Donald Cuccioletta
Un des mythes fondateurs américains a toujours été à l’effet que les États-Unis étaient une société sans classe, où la mobilité sociale reposait sur le travail, la croyance en Dieu (des éléments tributaires du protestantisme) et l’optimisme dans l’avenir. Le socle du rêve s’appuyait sur une foi profonde qu’en Amérique, tout était possible. À l’origine, la constitution stipulait que le peuple était maître : « WE THE PEOPLE ». Tous et chacun avaient des droits égaux, sans distinction de classe sociale, de race, de genre, de religion et d’origine. Avec cette idée au cœur de l’ADN américaine, la démocratie était là pour servir le peuple, contrôlée par le peuple et ultimement administrée par le peuple. Mais aujourd’hui, le rêve est brisé. La formule ne résonne plus avec la citoyenneté. Le désespoir s’installe et la révolte se pointe à l’horizon. Cette évolution trouve sa niche dans le populisme qui infiltre l’idée que les élites de la société américaine sont des ennemies.
Conservatisme et populisme
Avec l’élection de Donald Trump, ce discours populiste, de droite et de l’extrême droite, prétend reconstruire la véritable mythologie américaine, celle qui selon eux, a été détournée par les élites et leur fidèle allié, le Parti Démocrate. Pour autant, le phénomène Trump ne peut être réduit à sa dimension populiste. Trump est en fait un conservateur radical avec des comportements populistes. Il a eu l’intelligence tactique de s’entourer à des moments stratégiques par des haut-parleurs populistes d’extrême droite, comme Steve Bannon. Celui-ci n’est plus à la Maison-Blanche, mais sa stratégie de cibler les intellectuels[1] et les médias méprisés par l’Amérique profonde tiennent toujours la route. « L’homme ordinaire », la pierre angulaire dans la fabrication du mythe américain, se voit opposé aux élites et aux médias, dans les paroles et les tweets de Donald Trump. Au total, le conservatisme radical de la Maison-Blanche est saupoudré d’une bonne dose de populisme. La stratégie de Trump joue sur deux tableaux. D’une part, se tenir proche de l’agenda du Parti républicain, qui voit l’opportunité avec Trump à la présidence d’appliquer son programme politique, en réaction à l’ère Obama. D’autre part, s’assurer que la guerre culturelle puisse changer la mentalité de la société américaine en profondeur. C’est une lutte de longue durée, qui avait commencée durant l’ère de Ronald Reagan, et qui doit porter des dividendes pour plusieurs années à venir. Pour les Républicains comme Paul Ryan (un futur prétendant à l’investiture), il faut faire des compromis avec la base populiste du parti.
La bataille pour le Parti Républicain
Le Parti républicain est dorénavant divisé en de multiples factions dont le Tea Party, les libertariens de droite, les chrétiens fondamentalistes, les conservateurs traditionalistes et maintenant, les populistes de droite et d’extrême droite. La question du contrôle du parti devient alors primordiale. Les conservateurs traditionalistes comme les Bush et ceux qui gravitent autour de la prestigieuse « National Review » sont en minorité et leur influence en ce moment est réduite. Un des intellectuels connus de cette droite traditionnaliste, David Frum, estime que l’évolution actuelle des Républicains est dangereuse[2]. Ancien « speech writer » de George W. Bush, Frum se lamente de la perte d’influence de cette tendance qui a dominé le parti pendant de longues années. De toute évidence, Trump s’appuie sur les populistes et les secteurs encore plus à droite, tels le Conservative Political Action Committee, dont Trump était l’invité d’honneur lors de sa dernière convention en février. Les politiques économiques de la nouvelle administration (baisse d’impôts pour les plus riches, agressivité envers les alliés traditionnels comme l’Union européenne), passent bien, surtout que le capitalisme américain vit actuellement une embellie. Avec 4% de chômage, les Américains vivent le « plein emploi », bien que les emplois soient souvent précaires et de piètre qualité. Trump évidemment ne reconnaît pas le travail de Obama dans cette reprise économique américaine.
Protectionnisme
Menacé par des tarifs protectionnistes de 292%, Bombardier a été forcée de vendre 51% des actions à Airbus pour la production des avions de la C Series, qui seront construits en bonne partie en Alabama. Cependant, le protectionnisme « dur et pur » crée des remous dans l’establishment américain, comme l’a démontré le départ du principal conseiller économique de Trump, Gary Cohen. Cet ancien démocrate de Wall Street appuyait la remise en cause les traités de libre-échange, à condition qu’ils revivent sous une forme plus favorable aux intérêts américains. Il ne voulait pas entre autres frapper trop fort les pays du « cercle rapproché » comme le Canada et le Mexique et sur cela, il a démissionné, bien qu’il ait été appuyé par Wall Street. L’élite économique voudrait frapper la Chine, sans nécessairement mettre à terre toute l’architecture des accords commerciaux. Trump pour sa part, ne craint pas de parler fort. « Si vous voulez faire affaire aux États-Unis, vous le ferez selon notre agenda », dit-il. Derrière cet agenda, Trump manœuvre pour préserver ses appuis dans des régions particulières, celles qui ont été affectées par la délocalisation des industries manufacturières. Le discours protectionniste laisse croire à ces électeurs des zones sinistrées (la « rust belt ») que leur situation va s’améliorer.
Du côté des Démocrates
Le New York Times, le Boston Globe, le Washington Post et d’autres médias prestigieux prédisent pour les élections de mi-mandat de 2018 une grande vague pour le Parti Démocrate (la « Blue Wave). Ils estiment possible la reprise de la Chambre des représentants et du Sénat par les Démocrates, ce qui pourrait initier une procédure de destitution contre Donald Trump. Les défaites récentes des candidats républicains lors d’élections partielles au New Jersey, en Virginie et en Alabama, donnent effectivement espoir aux Démocrates. Cependant, la bataille n’est pas gagnée. Les Démocrates ne disposent pas d’un leader national apte à galvaniser le Parti. Nancy Pelosi, qui dirige le contingent démocrate au Congrès, et qui a été toujours proche du clan Clinton, arrive à la fin de son règne. Au Sénat, Charles Shumer, sénateur représentant l’État de New York, fait du bon travail comme leader intérimaire, mais il n’a pas la prestance d’un chef. Cette situation de faiblesse produit une situation confuse, au point où l’ancien vice-président Joe Bidden, un personnage sans grand éclat, essaie de se présenter comme un candidat éventuel à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2020.
La marginalisation de Bernie Sanders
Le sénateur indépendant du Vermont, qui avait convaincu 14 millions de personnes d’appuyer son projet de « révolution politique », continue de recevoir l’appui de foules enthousiastes d’un bout à l’autre du pays. Mais il n’a pas l’appui de la machine démocrate et de ses principales têtes d’affiche, à part le Gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo. Celui-ci a repris l’idée de Sanders de réclamer la gratuité des frais de scolarité, une idée qui fait son chemin ici et là. Cette influence est fortement contestée par les dirigeants du Parti qui restent sous la coupe du clan Clinton. Dans son livre[3], Hillary Clinton met sa défaite sur le dos de Sanders. Elle se démarque d’une aile gauche qui voudrait recentrer le parti qui avait été déplacé vers la droite par Bill Clinton dans les années 1990. Cette gauche rêve de refaire le New Deal de Franklin Delano Roosevelt, mais pour le moment, elle n’a pas l’ascendant.
Les enjeux de novembre
De toute évidence, les Républicains veulent garder à tout prix le contrôle du Congrès, pour continuer à appliquer leur agenda radical et changer la direction politico-culturelle des États-Unis pour des décennies à venir. Les Démocrates doivent réanimer leurs bases traditionnelles : les syndiqués, les couches moyennes inférieures, les étudiants et étudiantes, les femmes[4], de même que les communautés afro-américaines, hispanophones et d’autres groupes qui forment la mosaïque américaine. En tout cas, la côte sera dure à remonter. Selon la firme de sondage Rasmussen[5], le niveau d’approbation de Donald Trump se situe au-dessus de 45 %, comme c’était le cas pour Obama après la première année de son premier mandat. La réforme fiscale aurait quelque chose à faire avec cela, même si elle bénéfice au 1%. Dans l’Amérique profonde, un des mythes les plus tenaces est que les riches sont le moteur de l’économie américaine. Entre-temps, 97% des citoyens qui se déclarent républicains soutiennent encore Donald Trump. La confiance des consommateurs américains est à son plus haut niveau depuis 17 ans[6]. Pour la première fois depuis des décennies, les revenus médians des Américains sont à la hausse[7]. Le taux de chômage reste très bas. Quant à la promesse de Trump de réduire l’immigration illégale, le Département de l’immigration indique que le nombre d’entrées illégales est à la baisse.
La bataille pour le Sénat
Le principal enjeu de l’élection de mi-mandat sera pour le Sénat, où 34 sièges (sur 100) sont en jeu. Les démocrates peinent à surmonter leurs conflits internes. Sur les 34 compétitions électorales, 8 sièges appartiennent aux Républicains. Pour ces sièges, les Républicains sont relativement confortables, puisque la majorité des élections ont lieu dans des États où Trump a triomphé aux élections de 2016. Ailleurs, la majorité des élections sénatoriales cependant ont lieu dans des États dominés par des Démocrates (26 sièges). Or 10 de ces États ont été remportés par Trump lors de l’élection présidentielle. Si la vague Trump se maintient, les Républicains pourraient consolider leur mainmise sur le Sénat et ainsi empêcher les manœuvres démocrates pour empêcher ou minimiser la mise en œuvre de leur agenda radical. Le directeur de la campagne électorale nommé par Trump, Brad Pascale, est très confiant. Le contrôle du Congrès sera à coup sûr le tremplin pour l’élection présidentielle en 2020.
[1] Richard Hofstatder, Anti-intellectualisme in American Life, Alfred H. Knopf, 1966
[2] David Frum, Trumpocracy: The Corruption of the American Republic, New York, Harper Collins, 2018
[3] Ça s’est passé comme cela, Fayard, 2017.
[4] Aux dernières élections présidentielles, plus de 56 % des femmes blanches ont voté pour Trump !
[5] C’est la seule maison de sondage qui avait prédit la victoire de Trump en 2016.
[6] Lawrence Solomon, « Think Trump’s about to be stopped? Prepare to be surprised. Again », Financial Post, March 2, 2018.
[7] Idem.