L’ancien président du Brésil, Lula, favori des sondages, a été incarcéré le 7 avril. Il doit purger une peine de 12 ans de prison pour des accusations de corruption passive et de blanchiment d’argent. Un jugement très controversé pour son absence de preuves matérielles. Mais l’enjeu est politique : emprisonner l’ancien ouvrier métallo, c’est l’empêcher de se représenter à la présidentielle d’octobre, ouvrant la voie aux candidats de droite et d’extrême-droite. Face à cette situation, quel peut-être le candidat alternatif à gauche alors que le Brésil est frappé par une cure d’austérité et des politiques anti-sociales sans précédents ?
Le 5 avril, le juge brésilien Sergio Moro a décidé de l’emprisonnement immédiat de l’ancien président Lula. Leader du Parti des travailleurs (PT), ancien ouvrier métallo, Président de 2003 à 2011, Lula a été condamné fin janvier en appel à plus de 12 ans de prison ferme pour des accusations de corruption passive et de blanchiment d’argent. Il est accusé de s’être fait financer l’achat et la rénovation d’un appartement, un triplex, par une entreprise de construction. Lula a toujours nié être le propriétaire de cet appartement, et y avoir jamais vécu. L’argumentaire de l’accusation repose principalement sur le témoignage d’un dirigeant de la société, lui-même mis en cause dans des affaires de corruption. En l’absence de « preuves matérielles », les juges avaient sanctionné Lula pour des « faits indéterminés »…
Deux mois après ce jugement en appel, et l’épuisement des recours, le juge Moro envoie donc Lula en prison. Le 7 avril, après 24 heures d’incertitude, alors que l’ancien président se trouve au siège de la centrale syndicale des ouvriers de la métallurgie de São Bernardo do Campo, en périphérie de São Paulo, protégé par des milliers de personnes venues faire rempart à son incarcération, Lula s’est finalement rendu à la police. Il a commencé à purger sa peine et aurait été placé – sans raisons particulières – en isolement… C’est à São Bernardo do Campo que Lula a commencé sa carrière politique, d’abord comme leader syndical à la fin des années 1970, quand la dictature militaire brésilienne commence à s’éroder. Est-ce là, au même endroit, qu’il l’aura terminée, dans son discours d’une heure du vendredi 6 avril ?
Le potentiel futur président de gauche brésilien en prison
L’enjeu de cette décision judiciaire, hors du commun au vu des faits reprochés et de la fragilité de l’accusation, est bien politique : s’il avait été maintenu en liberté, avant l’épuisement de tous les recours, Lula pouvait se porter candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain. En prison, cela semble impossible. Or, dans tous les sondages, c’est bien l’ancien président qui arrive largement premier. « L’incarcération de Lula est politique » titre l’édition brésilienne du journal en ligne de Glenn Greenwald The Intercept le 7 avril.
« À la veille du jugement, le chef des forces armées a utilisé twitter pour mettre le couteau sur la gorge des membres tribunal suprême fédéral (qui devait décider d’ouvrir ou pas à l’incarcération de Lula). Le message était clair : ou bien les juges ouvraient la voie à l’emprisonnement de Lula, ou bien l’homme qui est assis sur l’arsenal de guerre de la nation engagerait des actions », rappelle le le journal. Cela dans un pays qui a vécu de 1964 à 1985 sous un régime de dictature militaire. « Cette intimidation de la démocratie a été applaudie publiquement par des politiques, des généraux et jusqu’à un juge », poursuivait le journal en ligne.
Un jugement bien plus rapide pour Lula que pour ses adversaires politiques
Dans un autre article, The Intercept met en avant la célérité rare avec laquelle Lula a été jugé et envoyé en prison, en comparaison des délais moyens dans ce type de procédures. L’opération anti-corruption Lava Jato en cours depuis 2014 – lancée sous Dilma Roussef, la présidente issue elle aussi du Parti des travailleurs destituée en 2016 malgré l’absence totale de faits de corruption – touche des dizaines de politiciens brésiliens. Certains des mis en cause ont atterri en prison. Pas tous.
Aécio Neves, par exemple, mis en cause depuis plusieurs années pour corruption, n’a même pas été encore jugé. Le politicien de droite (parti PSDB) a été l’adversaire malheureux de Dilma Roussef lors de l’élection présidentielle de 2014. C’est aussi lui qui a ensuite lancé la procédure de destitution de la présidente, démise de ses fonctions en septembre 2016, par un vote du Congrès puis du Sénat pour « crime de responsabilité », en l’occurrence des faits qui n’avaient rien à voir avec des accusations de corruption mais qui concernaient des manœuvres de gestion budgétaires sans aucun gain personnel [1]. Le président intérimaire lui-même, Michel Temer, (du parti de droite PMDB), est mouillé dans de graves affaires de corruption, sans être menacé d’un procès, pour l’instant.
Dilma Roussef destituée, Lula emprisonné, quels candidats pour la gauche ?
« Le coup d’État ne s’est pas arrêté à la destitution de Dilma, a dit Lula devant le foule le 6 avril. Il a continué jusqu’à ce que Lula ne puisse pas être candidat. » De fait, avec Lula en prison, la gauche brésilienne se trouve dans une situation extrêmement délicate. Si l’ancien président ne peut pas se présenter à l’élection d’octobre, qui sera le candidat de la gauche ? Pour l’instant, aucune figure ne se dégage.
Le PT n’a pas encore officiellement annoncé une candidature alternative à celle de Lula. Des noms circulent pourtant, comme celui de Fernando Haddad, ancien maire de São Paulo, la plus grande ville du pays, et ancien ministre de l’Education. Il était aux côtés de l’ancien président sur la tribune lors de son ultime discours à la centrale syndicale le 6 avril. Mais Fernando Haddad est universitaire, quand Lula était à l’origine ouvrier, issu d’une famille pauvre du Nordeste. Il est de São Paulo, la plus grande ville du pays située dans le Sud, quand la base électorale du PT se trouve plutôt dans le Nord-est pauvre. Et il a perdu la mairie de São Paulo il y a deux ans face à un entrepreneur de droite novice en politique (João Doria). Autre nom du PT présenté dans la presse de gauche comme un candidat possible, Jaques Wagner : il a été gouverneur de l’État de Bahia, dans le Nord-est, et ministre sous Dilma Roussef. Lui n’était pas présent vendredi à la tribune aux côtés de Lula. En revanche, deux autres candidats déclarés étaient présents : Guilherme Boulos, le candidat du parti de gauche alternative PSOL, créé par des dissidents du PT, et Manuela D’Ávila, candidate du Parti communiste brésilien (PCdoB).
Dans les sondages, l’extrême droite en deuxième place
Le premier, Guilherme Boulos, est un activiste. Il est le coordinateur national du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), un mouvement populaire pour le droit au logement, qui mobilise régulièrement des milliers de personnes dans des occupations de terrains ou de bâtiments pour y habiter [2]. Le PSOL l’a investi il y a quelques semaines comme son candidat officiel. Ses chances sont, a priori, réduites : la dernière candidate du PSOL à l’élection présidentielle n’avait pas dépassé les 2%. La seconde, Manuela D’Ávila, est une femme de 37 ans, ancienne députée fédérale et députée régionale de l’État de Rio Grande do Sul. Mais à l’échelle nationale, les scores du Parti communiste brésilien sont anecdotiques. Il y aurait aussi, à gauche, Ciro Gomes, du PDT (Parti démocratique travailliste), politicien de l’État du Nordeste du Ceará. Ciro Gomes a reçu le soutien du musicien star, très suivi au Brésil, Caetano Veloso.
Ciro Gomes tourne dans certains sondages autour de 10 % d’intentions de vote. Guilherme Boulos et Manuela D’Ávila autour de 1 % seulement. À droite et au centre, parmi les candidatures attendues, il y a celle de Geraldo Alckmim, actuel gouverneur de l’État de São Paulo, et Marina Silva (21% des voix en 2014). La date limite de dépôt officiel des candidatures à la présidentielle brésilienne est fixée en août. Pour l’instant, c’est toujours le candidat d’extrême droite, Jaïr Bolsonaro, nostalgique de la dictature militaire, aux discours très violents, xénophobes, homophobes, sexistes, qui caracole en deuxième place dans les sondages, derrière Lula.