Nils Andersson, Membre du Conseil scientifique d’Attac, Extraits d’un texte paru dans Savoir/Agir, 2011/4 (n° 18)
Les Sommets du G20 comme ceux du G8 symbolisent la domination des principales puissances, ils servent à passer les compromis les plus favorables aux intérêts du capitalisme. C’est dans le cadre de ces compromis que se décident les politiques économiques et financières qui seront imposées aux peuples du monde.
Pourquoi le G7 ?
Une constante traverse tout le processus qui a conduit au G20, le mot crise ; il est inscrit à l’ordre du jour dès les premières réunions informelles du G5 organisées au début des années 1970. Ces réunions se sont tenues dans un contexte bien précis, marqué par la crise du système monétaire international à la suite de la décision de Richard Nixon, en 1971, d’abandonner la convertibilité en or du dollar et de mettre fin au système de Bretton Woods, et par la guerre du Kippour en 1973, à l’origine du premier choc pétrolier qui marque la fin des « Trente glorieuses ». S’amorce à la même période le tournant conservateur, avec la mise en place de politiques économiques néolibérales. Crises et néolibéralisme vont être les ressorts économiques et idéologiques des déclinaisons à venir de ces conciliabules, jusqu’au G20 inclus.
En 1975, ces réunions s’officialisent au niveau des chefs d’États et deviennent d’abord le G6 avec l’adjonction de l’Italie, puis le G7, en 1976, avec l’entrée du Canada. Elles sont présentées comme un moyen de « discuter des affaires du monde en toute franchise et sans protocole, dans une ambiance décontractée ». Plus sérieusement, l’intention est d’avoir des réunions en aparté pour la « bonne gouvernance » de l’économie de marché et du système financier international, de se donner un lieu de concertation et de décision en dehors du cadre plus contraignant et visible de l’ONU, pour s’entretenir des communautés d’intérêts et des concurrences, inhérentes au système, qui divisent les puissances participantes.
La composition du G7 ne laisse guère de doute sur ses options politiques et économiques. Canada excepté, les puissances participantes, États-Unis, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Japon, ont chacune une histoire impériale et coloniale. Toutes sont membres de l’OTAN, à l’exception, pour des raisons géographiques, du Japon qui n’appartient pas à la zone euro-atlantique. Il n’y a donc pas d’ambiguïté sur la vision géopolitique du monde qui est celle des membres du G7.
Noyau fondateur, le G7 Finance, réunissant les ministres des Finances, s’appuyant sur les puissantes administrations de ces ministères, va marquer les sommets du G7 et leur rôle d’instigateurs des politiques économique, financière et sociale à prescrire par le FMI, la Banque mondiale, le GATT puis l’OMC, l’OCDE ou l’Union européenne. Avec Reagan et Thatcher au pouvoir, ce rôle de directoire de la mondialisation néolibérale est affirmé dès le troisième sommet du G7 à Tokyo, en 1979. Les options économiques et sociales y sont alors clairement définies : « Les pénuries d’énergie et les prix élevés du pétrole ont provoqué un réel transfert de revenus … Toute tentative de compenser ces dommages par une augmentation correspondante des salaires n’aboutirait qu’à une inflation accrue ». Salaires et chômage deviennent des variables d’ajustement.
En 1986, alors que la crise de la dette déstabilise les pays d’Amérique latine, la Déclaration finale du sommet de Tokyo souligne « la nécessité d’appliquer dans tous les pays des politiques d’ajustement structurel … Ces politiques incluent l’innovation technologique, l’adaptation des structures industrielles, la croissance du commerce et des investissements directs étrangers. » Concernant « les pays en développement et notamment les pays débiteurs » les plus durement touchés par la crise, ils sont appelés « à encourager le rapatriement des capitaux (ceux des transnationales s’entend), à améliorer l’environnement pour les investissements étrangers et à promouvoir des politiques commerciales plus ouvertes. » C’est l’appel à la libre circulation des capitaux, au « marché pur », à une politique de mise en concurrence mondiale et de déréglementation qui sera systématisée par le FMI et la Banque mondiale dans le cadre du Consensus de Washington.
Le G7 peut affirmer qu’il « ne se réfère à aucun corps de doctrine spécifique, qu’il n’est animé d’aucune idéologie », ce sont bien les règles et principes du néolibéralisme qui dictent ses options politiques.
Face aux conséquences dramatiques de la mondialisation économique, les intérêts bien compris du capitalisme obligent les gouvernements des principales puissances à accorder quelques prébendes aux pays du Sud, toujours soumis à l’exploitation et au pillage colonial ou néocolonial. Lors du sommet de Toronto, en 1988, des mesures d’ajustement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) sont prises. Pour juger de leur « efficacité », il suffit de se reporter aux chiffres de la Banque mondiale : entre 1989 et 2001, la dette des PPTE va passer de 141 à 214 milliards de dollars !
Les conséquences sociales et humaines des politiques prescrites par le G7 devenant toujours plus évidentes, l’opposition à la mondialisation néolibérale va se cristalliser autour de ces Sommets. Ainsi, lors de la tenue du G7 à Paris en 1989, sont organisés un « contre-sommet de l’Arche » réunissant des économistes et le concert « Ça suffit comme çi » à la Bastille, que l’on peut considérer comme la première manifestation citoyenne annonçant Seattle
Pourquoi le G20 ?
Au début du xxie siècle, politique impérialiste de guerre, crises économiques et montée en puissance des économies émergentes intensifient les contradictions et déstabilisent le nouvel ordre mondial né de l’implosion de l’Union soviétique. La domination des principales puissances capitalistes est mise en question, le centre de gravité du monde se déplace.
Pour les puissances occidentales, « le fait que des pays émergents ne soient pas représentés au sein du G8 amenuise la capacité de ce dernier de traiter adéquatement de certaines questions relatives à l’évolution du système économique et financier international ». La décision est donc prise de créer le G20 comme lieu de discussion entre pays industrialisés et pays émergents. Comme lors de l’intégration de la Russie, l’élargissement du G8 en G20 va s’effectuer par étapes. Le processus s’amorce dès 1999 lors d’une réunion des ministres des Finances du G7, traditionnel poisson-pilote, et sera concrétisé en 2008 lors du sommet de Washington.
Le G20 marque donc la nécessité, pour gérer les antagonismes entre centre et périphérie et pour renforcer « l’architecture financière internationale », d’intégrer de nouvelles puissances mondiales ou régionales. Sont ainsi cooptés pour l’Asie, la Chine – seul des cinq Grands à n’être pas jusque là membre du G8 –, l’Inde, la Corée du Sud, l’Indonésie et l’Arabie saoudite ; pour l’Océanie, l’Australie ; pour l’Afrique, l’Afrique du Sud ; pour l’Amérique du Sud et centrale, le Brésil, l’Argentine et le Mexique ; pour l’Eurasie, la Turquie. Bien que déjà représentée par cinq États, l’Union européenne devient également membre à part entière du G20.
Soulignons également que l’admission dans le G20 de « nouvelles puissances » d’Asie, d’Afrique et des Amériques n’a pas modifié le caractère de l’organisme. Le principe reste celui de la cooptation, sans que les pays non retenus aient eu leur mot à dire. De plus, l’histoire passée comme la plus récente sont là pour le démontrer, les nouvelles puissances, comme celles qui les ont précédées, ont chacune des intérêts propres, régionaux ou globaux, à défendre, intérêts dont la somme ne constitue nullement la base d’un ordre mondial équitable. Ordre mondial qui ne peut exister que dans le respect du multilatéralisme qui, s’il ne régit pas le système onusien, fonde les Nations Unies.
En se dotant des attributions d’un organisme supranational pour imposer, hors de tout cadre multilatéral, sans contrôle démocratique et citoyen, des choix politiques et militaires dont dépend l’avenir de l’humanité, le G20 n’est pas plus légitime que le G8. Plus encore, il institutionnalise dans les relations internationales une hiérarchie des pouvoirs qui aggrave les inégalités entre les nations sur les cinq continents et circonscrit le rôle des citoyens à regarder, sur grand ou petit écran, les échanges de poignées de main et les accolades entre mandataires des transnationales.
On dit, pour légitimer le G20, qu’il représente 85 % du commerce mondial, les deux tiers de la population mondiale et plus de 90 % du produit mondial brut. Certes, mais il en est de l’égalité des droits entre les nations comme de l’égalité des droits entre les citoyens, rien n’autorise un groupe d’États, arguant de leur puissance politique, économique, démographique ou militaire, à se constituer en « gouvernement mondial », et à en exclure 173 autres États, membres des Nations unies.