc morts au Mali. Quant aux victimes civiles tombées sous les armes des islamistes armés, mais aussi, parfois, sous celles des soldats censés les protéger, leur nombre est bien plus élevé encore.
Dimanche, plusieurs dizaines de personnes ont ainsi été tuées dans le centre du Mali au cours de ce que les habitants décrivent comme un mariage, mais que l’armée française a présenté comme « un rassemblement de jihadistes préalablement repérés après une opération de renseignement de plusieurs jours ».
Huit ans après l’opération Serval, et même si Paris, à travers son ministère des Armées, annonce ici et là des résultats probants tels que la mort du chef d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) Abdelmalek Droukdel en juin 2020, la promesse de François Hollande de janvier 2013 n’a pas été tenue.
Cette situation militaire française est parfaitement résumée par la séquence qui suit.
En janvier 2013, devant une foule malienne en liesse, un soldat français répondait à un journaliste de France 24 : « On ne sait pas où l’on va mais ça nous donne de la force. »
Une réponse à une crise telle que celle que vivent les Maliens depuis près d’une décennie nécessite une stratégie claire et doit être planifiée avant même le lancement d’une opération militaire.
Il est pourtant difficile de croire qu’une stratégie militaire sérieuse ait été conçue avant le lancement de l’opération Serval. À moins qu’in fine, le but inavoué de Paris soit de s’implanter durablement dans la région !
Plus encore, malgré les morts, malgré leurs maigres résultats, les autorités françaises persistent à dire que l’armée française demeurera au Sahel le temps qu’il faudra.
Et si Florence Parly réfléchit à une réduction des effectifs Barkhane (la décision sera sans doute prise lors du prochain sommet conjoint France-G5 Sahel qui se tiendra à N’Djaména en février), le président français Emmanuel Macron réaffirmait tout de même après les derniers décès de soldats français, « la détermination de la France dans son combat contre le terrorisme ».
Cet aveuglement français est sans nul doute bien résumé par Laurent Nuñez, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, qui indiquait dans un entretien à la radio française Europe 1 que « la présence de l’armée française au Sahel [était] un succès ».
Ces différentes annonces cachent pourtant mal la réalité. Les groupes armés sont toujours présents et leurs actions toujours aussi meurtrières.
D’ailleurs, même le colonel français Frédéric Barbry, porte-parole de l’état-major des armées, expliquait le 13 novembre : « Le nombre de tués dans les rangs adverses n’est pas un indicateur de performances. »
Guerre asymétrique
L’histoire récente en Irak et en Afghanistan nous enseigne pourtant que la force militaire, qui plus est, émanant de l’extérieur, n’est nullement la réponse adéquate aux problèmes sécuritaires.
L’une des raisons pour lesquelles le président américain de l’époque, George W. Bush, a échoué en Afghanistan est qu’il n’avait jamais compris que vaincre al-Qaïda et contrôler un aussi large territoire exigent du temps et une logistique lourde.
Pour contrôler un vaste territoire désertique, il faut en effet déployer des milliers d’hommes qui, une fois sur place, se rendent compte que les combattants qu’ils sont venus neutraliser ont eu amplement le temps de disparaître.
Les autorités françaises semblent omettre ce point crucial lié au Mali et au Sahel. La supériorité militaire au sens classique du terme ne garantit pas la résolution des conflits de manière durable. Ce n’est pas parce que l’on a un marteau que tous les problèmes sont un clou !
De plus, une guerre se gagne par les armes à hauteur de 10 à 20 %, mais surtout à 80 % par la politique et la propagande. En d’autres termes, en appliquant la stratégie de pénétrer les cœurs et les esprits.
Ce à quoi nous assistons depuis 2013, c’est une guerre asymétrique dans laquelle les groupes extrémistes armés semblent avoir toujours un temps d’avance.
Et malgré les pertes de leurs troupes, parfois lourdes, ceux-ci, à l’image de l’Hydre de Lerne, continuent de se multiplier afin de se propager toujours un peu plus à travers la région et le continent.
Aussi, malgré leur nombre et leurs moyens militaires et technologiques, ce ne sont pas les forces Barkhane, du G5 Sahel ou depuis peu Takuba (un regroupement encore embryonnaire de forces spéciales européennes, chapeauté par Barkhane, venant en appui à l’armée malienne à Gao et à la frontière nigérienne), qui mènent le bal mais bel et bien les groupes armés.
Ce sont ces derniers qui donnent le tempo en frappant où et quand ils le décident, comme nous avons encore pu le constater la semaine dernière. En réalité, ils agissent alors que les forces militaires en place ne font que réagir.
Huit ans après le lancement de l’opération Serval, l’armée française n’a pas réussi à neutraliser les islamistes extrémistes au Mali et dans les pays limitrophes.
Si Serval a peut-être permis d’échapper à la partition du Mali en deux, la présence militaire française n’a fait que déplacer et aggraver le problème sécuritaire – au Mali, mais aussi dans les pays voisins, voire plus encore.
Cette présence militaire française démontre, s’il en est encore besoin, que les maux du Mali, du Sahel, nécessitent avant tout une réponse régionale, continentale. Et que toute intervention extérieure ne fait qu’aggraver la situation.
À cet égard, la façon dont Paris a relégué au second plan le CEMOC (état-major créé en avril 2010 par l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger pour mieux lutter contre l’insécurité au Sahel) démontre que la France n’est nullement encline à collaborer étroitement avec l’Algérie, qui demeure cependant l’État pivot dans toute la région sahélo-maghrébine.
Pourtant, le terrorisme au Sahel est là pour durer. Tous les ingrédients sont là pour faciliter l’enracinement des extrémistes armés dans la région. Pauvreté, corruption, mauvaise gouvernance, illettrisme, absence de perspectives pour un meilleur futur et bien d’autres problèmes. Sans oublier les forces militaires étrangères !
Nouvelle équation géopolitique
La nouvelle équation géopolitique, selon laquelle Israël va pouvoir pénétrer encore un peu plus la région à travers son récent accord de paix avec le Maroc, risque fort, elle aussi, d’alimenter l’instabilité et les attaques.
Pour ainsi dire, la crise malienne, débutée en 2012, s’est transformée en une crise polymorphe régionale voire internationale. Les groupes armés n’ont aucun mal à recruter parmi cette jeunesse désœuvrée, proposant des salaires mensuels de 800 dollars, voire plus, impossibles à gagner en travaillant.
Non seulement les défaillances des politiques sont rappelées à ces jeunes, mais plus encore, les groupes armés pointent du doigt l’incapacité de ces pays à se défendre, trouvant assistance et protection auprès de l’ancienne puissance coloniale !
Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans invoque par exemple la poursuite de la présence militaire française dans la sous-région, les caricatures du prophète Mohammed et la défense prise par le président Emmanuel Macron de leur publication au nom de la liberté d’expression, ainsi que la politique du gouvernement français vis-à-vis des musulmans de France. En somme, une crise internationale qui va crescendo !
À un an de l’élection présidentielle en France, la mort de nouveaux soldats pourrait avoir d’énormes répercussions sur la scène politique nationale française.
Les Français, n’acceptant plus la mort d’un des leurs loin de leur nation, pourraient bien sanctionner l’actuel président s’il devait se présenter. L’Élysée ferait bien de méditer sur sa stratégie politico-militaire au Mali.
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