Laetitia Lahy – Depuis l’assassinat du président haïtien Joenel Moïse en 2021, la situation sociale et politique s’est à nouveau fortement détériorée. Devant l’échec des politiques d’aide, un comité de membres du parlement propose un changement de cap dans la politique canadienne pour Haïti. À la veille d’une importante rencontre internationale de la diaspora haïtienne à Montréal, la publication de ce rapport 1, le point sur la politique canadienne concernant Haïti.

La marche continue d’une spirale vers le bas

Depuis plusieurs années, la situation en Haïti ne cesse d’empirer. On assiste de plus en plus à une montée de la violence, aggravée notamment par la multiplication des gangs. Les problèmes auxquels la population et le gouvernement doivent faire face ont mené, entre autres, à un accroissement du taux de pauvreté et à une aggravation de l’insécurité alimentaire. La crise sanitaire, ainsi que les multiples autres problèmes socio-économiques et environnementaux, comme les catastrophes naturelles, se sont additionnés et ont entrainé une dégradation de la situation sur l’île. Nous pouvons notamment relever les problèmes liés à l’eau, au logement, à l’accès à la santé et à l’éducation ainsi que les questions d’hygiène et d’assainissement, qui sont aussi des enjeux de plus en plus alarmants.

En septembre 2022, le gouvernement haïtien a décidé d’arrêter de subventionner l’essence pour la population dans un contexte d’augmentation fulgurante du prix du carburant dans le monde. Face à cette décision, la population a décidé de protester, ce qui a mené dans de nombreuses villes a des manifestations particulièrement violentes.

Échec des interventions internationales 

De nombreux pays ont tenté plus d’une fois d’intervenir et d’apporter leur aide. Force est de constater un échec de ces interventions au cours des dernières années. Par exemple, en 2004, l’Organisation des Nations Unies (ONU) décide de lancer la Mission de stabilisation en Haïti (MINUSTAH) qui s’est étendu au tremblement de terre de 2010 et qui a eu des conséquences dramatiques sur le pays et sa population. La mission a causé l’introduction du choléra sur l’île et il sera révélé plus tard que plusieurs membres du personnel auraient commis des actes d’agression sexuelle restés impunis.

Les exemples d’ingérence étrangère ayant eu des conséquences néfastes sur la situation sociopolitique du pays, mais aussi sur son économie et sur la sécurité de la population sont nombreux. C’est ce qui peut expliquer la réticence, voir le refus de l’aide étrangère et canadienne dans le pays.

Il faut savoir qu’une majorité des problèmes identifiables en Haïti proviennent des résidus de la période coloniale et les années qui ont suivi l’indépendance de l’île. Haïti est un pays dont une partie de son histoire est malheureusement enchaînée à la colonisation française et la période du commerce triangulaire. La majorité de la population en Haïti est d’origine africaine. Le pays est un des premiers pays colonisés à obtenir son indépendance en 1804, après s’être révolté. Par cet acte, Haïti fit tomber le premier domino qui mettra fin à l’empire colonial français le siècle suivant. Le pays et son indépendance deviendront par la suite des acteurs essentiels dans la question des droits et libertés à cette époque.

Vers une remise en question de la politique canadienne?

Le Sous-Comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international a entrepris en septembre 2022 la rédaction d’un rapport sur la situation en Haïti et la politique canadienne. Ce rapport regroupe des témoignages et les explications de nombreux spécialistes et d’universitaires, ainsi que des personnes qui appartiennent à la diaspora haïtienne. Le comité fait onze recommandations au gouvernement canadien qui l’invitent à avoir une perspective nouvelle et une approche différente envers Haïti. Les années qui ont suivi son indépendance ont été très difficiles pour le pays, notamment sur le plan économique. Les problèmes politiques et sociaux, notamment en ce qui concerne le développement, se sont ajoutés à ces derniers pour créer un contexte menant à une forte instabilité dans le pays.

Selon plusieurs spécialistes, la crise démocratique est marquée par l’absence de légitimité du gouvernement actuel. Celui-ci n’a pas été élu et aucune élection n’a été organisée par le premier ministre depuis. Cette crise démocratique ne fait qu’accroître le cynisme de la population, incluant la diaspora, vis-à-vis du gouvernement haïtien. Le rapport mentionne que «le soutien perçu du Canada envers le gouvernement Henry nuisait gravement à sa crédibilité auprès de la population haïtienne».

La nécessité de consulter la société civile haïtienne

Le rapport invite donc à multiplier les consultations de la société civile haïtienne, ainsi que de toutes les personnes ou organisations travaillant dans les questions des droits humains en Haïti dans une de ses recommandations. Ce qui constitue un changement de cap important de la politique canadienne et constituera un levier pour la communauté haïtienne du Canada auprès du gouvernement, alors que la diaspora se réunira à Montréal à la fin du mois d’août.

De nombreuses solutions ont été suggérées par la société civile et les organisations en Haïti, soulignant notamment le fait qu’une stabilisation de la situation politique serait une avancée importante dans la direction souhaitée. Le Sous-comité recommande ainsi au gouvernement canadien de fournir un soutien et un accompagnement, dépourvus de toute forme de toute forme d’ingérence, pour aider Haïti à faire face aux multiples crises qui ravagent le pays et appuyer les efforts de la population locale, dans un effort de solidarité internationale. On retrouvera les faits saillants de ce rapport dans le tableau qui suit.

Il y a urgence!

Mentionnons, en terminant, un important constat du rapport :

«Les besoins de la population haïtienne sont profonds et vastes et touchent les nécessités les plus fondamentales, notamment la nourriture, l’eau, le logement et la sécurité. Alors que des millions de personnes dans le pays sont confrontées à une pauvreté extrême, les gangs de rue sévissent et exercent une influence considérable sur le gouvernement non élu.»

En Haïti, il y a urgence. La rencontre de la fin août de la diaspora haïtienne constitue un moment important pour développer une aide qui soit en phase avec la société civile haïtienne. Elle doit guider la politique canadienne, comme le recommande le rapport.


Quelques faits saillants du rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (2023). La situation des Droits de la personne en Haïti, Chambre des Communes. 

  • Le gouvernement canadien devrait changer son régime de sanctions envers les personnalités politiques qui ont commis des crimes et qui ont participé à la dégradation de la situation politique et sécuritaire en Haïti. Cette recommandation vise ainsi à une meilleure application de la loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ainsi que de toutes les mesures qui visent à mieux faire respecter les valeurs démocratiques et la sécurité en Haïti.
  • Le Canada devrait se réunir avec ses collaborateurs pour discuter des enjeux de solidification des instances juridiques et exécutives, y compris la police, en Haïti. Le rapport préconise notamment que ces pays, incluant le Canada, se concentrent sur les questions de trafic d’armes et de drogues en Haïti, avec un effort de surveillance supplémentaire de la part des pays d’où viennent ces produits illicites. Il s’agit ainsi pour le Canada d’aider Haïti à regagner le contrôle sur les trafics, mais aussi d’apporter une aide pérenne pour le renforcement des différentes instances judiciaire et sécuritaire.
  • Le Canada doit élaborer une stratégie qui n’est pas que temporaire et ponctuelle, mais se concentre sur des solutions et sur l’aspect systémique de ces problèmes. Il faut un plan qui s’étend sur le long terme.
  • Les problèmes politiques en Haïti ont pris une proportion telle qu’il est difficile pour le gouvernement de s’occuper des autres problèmes en cours. Le rapport explique que jusqu’à aujourd’hui, les conséquences du tremblement de terre se font encore ressentir sur le plan social. Au vu des nombreux problèmes soulignés, qui sont tous intereliés et qui s’additionnent les uns aux autres, il est nécessaire d’élaborer un plan qui se concentre sur la pérennité et non plus une aide ponctuelle.
  • Il constate la faiblesse du cadre politique et la dégradation des institutions étatiques. Il explique que le gouvernement haïtien parvient plus à remplir ses différents rôles, notamment ses responsabilités vis-à-vis de sa population. Le rapport souligne aussi un affaiblissement du système judiciaire et du renforcement de la loi, ce qui a mené à une perpétuation de la «culture de la criminalité», qui inclut notamment de graves violations des droits humains. C’est un aspect très important à prendre en compte étant donné le taux de criminalité et la présence des gangs en Haïti. La faiblesse du système judiciaire, le manque de ressources et d’effectif de la police nationale ainsi que les risques de corruption et le manque de neutralité des autorités participent à la création et au maintien d’un environnement de crainte et d’insécurité pour la population.
  • De meilleurs investissements avec les organisations de la société civile en Haïti doivent être conclus, notamment pour offrir des espaces plus sûrs pour les enfants. Tous les problèmes que rencontre Haïti sont interreliés et participent tous à la création d’un système gangrené. La situation économique est la source de plusieurs autres enjeux tout aussi essentiels. C’est notamment le cas de la question des gangs : l’absence de perspectives et d’espoirs pour les plus jeunes est ce qui les pousse à rejoindre ces derniers. De nombreux enfants se retrouvent sans cadre stable, en désarroi face à la situation du pays, et sont dans des situations où ils sont parfois livrés à eux-mêmes, les rendant vulnérables au recrutement des gangs. Dans le même esprit, il est conseillé que les gouvernements canadiens et ses partenaires travaillent avec le gouvernement haïtien pour convaincre celui-ci de prioriser l’accès à l’éducation et ainsi permettre de baisser l’exploitation infantile, notamment par les gangs.
  • Les problèmes liés aux gangs sont très inquiétants et doivent être une priorité. Le rapport fait la liste de plusieurs exemples où ceux-ci participent à l’instabilité dans le pays, en prenant par exemple le contrôle des terminaux pétroliers et empêchant l’accès au carburant ou encore le contrôle sur les routes. Leur contrôle perturbe le fonctionnement de nombreux services essentiels comme les hôpitaux et met la population dans des situations d’insécurités et de dangers plus ou moins permanents.
  • Le gouvernement canadien doit travailler avec les groupes et l’organisation pour les droits des femmes et la société civile pour pouvoir renforcer les droits des femmes, réduire les violences genrées et permettre une émancipation, notamment économique, des femmes. Il y est aussi précisé qu’il serait positif d’aider à promouvoir les droits de la personne, notamment pour les personnes appartenant à des groupes marginalisés, comme les personnes en situation de handicap ou encore les personnes appartenant à la communauté LGBTQ+.

 

  1. Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (2023). La situation des Droits de la personne en Haïti, Chambre des Communes. https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/441/FAAE/Reports/RP12363360/faaerp15/faaerp15-f.pdf[]